Le plein air pour tous : entre rêve et réalité
Alors que 15 % de la population canadienne vit avec une incapacité physique, intellectuelle ou sensorielle, aucun quota ne prévoit un minimum de sentiers accessibles à ce groupe, même dans les parcs nationaux. Aperçu d’un univers où « plein air » rime souvent avec « galère »…
Pour préparer des sorties de plein air, il faut être organisé! Alors imaginez lorsqu’on vit avec une incapacité! Multiplier les trucs, astuces, recherches, réservations, précisions et précautions pour s’assurer d’une escapade réussie devient un minimum vital! Organisateurs experts de plein air, armez-vous… Vous n’avez encore rien vu!
Lorsqu’on vit avec une incapacité et qu’on veut faire du plein air, la situation est souvent complexe : infrastructures accessibles nettement insuffisantes –une proportion bientôt anorexique, puisque la population vivant avec une incapacité va croître en même temps que son vieillissement –, manque de formation à l’accueil, problème de diffusion de l’information… Tout cela fait en sorte qu’on a difficilement accès au plein air et que le nombre d’activités s’avère très restreint. Qu’à cela ne tienne, des audacieux bougent, osent et foncent avec des projets ancrés dans la réalité. Mais est-ce suffisant pour pallier les limites physiques contraignantes auxquelles fait face une population vieillissante et active comme jamais?
Ô réalité quand tu nous tiens!
Cette réalité que l’on refuse de voir, c’est celle où il faut réserver deux millions d’années à l’avance les quelques places adaptées aux personnes en fauteuil roulant (en fait, deux!) disponibles à bord de l’autobus, du train ou de l’avion; c’est aussi celle où l’on se bute à une marche devant l’entrée du fameux restaurant de cuisine régionale dont tout le monde fait l’éloge… C’est poser mille questions à la guide de l’excursion – parce que très rares sont ceux qui connaissent les besoins spécifiques reliés aux différentes incapacités. C’est une double et parfois une triple vérification à faire par téléphone avant de prendre la route parce qu’on ne peut se fier à l’information publiée dans la brochure, puisque la définition d’une activité « adaptée » varie d’un endroit à l’autre, d’une personne à l’autre, d’un organisme à un autre. C’est en avoir marre de restreindre ses activités de « plein air » au Biodôme et au jardin botanique de Montréal!
Pourtant, 15 % de la population canadienne vit avec une incapacité physique, intellectuelle ou sensorielle (source : Office des personnes handicapées du Québec). C’est votre voisin, votre frère, votre collègue de travail, votre ami. Les autorités en place et beaucoup d’acteurs majeurs de l'industrie touristique québécoise ne réalisent pas l’importance que prend ce marché et tardent à adapter leurs produits et services. Pouvoir se loger, se déplacer et se nourrir dans des endroits accessibles, c’est déjà difficile, alors imaginez vouloir faire une activité... une activité de plein air, par surcroît! Et si, par le plus grand des hasards, ce dont on a toujours rêvé semble être accessible, qu’on nous dit que les installations sont adéquates et sécuritaires, et que le personnel a reçu une formation pour bien nous accueillir, on se pince! On se dit qu’on est certainement en train de rêver! Un rêve malheureusement encore lointain… mais toutefois accessible!
Parce qu’il faut rêver…
Nombre de personnes ne voient les limites que dans celles de nos aspirations et posent des gestes concrets pour promouvoir l’accessibilité. Marc Gaulin, de Québec, organise des expéditions à travers le monde avec des sportifs handicapés. Initiateur du projet Everest-Jeunesse, il a atteint le sommet du Kala Pattar (5545 mètres d’altitude) en compagnie de deux personnes en fauteuil roulant, à l’aide de la Joëlette, un mode de transport adapté. Ce bachelier en sciences de l’activité physique de l’Université du Québec à Trois-Rivières veut promouvoir « l’aventure plein air adaptée » et ses immenses bienfaits. Il a d’ailleurs organisé plusieurs autres expéditions en montagne jusqu’aux plus hauts sommets de la planète.
Parmi les modèles, mentionnons Parcs Canada, qui améliore constamment ses infrastructures, des idées les plus modestes – mieux positionner une rampe, réduire une pente trop raide, élargir un cadre de porte – aux plus novatrices, et participe au programme de vignette d’accompagnement en loisir, un concept qui favorise l’accès des personnes qui ne peuvent voyager seules, en offrant des gratuités à la personne qui l’accompagne. Mais malheureusement, aucune norme n’est imposée par les autorités quant à l’accessibilité des activités de plein air, ce qui fait en sorte qu’aucun pourcentage minimal de sentiers doit être accessible aux personnes à mobilité réduite. Tout repose sur la bonne volonté de ceux qui gèrent les parcs et les infrastructures. Alors Parcs Canada et la Sépaq devront se tendre la main et collaborer avec les organismes en place afin de montrer la voie et devenir des exemples à suivre. Mais on est loin de l’Australie accessible à tous, un endroit paradisiaque pour tous les voyageurs, peu importe leurs différences.
Ici, au Québec, beaucoup reste à faire pour l’accessibilité au plein air. Demain, ce sera nous, membres de la population vieillissante, qui voudrons rester actifs mais qui n’aurons plus l’agilité du corps d’Apollon de nos 20 ans… Avouez que vous ne voulez pas finir vos jours à faire la tournée des casinos de la Belle Province – qui sont tous ultra adaptés – parce que ça ne correspond ni à vos intérêts, ni à vos passions, ni aux expériences que vous vous promettez de vivre encore et encore!
Questions? Commentaires? Écrivez-nous à info@altergo.net.
Geneviève Chrétien est agente de communication pour AlterGo, un regroupement d’organisations pour le loisir des personnes handicapées qui dessert l'île de Montréal. À la suite de ses études à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec et de plusieurs années au ministère du Tourisme, elle s’est plus récemment intéressée à la clientèle vivant avec une incapacité quand son ex-conjoint est subitement devenu handicapé. Elle clame ici tout haut ce que beaucoup pensent tout bas… et que la majorité ignore!