Decathlon au Québec : l'arrivée d'un géant
En avril prochain, Decathlon ouvrira une première succursale dans la région de Montréal. Quel impact aura ce groupe de grande distribution, spécialisé dans les articles de sports et de loisirs?
Après s’être implanté dans 42 pays, Decathlon s’établira au Québec, au printemps 2018. D’abord au Mail Champlain de Brossard, dans la périphérie de la métropole, avec une succursale de 45 000 pieds carrés; ensuite à Québec, en 2019, près du futur IKEA. Avec ces deux magasins, ce n’est rien de moins qu’un géant mondial qui fera son entrée sur les marchés québécois et canadien.
Fondée en 1976, Decathlon compte plus de 1 276 magasins, dont 307 en France. En 2016, son chiffre d’affaires a dépassé les 10 milliards d’euros (15 milliards de dollars canadiens).
L'enseigne decathlon © Shutterstock, aureliefrance
Pourtant, Decathlon arrive au Canada prudemment, avec un seul magasin pour commencer. « C’est une attitude téméraire et très rare, souligne Jacques Nantel, professeur émérite au département de marketing dedu HEC Montréal. Habituellement, l’implantation d’une nouvelle enseigne se fait soit par l’acquisition de magasins existants, comme ce fut le cas de Walmart, ou par une participation au capital, comme l’a fait Costco. »
Les responsables ont certainement été échaudés par leur implantation ratée sur le marché nord-américain en 1999, à Boston. À l’époque, Decathlon avait racheté 18 magasins de la chaîne MVP Sports. Mais l’expérience avait tourné court au bout de quelques années, avec la fermeture progressive de toutes ces succursales.
« Nous avons beaucoup appris de cette erreur, confesse Tristan Vendé, de Decathlon Canada. Nous sommes arrivés sans prendre le temps de bien connaître le marché, de nous acculturer. Cette fois, nous avons patiemment échafaudé notre projet en arrivant ici comme des explorateurs. Notre plan se bâtit encore tous les jours, à l’aide de nouveaux paramètres. »
Si l’ADN de Decathlon est résolument français, l’équipe de Decathlon Canada assure qu’elle cible avant tout les gens qui habitent aux environs du futur magasin de Brossard – pour commencer, du moins.
© Decathlon
« Notre but n’est pas de satisfaire les 120 000 Français qui vivent à Montréal!, prévient Tristan Vendé. Nous avons donc créé Decathlon Canada, une société canadienne pensée pour les Canadiens et réalisée avec eux. Notre projet est très localisé et nous allons d’abord nous préoccuper uniquement de la zone d’influence du magasin de Brossard. Nous voulons proposer une offre sportive qui répondra réellement aux besoins de ceux qui vivent aux alentours. »
La vente en ligne va tout de même être offerte, même si les modalités ne sont pas encore clairement établies. « Nous préférons que les gens viennent en magasin pour profiter au maximum de l’expérience, qu’ils puissent toucher et surtout, tester l’équipement! »
Quels types de produits?
Decathlon se distingue des autres joueurs de l’industrie en vendant presque exclusivement ses propres marques. Des marques maison, conçues pour chaque activité sportive : Quechua pour la montagne, Kalenji pour la course à pied, B’Twin pour le vélo, Kipsta pour les sports collectifs, Tribord pour les activités nautiques… Au total, de l’équipement pour pas moins de 80 activités sportives sera offert au magasin de Brossard, soit 6 300 références de produits.
Des produits d’entrée de gamme destinés à ceux qui veulent s’initier à un sport ou à une activité de plein air et qui ne sont pas prêts à payer une grosse somme pour s’équiper. « Decathlon veut rendre la pratique sportive la plus accessible possible. On veut faire bouger les gens, et le prix ne doit pas être un frein! »
Si Decathlon peut vendre à si bas prix, c’est notamment parce qu’elle s’accorde des marges de profit plus basses que d’autres groupes. L’idée est de vendre en plus grande quantité pour assurer une certaine rentabilité. Mais qu’en est-il de la qualité ? Décathlon serait-il un « Dollarama du sport »?
« Nous sommes conscients qu’afficher des prix abordables et vendre en de si grandes quantités peut paraître suspect, explique Tristan Vendé. On pourrait nous soupçonner de rogner sur la qualité pour faire de la petite marge; ce n’est pas le cas. Nous faisons simplement payer le prix juste, et le coût réel de nos produits n’est pas sous-évalué. Nous fabriquons aux mêmes endroits, voire dans les mêmes usines que les autres marques, mais nous fabriquons en plus grande quantité. »
© Decathlon
L’entreprise se dit préoccupée par le développement durable et sociétal. Elle a instauré une charte sociale à l’intention de ses sous-traitants. « Notre responsabilité est de nous assurer, quel que soit le lieu de fabrication, de conditions de travail conformes à la réglementation et à nos exigences » peut-on lire dans le site developpement-durable.decathlon.com.
Et dans les faits? « Par le passé, nous n’avons pas toujours été irréprochables, mais c’est terminé, reconnaît Tristan Vendé. Nous avons tous été choqués de constater que des enfants fabriquaient des ballons au Pakistan. Ça n’existe pas chez nous! Tous nos sites de production sont vérifiés par des bureaux indépendants, qui nous livrent des certificats très clairs. »
Decathlon va tout de même devoir faire ses preuves en matière de qualité de ses produits. « Nous le faisons par le test et non par les beaux discours. Si un produit ne satisfait pas les attentes du client, s’il est noté 3 étoiles sur 5 dans au moins 20 avis, nous le retirons du marché, puis nous cherchons la cause du problème : qualité, taille, fonction non remplie… »
De la R&D innovante
L’enseigne française a fait un gros travail en recherche et développement, en misant sur des produits innovants. Le meilleur exemple de cette politique est la tente 2 Seconds.
« Lors de plusieurs semaines de test avec un groupe-cible de clients, nous avons réalisé qu’ils faisaient tous le même geste : celui de lancer leur tente pour qu’elle se déploie toute seule, raconte Tristan Vendé. On n’a pas eu à chercher plus loin. Notre travail a été de rendre cela possible! »
Le succès commercial a été au rendez-vous : lancée en mars 2005, la tente 2 Seconds a été vendue à près de 8 millions d’exemplaires en 10 ans, et récompensée de plusieurs prix de design internationaux.
« Notre travail en matière d’innovation consiste à analyser – passez-moi l’expression – l’ensemble de la “chaîne des emmerdements”, dans la réalisation d’une activité sportive, puis d’arriver à en défaire l’un des maillons, explique Tristan Vendé, qui a fait partie des équipes de recherche pour Quechua. En définitive, ce n’est pas tant Decathlon qui innove : nous réussissons tout simplement à apporter une solution technique à un problème rien qu’en observant les gens. C’est un travail permanent, réalisé pour chaque produit vendu. »
Récemment, c’est avec une nouvelle génération de masques de plongée en surface que la marque a fait parler d’elle : le Easybreath permet en effet de respirer sous l’eau aussi facilement que sur la terre ferme, tant par le nez que par la bouche, et offre un champ de vision panoramique qui s’étend sur 180 degrés.
« C’est le résultat du même processus d’analyse que la tente. Nous sommes arrivés, une nouvelle fois, à défaire un énorme nœud : celui de la gestion de la respiration entre le nez et la bouche. Et nous ne mentons pas en affirmant que vous aurez accès à un matériau que seuls les astronautes ont utilisé ces dix dernières années : nous expliquons simplement que nous avons conçu un produit qui va servir réellement, en fonction du niveau des clients. »
Des produits à bas prix, de qualité et innovants… Sans être devin, on peut déjà dire qu’on devrait rapidement voir proliférer les produits Decathlon au Québec – en attendant le pays au complet? Décidément, il va falloir trouver d’autres façons de distinguer le Français de base, sur les sentiers québécois…
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Des prix à la baisse partout au Québec? Pas nécessairement!
L’arrivée de Decathlon poussera-t-elle les autres joueurs de l’industrie à réduire leurs prix? Pas à court terme, disent la plupart de ses acteurs quand on leur pose la question.
« Un seul joueur ne peut faire ce genre de choses, explique Maxime Dubois, coprésident directeur-général d’Altitude-sports.com. Et il n’y a pas que la compétition qui puisse faire varier les prix. C’est un phénomène plus mondial, qui implique notamment le coût des matières premières, le lieu de fabrication... Je pense qu’il faudra plusieurs années avant que Decathlon ait une véritable influence sur les prix au Québec. »
Si chacun salue, avec plus ou moins de chaleur, la venue de ce nouveau joueur, tous affirment rester sur leurs positions et ne comptent pas vraiment changer de stratégie. C’est le cas notamment chez MEC, une coopérative qui, tout comme Decathlon, offre sa marque maison.
« Cette situation ne change rien pour nous, affirme Bernard Côté, directeur des communications et du marketing de MEC au Québec. Nous continuerons d’offrir aux membres les mêmes services et programmes communautaires diversifiés ainsi que les mêmes produits de la manière la plus responsable qui soit. »
Avec sa politique de bas prix, Decathlon pourrait toutefois faire mal à certaines marques ou vendeurs qui ont fait le choix du haut de gamme. Pour Yves Robert, directeur du marketing chez La Cordée, « le marché va changer. Decathlon est un killer price [ou category killer]. Il est difficile de se mesurer à eux quand on vend des marques comme The North Face ou Arc’teryx. Je ne suis pas certain que l’augmentation du nombre de pieds carrés offerts au consommateur va se traduire par une augmentation des ventes. Les parts du gâteau de la vente en magasin pourraient même diminuer. »
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Tristan Vendé ne voit pas les choses du même œil : « Nous arrivons dans un marché où se trouvent de très beaux acteurs. Ils participent au mouvement qui vise à mettre les gens au sport. Ce ne sont pas des concurrents, contrairement à la télévision, le sofa, l’obésité ou la dépression. Je suis persuadé que nous pouvons faire croître le marché de l’équipement sportif, car nous voulons tous aller chercher ceux qui ne sont pas actifs ».
« Certaines marques ont fait le choix du haut de gamme, d’autres misent sur l’accessibilité, explique Maxime Dubois. Ces deux positionnements se défendent. Il y a de la place pour tout le monde : c’est au client de choisir. » Une affaire à suivre!
L’esprit communautaire de Decathlon
En plus de vendre des vêtements et des accessoires de sport à bas prix, Decathlon veut créer une communauté sportive autour de ses établissements, et ce, pour chaque sport.
« Nous voulons faire en sorte que les gens se rencontrent, espère Tristan Vendé. Nos responsables en magasin auront un rôle d’animateur de leur communauté sportive autour de Brossard, en fédérant des gens par la voie physique, mais aussi par le numérique. Cela se traduira par toutes sortes d’initiatives : des entraînements, des initiations, des conseils, des corvées de nettoyage… À eux d’être des acteurs dans leur communauté! »
Une approche qui, si elle n’est pas nouvelle, va dans le sens de la volonté de Decathlon de démocratiser le sport et d’implanter localement sa marque.
D’autres entreprises le font déjà au Québec : on pense tout de suite à MEC qui, en plus de son positionnement social, organise de nombreux événements du même genre (club de course ou de vélo, ateliers et formation mécanique…), ou encore à La Cordée, avec sa fondation qui finance le mouvement scout.