Mylène Paquette : La motivation, c’est personnel
" Pourquoi traverser l’océan à la rame? " Voilà la question qu’on m’a le plus souvent posée au cours de ma vie.
Étrangement, cette question m’a souvent donné l’impression qu’on doutait des raisons qui me poussaient à entreprendre une telle expédition.
Chaque fois, je me demandais si on posait la même question aux athlètes pratiquant d’autres sports, et si tous ceux qui s’adonnent à des aventures atypiques avaient droit aux mêmes salades.
Tout bien réfléchi, je crois savoir ce qui se cache derrière cette interrogation : on veut connaître ma motivation.
Peut-être que dans l’esprit des gens, plus un projet est inhabituel et distinctif, plus on doit avoir des raisons tout aussi atypiques de le réaliser. De la même manière, plus un projet est grandiose ou farfelu, plus notre motivation devrait aller dans le même sens...
Tout compte fait, peut-être que la question qu’on devrait me poser est : « Où as-tu trouvé la motivation pour réaliser un rêve aussi à contre-courant? »
Qu’est-ce qui nous motive à partir à l’aventure?
L’être humain a besoin de défis pour se définir et d’expériences pour apprendre. Je crois que la motivation première de tout aventurier est la soif de découverte et d’émancipation.
Mais si chaque aventure est unique, les motivations qui nous y mènent le sont aussi. À chaque aventurier ses raisons, ses intentions et son parcours, aussi personnels soient-ils.
Aux prémices de ma première traversée de l’Atlantique, réalisée avec des rameurs anglais et irlandais, je leur ai révélé ce qui me motivait. En exergue à la photo de moi apparaissant dans notre plan de commandite, et où figurait le profil de chacun des rameurs, on me citait comme suit : « Cette traversée à la rame en équipage est pour moi une étape importante dans ma préparation en vue de traverser l’océan de la même façon, mais en solitaire, dans quelques mois. »
Je semblais être la seule qui évitait de répondre clairement à la question; pourtant, je réalisais cette aventure parce que c’était mon rêve et qu’il m’interpellait, tout simplement. Et alors? Combien sont-ils à lancer chaque année : « Je rêve de participer aux Jeux olympiques! », sans autre explication?
Durant ce long voyage, nous avons appris à nous connaître, nous avons partagé nos rêves d’avenir et nos histoires personnelles. La motivation initiale de chaque rameur revenait souvent dans les discussions, pour nous comparer et savoir d’où nous était venue l’idée de prendre part à ce projet.
L’un de nos coéquipiers disait qu’il voulait vivre une épopée, certes, mais qu’il ramait avec nous pour acquérir une expérience unique qui lui permettrait de se détacher de la masse et trouver un boulot intéressant… Plus tard, ce même rameur nous a avoué que ça le motivait de croire qu’avec une telle expérience, il aurait beaucoup plus de succès auprès de la gent féminine!
Peu importe nos motivations, nous étions dans le même bateau pour franchir la ligne d’arrivée et vivre ce succès en équipe.
Partager un projet… ou pas?
Pendant des années, j’ai laissé mon rêve grandir dans mon esprit avant de le partager avec les autres.
Avant de prendre la décision de me lancer dans cette aventure, j’ai réfléchi pendant des mois. Au cours de cette période, j’ai travaillé dans l’ombre sans ressentir le poids de l’attente des autres à mon égard. J’ai cru qu’il était important d’attendre que ce soit vraiment nécessaire d’en parler. Au moment opportun, j’ai franchi cette étape importante et j’ai partagé mon rêve avec mes proches.
Cette longue période de solitude et de réflexion m’a permis de bien élaborer mon plan, de mesurer tous les impacts et les risques que j’allais affronter, mais surtout d’apprendre à me motiver seule. Puis, après m’être engagée à aller de l’avant, il me fut impossible de reculer.
Sans le savoir, j’ai fait exactement ce que certains chercheurs suggèrent de faire avant de passer à l’action pour atteindre de grands objectifs. Des études et des tests psychologiques ont en effet démontré que dévoiler un projet important diminue les chances de le voir se réaliser.
Si notre projet est révélé trop tôt dans notre cheminement, tous ceux qui manifestent leur enthousiasme, leur confiance et leur admiration créent malheureusement un effet pervers : leur appui nous rassure et fait du bien à notre ego… dans l’immédiat. Mais cette agréable impression risque de nous empêcher d’atteindre notre but. La reconnaissance que l’on reçoit peut ainsi avoir l’effet de tromper l’esprit et procurer faussement le sentiment que cet objectif est déjà atteint.
Dès que quelqu’un reconnaît l’existence d’un objectif et qu’il en mesure l’importance à nos yeux, cela devient une « réalité sociale », disent certains chercheurs. On croit alors que l’objectif est atteint puisqu’on reçoit déjà un bénéfice et une récompense, que l’on reçoit normalement à la suite de sa réalisation.
Puis, parce que nous ressentons cette satisfaction, nous sommes moins motivés à fournir les efforts nécessaires pour atteindre réellement cet objectif, puisque le sentiment d’un certain accomplissement commence à nous habiter. Comme si l’âne goûtait déjà à la carotte au bout du bâton.
Idéalement, il faut plutôt ressentir de l’insatisfaction pour demeurer motivé, en route vers le moment où nous partagerons notre objectif. L’engagement vers notre but, face aux autres, a tout à voir avec la motivation qu’on lui porte. Pour rester motivé, il vaut donc mieux garder ses objectifs secrets… jusqu’à ce que ce ne soit plus possible de le faire.
Comment demeurer motivé?
La recette est simple : il faut sentir qu’on avance réellement vers une étape donnée. Toutes les étapes d’un projet, si petites soient-elles, devraient trouver leur place dans un cahier, un carnet, un endroit précis qui nous aide à nous organiser.
Chaque fois qu’un petit objectif est atteint, on devrait le rayer d’un trait de marqueur, pour nous rappeler plus tard qu’un nombre important d’étapes est déjà derrière nous.
L’une de ces étapes est l’annonce même du projet. Si possible, il faut repousser cette étape au-delà de toutes les autres, pour que la satisfaction que l’on pourra ressentir soit une réelle récompense : celle d’avoir retenu sa langue aussi longtemps!
Bref, peu importe votre objectif, s’il est pur et sain, vous n’avez pas à le justifier. Et si votre motivation y est, foncez!