Quand la Côte-Nord prend la vague
Des kilomètres de plage de sable fin sous le chaud soleil d’été. Des surfeurs qui s’en donnent à cœur joie dans des déferlantes de près de deux mètres. Hawaï, Californie, Salvador? Pas du tout : Côte-Nord, au Québec. Et il suffit de remplacer les palmiers par des épinettes noires pour plonger dans l’univers de cette nouvelle destination surf.
À quelques reprises lors de mes séjours dans le Sud, je me suis risqué au surf. Mais jamais je n’ai vraiment senti la vague. En fait, c’est ici, au Québec, que le déclic s’est produit : après un après-midi à me faire brasser la cage dans des vagues de 1,5 mètre sans jamais tenir debout sur ma planche, je suis parti à la plage Matamek, à une vingtaine de kilomètres de Sept-Îles, pour une petite session à la brunante. Là, les vagues sont plus petites, et plus faciles. On peut s’y rendre à pied, et même les phoques sont de la partie.
Après quelques tentatives infructueuses, je suis finalement parvenu à me lever sur le surf. Même si le tout n’a duré que quelques secondes, un énorme sentiment de fierté m’a envahi et je ne pensais plus alors qu’à une chose : y retourner. C’est d’ailleurs ce que j’ai fait au cours de la soirée, où j’ai pu prendre une vingtaine de petites vagues parfaites pour mon niveau de compétence. Voilà : j’avais attrapé la fièvre du surf et je ne pensais plus déjà qu’à mon prochain séjour!
Je ne suis pas le seul à être tombé sous le charme de cette activité où on fait corps avec la mer. Frédéric Dumoulin, qui a lancé la boutique-école Surf Shack de Sept-Îles en 2011, initie près de 100 personnes chaque été, dont près de la moitié sont des gens de la place. « Je ne pouvais pas garder ça pour moi; le bonheur, ça se partage », dit-il.
Professeur de sciences au secondaire, Frédéric profite de ses étés de congé pour donner des cours et louer de l’équipement. « Ça prend bien quelqu’un de l’extérieur pour voir le territoire autrement et venir nous faire découvrir le surf, lance Sandra Lévesque, conjointe de Frédéric et native de Sept-Îles. Ça permet aux gens de se réapproprier les plages. »
Sa maison en bord de mer expropriée en 2006 à cause de l’érosion, Frédéric s’est construit une nouvelle maison en bois au look rustique à un peu plus de 100 mètres de la plage Moisie, à 15 minutes de Sept-Îles. Il en a alors profité alors pour aménager une boutique dans son garage, où règne désormais une réelle ambiance de surf : planches accrochées au plafond et sur les murs, odeur du néoprène qui sèche, bruit des vagues qui cassent sur la plage… tout y est.
Le surf boréal : un mode de vie
Sur la Côte-Nord, le surf a pris son envol après la parution du documentaire Surf boréal, réalisé en 2012 par l’artiste-surfeuse Myriam Caron, décédée en janvier des suites d’un cancer. « C’est elle qui a permis de montrer au grand jour le surf sur la Côte-Nord », note le proprio du Surf Shack.
Depuis, la communauté septilienne des surfeurs ne cesse de grandir. Philippe Thériault, conseiller en environnement pour la minière IOC, a eu le coup de foudre il y a trois ans, et c’est aujourd’hui devenu pour lui un mode de vie. « La plupart des surfeurs rêvent de vivre près d’un spot de surf, dit-il. Quand tu peux surfer devant chez toi avant d’aller travailler ou en revenant du travail, ça n’a pas de prix!»
Le surf exerce un pouvoir d’attraction si grand chez les jeunes professionnels que certains en font un facteur déterminant dans leurs choix de vie. André Nadeau Simard, un avocat de Granby, a ainsi décidé de s’établir à Sept-Îles il y a trois ans pour glisser le plus souvent possible dans le creux des vagues. « Je ne pensais jamais avoir accès à du surf de qualité comme ça au Québec », lance ce père de quatre enfants, qui a emménagé à moins de 100 mètres d’un spot de surf.
Mine de rien, une communauté de près de 80 surfeurs est maintenant bien établie à Sept-Îles; 25 d’entre eux, plus actifs, surfent même toute l’année. « Les plus crinqués peuvent surfer jusqu’à 150 fois par année », souligne Frédéric Dumoulin. Ajoutons à cela que quelques fois par année, des monstres de trois mètres déferlent sur la côte, comme ce fut le cas lors d’une compétition organisée par le propriétaire du Surf Shack à l’été 2014.
Les vagues de vent
Contrairement à plusieurs destinations de surf classiques, où l’on retrouve des « point break » – des vagues déferlantes créées par un relèvement dans le lit de l’océan –, les vagues sur une bonne partie de la Côte-Nord sont formées par les vents. Le comportement de ce genre de vague est moins prévisible et on les retrouve partout sur la côte.
En fait, la Côte-Nord est un havre de sable et une pépinière de vagues, avec des centaines de kilomètres de plages. Celle qui rejoint Sept-Îles à Moisie, devant le Surf Shack, fait à elle seule 28 kilomètres. De l’autre côté de la rivière Moisie, la plage Matamek s’étire sur près de 12 km. Et c’est ainsi tout le long de la côte, plage après plage, où l’on retrouve plein de petites anses et de baies propices au surf. Difficile de se marcher sur les pieds quand le terrain de jeu est aussi grand…
Pourtant, les vagues de la Côte-Nord sont longtemps restées dans l’anonymat, sans que personne ne voie leur plein potentiel. Il n’y a pas si longtemps encore, seuls quelques rares touristes de Montréal amenaient leurs planches pour en profiter l’été, à Baie-Johan-Beetz ou à Rivière-au-Tonnerre.
Au tournant des années 2000, Daniel Lavoie a été l’un des premiers résidents du coin à s’initier au surf nord-côtier. Résident de Baie-Comeau, il s’est acheté une planche et a commencé à pratiquer le sport en solo… pendant 7 ans! « J’ai initié plusieurs amis, mais personne ne s’équipait pour en faire sérieusement », lance-t-il.
Un an à peine après ses débuts, il s’est aussi mis à fabriquer des planches de surf. « Au début des années 2000, c’était tellement compliqué d’acheter des planches en ligne que j’ai préféré commencer à shaper mes propres planches », note le surfeur de 35 ans, qui produit annuellement de 10 à 20 planches sur mesure, sous la marque Sceane Surfboards.
Selon la direction et la puissance des vents, Daniel part à la recherche du meilleur spot pour surfer. « Il y a de très bonnes conditions sur la Côte-Nord, dit-il. Pour en profiter au maximum, il faut que tu sois prêt à te déplacer, comme on le fait pour une bonne session de poudreuse en hiver ».
Même après 15 ans d’exploration, il estime que bien des découvertes restent à faire : « Sur la Côte-Nord, il y a encore beaucoup de bons spots qui ne sont pas surfés. Mais si tu veux trouver de vraies grosses vagues, il faut que tu sois un peu météorologue et que tu aies l’esprit aventurier », souligne le surfeur qui a beaucoup voyagé sur la côte Est pour parfaire sa technique.
C’est dans cet esprit que l’été dernier Frédéric Dumoulin et quelques amis surfeurs sont partis explorer les vagues de Kegaska – là où s’arrête la route, sur la Basse-Côte-Nord. « Les vagues rentrent directement de l’Atlantique et la houle est plus constante, dit Frédéric. On a pu surfer des superbes vagues de deux mètres, et je suis convaincu qu’on peut avoir de la vague de trois à quatre mètres dans les bonnes conditions ».
Malgré la forte croissance de ce sport au cours des dernières années, ce n’est pas demain la veille que la Côte-Nord sera saturée. « Le surf est loin d’être un sport évident, note Philippe Thériault. Il faut passer des heures à l’eau avant d’avoir du plaisir. »
De plus, le surf d’été est considéré comme un luxe et seuls quelques courageux se risquent à l’eau sans combinaison de néoprène. Pour en faire souvent, il faut y aller peu importe la température, même durant la saison froide. D’autant plus que l’on retrouve les meilleures conditions lors des grosses tempêtes automnales, en hiver ou au printemps. Surfer en plein mois de janvier? Pas de problème si les vagues sont au rendez-vous, rétorquent les mordus. Ces conditions finissent par endurcir les surfeurs et rendent le sport beaucoup plus facile lors des voyages dans le Sud.
Après tout, pour André Nadeau Simard et pour bien d’autres, le surf est plus qu’un sport : « C’est une culture, un mode de vie où on planifie nos activités pour être en symbiose avec la mer », dit-il. « Et quand les conditions sont bonnes et que tu te retrouves au bon endroit, au bon moment, le surf peut être aussi bon ici qu’ailleurs ! », assure Daniel Lavoie.
Démocratiser la vague
Pas besoin de vivre au bord de la mer pour faire du surf. Surf de rivière, surf intérieur, wake surf (derrière un bateau) : l’apparition de nouvelles formes de surf démocratise l’accès à ce sport, même si on habite en ville à des centaines de kilomètres de la côte.
À ce titre, Montréal est plutôt choyée, car elle dispose de deux vagues de rivière éternelles vraiment faciles d’accès : celle qui déferle en permanence près d’Habitat 67 et la vague à Guy, dans le parc des Rapides, à LaSalle; encore faut-il être capable de prendre cette vague, car même les meilleurs surfeurs n’y arrivent pas toujours. « Il faut vraiment persévérer : ça m’a pris près de 30 fois avant de réussir », se rappelle Annie Carrier, représentante de l’agence Top Notch et surfeuse qui brave la vague de trois à quatre fois par semaine.
Alors qu’il y a cinq ans, on retrouvait peu d’adeptes montréalais du surf de rivière, l’engouement pour ce sport crée désormais des bouchons de circulation sur le fleuve Saint-Laurent, où jusqu’à 30 surfeurs doivent parfois se partager la vague d’Habitat 67 à tour de rôle.
Comment satisfaire tout le monde? Par exemple en créant de nouvelles vagues. Montréal pourrait même s’illustrer comme la capitale mondiale du surf de rivière, estime Hugo Lavictoire, propriétaire de KSF, une école de surf, de SUP et de kayak de Montréal. « Le surf a un gros potentiel d’attraction, dit-il. C’est un produit touristiquement payant, mais les vagues accessibles sont presque saturées, lance celui qui forme jusqu’à 600 personnes chaque été. Pourquoi ne pas profiter de la réfection du pont Champlain pour construire de nouvelles vagues au passage [en créant un changement dans le lit de la rivière] ? »
L’effet Ouisurf
Après avoir passé trois ans au Salvador, Benjamin Rochette a décidé de lancer la webtélé Ouisurf, en 2010. Depuis, ce sport ne cesse de gagner en popularité au Québec – comme dans bien des pays côtiers, d’ailleurs. « L’essor du surf est un phénomène mondial : c’est un prétexte pour voyager d’une façon différente et pour adopter un style de vie qui prône le retour aux sources », dit-il. Après trois ans à être diffusé sous forme de capsules Web, le concept du Québécois surfant les plus belles vagues de la planète a même fait le saut sur Évasion pendant deux ans. Benjamin Rochette et son équipe travaillent désormais avec de nouveaux partenaires pour créer du contenu original avec plusieurs marques du monde du surf.