Cap-Vert : 6 jours de rando sublime en 20 photos
Archipel méconnu perdu à mi-chemin entre l’Europe et l’Amérique du Sud, le Cap-Vert forme un véritable jardin des délices pédestres. Compte-rendu d’une semaine à explorer de splendides îles à l’état brut.
De ma vie, c’est l’un des périples en groupe auxquels j’ai le plus aimé participer. Parce que les décors naturels étaient éblouissants; le climat, doux et rassérénant; les hameaux coloniaux décatis, tout à fait craquants; et les autres randonneurs, fort avenants. Et surtout parce que chaque journée apportait son lot de petits bonheurs gagnés à la force du quadriceps et des muscles jumeaux.
Chaque fois que je repense à cette spectaculaire virée pédestre d’une semaine, ma peau se transmue en une vaste étendue de chair de poule, où des aveugles pourraient lire du bout des doigts : « Trop beau, trop bon, trop béatifiant. » Cette rando entre mer et montagnes — deux passions entre lesquelles je ne puis choisir — m’a ravi au plus haut point, et je ne rêve que d’y retourner, pour explorer les îles que je n’ai pas pu arpenter.
En attendant, voici un compte-rendu de mon séjour, en vingt petits clins d’œil thématiques et moments de grâce photographiques.
Tout petit, le groupe
© Gary Lawrence
En arrivant à l’aéroport Cesária-Évora, sur l’île de São Vicente, c’est la rencontre-surprise du groupe avec lequel je passerai la semaine. Nous sommes huit, de 25 ans (Arlinda, la guide capverdienne francophone) à 70 ans (Jack, un adorable papy français ultracultivé). Un groupe d’une taille parfaite pour garder une certaine cohésion dans la dynamique collective, quoi.
Au fil des heures et des jours, de petits sous-groupes se forment : les traîneux-contemplatifs, les performeurs cycliques, les machines indécrottables. Parfois, les rôles s’interchangent et un membre d’un sous-groupe migre vers une autre catégorie, le tout dans une réelle harmonie. À la fin de la semaine, tout un chacun laissera ses coordonnées à l’autre. On trouve de tout au Cap-Vert, même un ami.
Splendeurs minérales
© Gary Lawrence
Si on compare souvent le Cap-Vert aux îles Canaries, il me fait surtout penser à l’île de la Réunion, à certaines îles Marquises, voire aux Hébrides écossaises. Comme son nom ne l’indique pas, l’archipel n’a souvent de vert que le nom. Sur Santo Antão, où nous passerons la semaine, il forme essentiellement un pays très minéral, aride et rude, quoique légèrement enveloppé d’une sorte d’efflorescence verte. Bref, un pays de pierre (volcanique) ganté de velours (de verdure).
Un peu de végétation, tout de même
© Gary Lawrence
Même si elle se fait parfois rare, la végétation est bien là : forêts d’eucalyptus et de pins de haute altitude, palmiers en bord de mer et dans les vallées riantes, alignement d’aloès à la tige bien dressée, œillets d’Inde odoriférants, lantanas aux jolies fleurs orange… et des amandiers de 20 mètres de haut, à 1500 m d’altitude. Un olivier avec ça?
Des paysages hors pair
© Gary Lawrence
Dès le premier jour, la singularité de Santo Antão se manifeste : les sommets en dents de scie découpent l’horizon, les falaises se dressent comme les murailles de hautes forteresses, et certaines montagnes sont hérissées de murets naturels semblables à la carapace d’un stégosaure. On avance à pas mesurés et le menton relevé dans ce décor dantesque de basiliques basaltiques et de pitons acérés, au risque de se cogner le nez sur un roc, tant le cadre est sublime.
Jusqu’à sept heures sur le terrain
© Gary Lawrence
La plupart du temps, nous randonnons 5 heures, voire jusqu’à 7 heures par jour. Rien d’insurmontable, puisque les bagages sont transportés chaque soir et que nous ne portons qu’un petit sac à dos, mais le poids du soleil, la dureté du relief, les hauts et les bas des dénivelés nous alourdissent souvent les gambettes.
Raide sur les rotules
© Gary Lawrence
À l’image du pays, les sentiers sont souvent rêches et raides, et régulièrement (bien) couverts de pavés de pierre : la stabilité y gagne, mais ça cogne dur dans les genoux, surtout en descente. Un après-midi, nous avons emprunté pendant deux heures un loooong sentier qui s’enfonçait dans une vallée, et il était aussi ardu sur les articulations que doux en panoramas. Au terme de cette extraordinaire plongée les pieds sur les freins, tout le monde avait des ampoules… sauf Jack. Son secret? « Je porte des bas de laine ».
Des îles africaines, quoique…
© Gary Lawrence
Plus la semaine avance, plus j’oublie que je suis en Afrique. « Les gens ne connaissent pas le Cap-Vert, ils croient que c’est trop loin et inaccessible, pauvre et sale, comme certains pays africains », dit ma guide Arlinda. Dans ce pays ultramétissé qui vit de pêche et de tourisme, la pauvreté existe bel et bien (32 % de chômage), mais elle n’est pas rampante au point de se faire misère — même si on sent bien que personne ne roule sur l’or.
Le petit Brésil
© Gary Lawrence
Au Cap-Vert, impossible de ne pas songer au Brésil — surtout un verre de caïpirinha à la main — en rencontrant sa population. Pendant des décennies, l’archipel formait un arrêt obligé pour ravitailler tous les navires entre l’Europe et l’Amérique du Sud. Véritable carrefour de routes maritimes fréquentées par les nombreux peuples qui y ont fait escale, l’archipel amalgame bien plus que des gènes portugais et africains. Aujourd’hui, sa population fortement métissée compte environ 500 000 âmes, mais aussi une diaspora de plus de 700 000 Capverdiens vivant à l’étranger.
Des accents portugais
© Gary Lawrence
Petit archipel émergeant à 360 km des côtes sénégalaises, le Cap-Vert forme un État indépendant depuis 1975, année où il s’est affranchi du Portugal. Mais la langue et l’architecture ne laissent planer aucun doute sur les origines du pays colonisateur.
À hauteur d’homme
© Gary Lawrence
Au Cap-Vert comme partout ailleurs, arriver par un sentier dans un village ou un hameau procure toujours cette délicieuse impression, fondée ou pas, de débarquer dans un bled qui n’est pas autrement accessible. En se présentant ainsi à hauteur d’homme (et de femme), on adopte le même rythme que celui de ses habitants, et on se greffe plus aisément à eux. Parfois, on devient même rapidement l’attraction des lieux, preuve que ce pays est exempt de tourisme de masse.
Rares rencontres
© Gary Lawrence
Sur les sentiers, ça ne se bouscule pas. Entre les murets en blocs volcaniques et les maisons en pierres noires, on croise des muletiers, des paysans venus chercher de l’eau à une source, des gamins curieux, de braves bougres la tête chargée de fourrage, de vénérables mémés coiffées d’un panier en osier, des ânes et des biquettes attachées à un pieu, mais aucune bête sauvage (et presque pas de randonneurs) susceptible de constituer une menace.
Le vent, le vent…
© Gary Lawrence
Suer jusqu’au bout de son coude, de ses lobes, du petit orteil : ça doit être ça, avoir chaud. Au Cap-Vert, c’est le lot quotidien du randonneur. Heureusement, si on traverse de longs pans de territoire exempts de zones d’ombre, des vents doux et rafraîchissants soufflent constamment sur l’archipel. De décembre à mars, l’harmattan — un vent sec venu d’Afrique — emporte même avec lui des grains de sable du Sahara. Pour leur part, les alizés omniprésents font la joie des kitesurfeurs, planchistes et véliplanchistes… mais les vents soufflent parfois si fort qu’on a dû fermer définitivement l’aéroport de Ponta do Sol, sur Santo Antão.
À bouffe que veux-tu
© Gary Lawrence
On mange très bien, au Cap-Vert. Même si la plupart des plats sont souvent accompagnés du traditionnel trio étouffe-chrétien igname-manioc-patate, on peut se régaler de langoustines, de mérou, de murène (étonnamment bonne, quoique truffée d’arêtes) et d’une foule de poissons pélagiques — le Cap-Vert est l’un des meilleurs endroits au monde pour en pêcher. La spécialité nationale demeure le cachupa, sorte de ragoût à base de maïs et de haricots, mais aux multiples déclinaisons (avec fèves, porc, chorizo, poulet, thon, etc.). En hors-d’œuvre, on se délecte aussi parfois d’abats de chèvre ou du fruit de l’arbre à pain, frit et nappé d’huile à l’ail. Miam.
Ode à la bonne fatigue
© Gary Lawrence
Tous les midis, le même scénario se reproduit : tous les randonneurs du groupe dévorent leur repas avant de s’effondrer pour une petite sieste réparatrice de trente minutes, et ce, n’importe où : sur le sol, le dos appuyé contre un arbre ou la tête sur le béton. Une fois, je me suis endormi comme un bébé, en équilibre sur un muret en bord de mer et de falaise, avant de me réveiller en sursaut tout en me demandant où j’étais. La randonnée et la bonne fatigue qui en résulte avaient eu raison du hamster qui me trotte toujours dans la tête : j’étais bien, je ne pensais à rien, et le vent du large avait fait son œuvre en évacuant toute chose embarrassante de mon esprit.
Champs de plumeaux
© Gary Lawrence
Chaque fin de journée est agréable en soi, puisqu’elle est synonyme de satisfaction du « devoir de marcher » accompli. Certaines arrivées sont cependant plus magiques que d’autres : à la fin du quatrième jour, juste avant d’arriver à João Alfonso, nous avons eu droit à la plus ravissante des approches en marchant sur d’étroits canaux qui fendaient en deux des champs de canne à sucre en fleurs, avec le soleil qui créait un contre-jour derrière ces fabuleux plumeaux. Inoubliable!
Les fruits de la canne
© Gary Lawrence
Introduite par les Portugais, la culture de la canne à sucre est très répandue au Cap-Vert. Encore aujourd’hui, on en tire de fort bons rhums agricoles, qu’on les consomme sous forme de grog (pur), de rhum arrangé (mélangé à des jus, des fruits, des épices…) ou vieilli en barrique.
L’attitude de l’altitude
© Gary Lawrence
Si le point culminant du Cap-Vert, le fabuleux volcan Pico do Fogo, s’élève à 2829 mètres, l’île de Santo Antão n’atteint même pas 2000 mètres à son point le plus élevé. N’empêche : en prenant d’assaut ses sommets, les climax visuels sont garantis, que ce soit autour du splendide cratère de Cova, sur des crêtes s’ouvrant sur le relief déchiqueté avec la mer comme toile de fond, ou en ayant droit à des points de vue vertigineux depuis un col, à cheval entre deux vallées profondes.
Vamos à praia
© Gary Lawrence
Hormis les îles de Boa Vista et Sal — où « il y a plus d’hôtels que de maisons », badine ma guide Arlinda —, le Cap-Vert n’est pas réputé pour ses plages. Celle de Laginha borde la capitale culturelle Mindelo, sur São Vicente, et elle demeure aussi jolie que populaire, puisque située dans un grand centre.
La mer
© Gary Lawrence
Elle n’est pas omniprésente lorsqu’on parcourt en rando l’intérieur des îles. En revanche, quand on la longe et qu’on la côtoie, elle est diablement jouissive. C’est particulièrement le cas entre le charmant village de pêcheurs de Cruzinha et Ponta do Sol, sur la côte nord de Santo Antão : sentiers sablonneux, falaises noires dressées hors des eaux, parcours minéraux chauffés à blanc… Vers la fin de cette enivrante portion sous les embruns, on doit se taper le bien nommé chemin de Croix, qui zigzague en montée de station en station. Le paradis est au sommet : Fontainhas, croquignolet village perché en équilibre sur une crête d’altitude. La descente longe ensuite de nouveau la mer, belle à se faire damner, comme pour nous rappeler que c’est d’elle que sont nées ces îles inoubliables…
Pratico-pratique
De Montréal, Air France assure la meilleure desserte sur Paris (deux vols sans escale par jour durant l’hiver). De là, le transporteur letton SmartLynx relie Paris à Mindelo et à Praia, en vols nolisés d’environ 6 heures. Sinon, le transporteur capverdien TACV relie l’archipel à plusieurs villes d’Europe, mais il est peu fiable en matière de ponctualité. Enfin, un traversier relie Mindelo à Porto Novo en trente minutes.
Le spécialiste français des voyages en rando Allibert Trekking propose six séjours en petits groupes au Cap-Vert (et 400 partout dans le monde), dont « Sentiers de Santo Antão », qui a donné lieu au présent article. Très bons guides francophones, organisation impeccable, repas toujours goûteux, nuitées en pensions modestes ou en petits hôtels, et transport des bagages entre les étapes. Offerts d’octobre à juillet, mais certaines îles peuvent se visiter toute l’année.
Outre le Petit Futé en français, l’éditeur britannique Bradt publie un très bon et volumineux guide (en anglais) sur le Cap-Vert, avec plusieurs suggestions de randos.
Info : caboverde.com
L’auteur était l’invité d’Allibert Trekking et d’Air France.