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  • Crédit: Régis Garrigue

Dopage au sommet : Quand le Viagra remplace la feuille de coca

Des trousses à pharmacie au contenu douteux font aujourd’hui partie du sac à dos des voyageurs en haute altitude. L’urgentiste français Régis Garrigue, médecin sur des courses d’aventures et des expéditions en Himalaya, dénonce un usage de la médecine qui échappe aux règles de l’« éthiquement correct ».

Pour quelle raison avez-vous décidé de créer avec deux autres médecins français l’Association Expédition Médecine et Éthique[1]?

Régis Garrigue : Nous avons constaté qu’en dix ans d’expéditions sur des montagnes différentes, à des moments différents, nous avions tous les trois observés des actes réguliers de dopage. Ces pratiques cachées, secrètes et excessivement dangereuses sont utilisées par certains alpinistes à cause de pressions commerciales, de commanditaires ou simplement d’une pure envie de se dépasser. Nous avons été totalement choqués de voir la banalité qui entoure ces questions de dopage mettant directement en jeu la vie des grimpeurs. Notre ambition est donc de rédiger une charte avec d’autres personnes-ressources dans le domaine pour expliquer comment se comporter quand on part faire un sommet et dénoncer les prises de médicaments au-dessus de 4000 mètres.

Est-ce si facile de se procurer ces produits?

Je ne vais pas vous donner la recette! Le dopage, c’est de la triche pour arriver à un résultat sportif. L’alpinisme, c’est du sport, c’est de l’aventure, c’est un engagement et donc il y a aussi des gens qui trichent ! Le vrai drame en très haute altitude, quand on est dans un camp de base à 5000 mètres, c’est que l’on est très seul dans sa tente, enfermé... Impossible de savoir ce qui se passe à l’intérieur de la tente entre deux gars qui vont jouer les apprentis sorciers en s’échangeant des comprimés et se motiver en discutant des effets positifs qu’ils auront observés la veille lors d’une montée. C’est ce qu’on appelle de l’automédication, mais c’est surtout l’exercice illégal de la médecine et de la pharmacie et cela c’est vraiment très dangereux! Tous les ans il y a des gens qui meurent parce qu’ils ont triché pour réussir un sommet et personne n’en parle. Cela dit, quand on est honnête avec soi et avec le médecin d'expédition – s’il y en a un! – on peut se faire soigner pour pouvoir continuer : antibiotiques pour une otite, anti-inflammatoires pour une sciatique, collyres pour les yeux… On se soigne pour passer un cap difficile et non pour tricher. La différence est énorme!

Quelles pratiques avez-vous observées ?

Il existe plusieurs façons de se doper. La première c’est généralement la prise de corticoïdes, notamment le Ventolin, qui améliorent la ventilation et accélèrent le rythme cardiaque. Ce qui est pris classiquement pour le vélo peut être pris sur l’Himalaya, et l’on commence à voir l’utilisation de cocktails à base de corticostéroïdes et de Viagra, qui ont des effets sur l’hypertension artérielle et pulmonaire, ce qui se passe au niveau du cœur et des poumons et cause parfois les oedèmes pulmonaires. Par effet de triche, les gens prennent donc des médicaments qu’ils espèrent curatifs de certaines maladies, dont celles de très haute altitude. Mais il y a aussi d’autres comportements excessivement dangereux comme la prise de somnifères ou encore d’amphétamines et de cocktails à base d’antalgiques forts pour ne pas avoir mal. Tout est possible!

Psychiatre et ancien membre du Comité de l'Himalaya au sein de la Fédération française de la montagne et de l'escalade, Xavier Fargeas[2] affirme que « la haute altitude est peu compatible avec une éthique humaniste... » Qu’en pensez-vous?

J’approuve sur le fond, mais on pourrait aussi se demander si les questions d'humanisme ont leur place en très haute altitude, là où l'homme n'est pas fait pour vivre, où il est de passage, en « survie...  » Il n’existe nulle part de vie permanente au-dessus des 4000 ou 4500 mètres, mais c’est là que commence la plupart des camps de base. C'est pourquoi la préparation est très importante longtemps avant le départ, car une fois « là-haut », il faudra fonctionner davantage par automatisme que par humanisme…Tout dépend du capital de départ : comme pour les capacités à l'effort, les capacités humanistes diminuent elles aussi quand on monte de plus en plus haut! Il vaut mieux partir avec un gros « stock », pour qu'il en reste encore un tout petit peu dans ces altitudes extrêmes...

Peut-on parler aujourd’hui d’un « acharnement » à vouloir vivre l’aventure?

Oui! C’est devenu un commerce, ça rapporte de l’argent, et le phénomène est en constante augmentation. Il n’y a qu’à observer tous les vêtements qui se créent autour des expéditions! Il y a des gens qui vivent dans cet esprit d’aventure du matin au soir. Ça représente un marché, avec de l’argent, des gens plus ou moins honnêtes pour en profiter et d’autres qui s’identifient complètement. Pendant des années, c’était compliqué de monter une expédition au Tibet ou au Népal, mais aujourd’hui n’importe qui peut le faire. Il suffit de trois clics sur Internet et d’une carte de crédit! Cela dit, ça coûte de l’argent, c’est loin, ça prend du temps et quand les gens sont là-bas, ce n’est pas pour renoncer…

Courir au septième ciel
En 2001, une équipe de chercheurs britanniques a mené avec un groupe de cobayes humains une expédition dans le massif du Kirghizstan pour vérifier les propriétés du Viagra sur le mal aigu des montagnes (MAM). Ils avaient en effet constaté que l’enzyme qui gêne l’afflux du sang dans le pénis provoque aussi des difficultés respiratoires dans un air appauvri en oxygène. Résultats positifs! Les effets vasodilatateurs de la fameuse pilule bleue réduisent les troubles physiologiques liés à la très haute altitude, ce qui explique qu’elle fasse désormais partie de la pharmacopée de nombreux trekkeurs et alpinistes…

À lire : Le Viagra sur le Toit du monde et L’alpinisme fast-food, deux articles issus des magazines Sport & Vie nº69 et 80. À consulter sur le site Internet www.dopage.com (onglet « dossier »).


[1] Cette association française formée en 2005 a pour but de sensibiliser le milieu et les pratiquants aux dangers du dopage en très haute altitude.

[2] Magazine L’Express, mai 2003.

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