Exploration saharienne : « quand il n'y a plus de force, il y a le courage ! »
Six mois et 4000 kilomètres après son départ pour une traversée saharienne en solitaire, l’explorateur français Régis Belleville a dû se résoudre à abandonner. Celui qui était devenu chamelier pour aller embrasser le désert dans ce qu’il a de plus hostile raconte ici les ultimes moments de cette expérience, aux limites de la déshydratation, et le courage nécessaire pour y renoncer.
L’appel du désert
Régis Belleville découvre le désert à l’âge de huit ans alors que son père est coopérant en Algérie. « On passait alors nos hivers dans le Sahara. Le fait de le traverser sans arrêt sans oser s’y arrêter m’a finalement décidé à apprendre le métier de chamelier en 1998, pour pouvoir me débrouiller de façon autonome, transporter mon eau, ma nourriture et surtout aller dans les zones hyper arides, souvent des massifs dunaires très difficiles à pénétrer autrement », raconte-t-il. En 2002, il entreprend avec un chamelier la plus longue méharée en autonomie totale, dans le Majâbat al-Koubrâ, région la plus aride du Sahara. Cette expédition lui vaut son entrée au sein de la Société des explorateurs français et le prix Adventura 2003de l’exploit humain au Festival du film d’aventure de Montréal. Trois ans plus tard, il repart pour une nouvelle traversée saharienne, cette fois en solitaire sur un itinéraire à l’écart des pistes traditionnelles et des zones habitées, le long du 20e parallèle. Il quitte les côtes atlantiques mauritaniennes en octobre avec deux chameaux, direction « plein est » pour une exploration de 6000 kilomètres jusqu’à la mer Rouge. Mais après avoir passé six mois dans des conditions climatiques exceptionnellement chaudes, il souffre de déshydratation et, à bout de force, il est contraint d’abandonner…
Que recherchez-vous dans ces explorations sahariennes extrêmes?
J’aime la solitude de ce milieu, qui me confronte à mes forces et à mes faiblesses. Le Sahara est un véritable miroir. Il n’y a pas de faux-semblant, on ne peut pas tricher. Et puis il y a bien sûr aussi cet apprentissage de la survie que j’aime mettre en application, dans une démarche scientifique. Ces explorations me permettent notamment de collecter des informations pour des laboratoires publics de recherches sur les zones hyper hostiles et de notre capacité à nous y adapter.
Comment s’est terminée votre dernière aventure?
Ça faisait 4000 kilomètres que je marchais avec mes chameaux, que je montais très peu pour ne pas les fatiguer inutilement. Ce qui était une stratégie, pas forcément la meilleure dans certains endroits, mais je préférais préserver mes chameaux car dans le Sahara, si on les perd, on ne peut pas survivre. L’hiver avait été très chaud, avec seulement 15 jours de températures nocturnes sous les 10 °C. La déshydratation m’avait donc beaucoup épuisé, en plus de l’effort physique quotidien à fournir. Début mars, l’harmattan a commencé à souffler, entraînant les premières tempêtes de sable. J’ai été pris sans aucune visibilité dans des cordons dunaires qui m’ont obligé à suivre un trajet en dents de scie. Au lieu des 30 à 40 kilomètres habituels, je ne faisais plus que 20 kilomètres par jour avec la même quantité d’eau. Un matin, en me levant, je ne tenais plus sur mes jambes! C’était le signe d’une déshydratation avancée. J’étais pris de vomissements, j’avais la tête qui tournait, les sens brouillés et j’étais incapable de globaliser ma situation, de savoir quelle décision prendre. J’ai dû perdre connaissance deux ou trois heures. J’étais au seuil de la confusion mentale…
Quelle a été votre réaction?
Comme j’étais incapable de charger mes dromadaires pour repartir, je me suis enterré dans le sable et j’ai attendu! Il me restait encore 15 litres d’eau et j’étais à 100 kilomètres d’un puits. Il aurait fallu que je fasse 30 kilomètres par jour pour m’en sortir. Mais il ne me restait plus de nourriture pour les animaux à cause de la tempête de sable qui faisait s’envoler le fourrage. Il fallait que je prenne une décision, mais j’en étais incapable... J’ai alors appelé[1] l’équipe de soutien en France et décrit ma situation. Ils m’ont dit de déclencher les secours. Fort heureusement, une voiture se tenait en alerte, prête à venir me récupérer. Et c’est ce qui s’est passé 24 heures plus tard. Si j’étais resté là sans bouger, il me restait entre trois et quatre jours d’espérance de survie.
À quoi pense-t-on dans ce genre de situation?
Quand l’esprit est clair, il faut essayer de ne pas globaliser la situation, mais plutôt prendre les problèmes un par un, sinon on prend peur! N’étant pas sûr que les secours arriveraient à temps, je me suis filmé, comme une forme de testament, pour raconter ce que j’avais fait, où j’en étais et pourquoi j’avais déclenché mes balises. Plein de petits problèmes aggravaient ma situation : je n’avais plus de lunettes et mes yeux s’étaient irrités avec le sable, un de mes chameaux était malade… Ça plombe le moral! J’étais aux limites des compromis. Donc, je pense que j’ai bien fait d’arrêter!
Votre renoncement semble encore difficile à accepter…
Quand je prononce cette phrase « j’ai bien fait d’arrêter », je n’en suis pas encore persuadé! C’est dur de renoncer à l’aventure quand on a tout donné. J’ai vraiment eu l’impression d’aller au bout de moi-même… Alors, se dire qu’il faut arrêter, c’est difficile! Quand on rentre, on essaie de comprendre, de voir si on a fait des erreurs ou pas, puis on s’aperçoit que non. On se rend finalement compte que c’est la nature qui a été la plus forte, mais cette réponse ne satisfait pas complètement…
Qu’avez-vous appris sur l’homme?
Qu’il est très prétentieux et l’aventurier aussi! C’est bien de prendre une telle claque, ça remet à sa place! Je n’avais jamais réellement subi d’échec et cette première fois m’a fait atteindre mes limites. S’arrêter, c’est mourir, et si personne n’était venu me secourir, j’allais mourir! Pourtant, on imagine toujours qu’il existe une solution. J’ai peut-être eu cette folie d’envisager de continuer… D’ailleurs, dans le monde des explorateurs, beaucoup de gens meurent!
Les explorateurs n’ont-ils pas de limites?
L’homme n’est pas conditionné pour penser à la mort! On oublie aussi souvent que le mental décuple la volonté d’avancer, de supporter la douleur. Immergé dans l’action on ne pense qu’à survivre, car on a pas le choix de penser à autre chose! On peut aller très loin avec ce genre de pensée et parfois ça casse. Aussi, on est dans un tel état de stress que le cerveau et le corps baignent dans un cocktail d’adrénaline et d’endomorphine qui augmente les forces… Dans ces conditions, on s’épuise vite et la confiance exagérée en soi peut aussi s’avérer dangereuse.
Comment envisagez-vous l’avenir à présent?
Ce qui bouleverse ma vie aujourd’hui, c’est que je viens d’être papa! Désormais, je vois la vie autrement et ne pense plus prendre autant de risque. J’ai envie de transmettre à mon enfant mon goût du désert. Cela dit, plus le temps passe moins je suis fier d’être un homme… Nous sommes l’animal le moins adapté au milieu qui nous entoure et quand on ne s’adapte pas, on détruit!
[1]Régis Belleville était équipé d’un téléphone satellite et d’un GPS.
Plus d'infos sur www.regisbelleville.com