Shack à Réal : L’école l’hiver, autrement
Chaque hiver, le Shack à Réal accueille des étudiants pour leur faire vivre une expérience d’immersion en plein air, en Haute-Mauricie. Lui-même ancien participant, notre collaborateur accompagne ces petits groupes de privilégiés depuis dix ans. Il nous raconte ici ce qu’on y voit, ce qu’on y vit, photos à l’appui.
Ce matin de février, 26 étudiants de l’école secondaire Sophie-Barat attendent avec fébrilité l’arrivée du train. Entassés en bordure de la voie ferrée du quartier Ahuntsic, à Montréal, ils s’apprêtent à partir vers le Shack à Réal. Camp de chasse de Réal Savard, un professeur retraité, cette cabane, ce territoire boréal de la Haute-Mauricie se transforme depuis maintenant vingt ans en espace d’apprentissage, le temps d’un séjour. « On y fait l’école d’une autre manière », explique Éric Laforest, éducateur physique et guide d’aventure.
© François Léger-Savard
Bien emmitouflés et installés dans les abris qu’ils ont eux-mêmes construits, les participants se mesureront à dix nuits de camping d’hiver, une première pour plusieurs d’entre eux. Ils y découvriront une force et des capacités dont ils ignoraient l’existence, en se retrouvant loin de tous leurs repères et de leur quotidien montréalais, en réalisant qu’il y a du nouveau derrière chaque épinette. Un dépaysement apprécié par les étudiants et qui se fait trop rare dans leur parcours scolaire, disent-ils.
Certains anciens étudiants sont de l’aventure — j’en fais partie. Pour eux, pour moi, l’apprentissage se poursuit. On expérimente la tâche d’accompagner, de guider et de favoriser ces découvertes encore bien fraîches en mémoire.
Au cœur de ce vaste inconnu, les masques tombent, les êtres se dévoilent. Se développe au sein du groupe une impressionnante cohésion. Les tâches quotidiennes réclament cette unité additionnée d’une certaine autonomie : aller chercher de l’eau au ruisseau et la faire bouillir sur le feu, alimenter les poêles à bois, faire les repas, puis la vaisselle… Au sein de cette communauté éphémère, les distinctions n’importent plus : programme enrichi ou non, 4e ou 5e secondaire, religions et ethnies se fondent en un seul creuset.
© François Léger-Savard
Après quelques jours à œuvrer autour du refuge, la microsociété est bien établie : latrines en places, huttes de neige (quinzees) construites, toiles d’abris érigées, patinoire déblayée sur le lac, tente arctique (à mi-chemin entre yourte et tente prospecteur) dressée. Il reste maintenant tout un territoire à explorer.
Bientôt, une longue file de fondeurs s’élance sur le lac pour rejoindre les vallées avoisinantes, un périple où plusieurs traversent de denses forêts, dévorent les montées et dévalent les descentes. Un autre groupe a plutôt choisi l’aventure en raquettes. Avec Réal, âme dirigeante des lieux, ils vont arpenter les sentiers et apprendre à y trapper le lièvre. Ils y découvrent un homme connaissant d’où émanent des récits remplis de souvenirs. Son regard scrute cette forêt familière, chaque empreinte est l’occasion d’enseigner le territoire. C’est une rencontre sincère, un échange précieux.
© François Léger-Savard
Les fins de journée se passent sur la glace du lac Diamant, un tournoi de ballon-balai s’y déroulant tout au long du séjour. Les encouragements des élèves spectateurs qui résistent au froid, immobiles, font écho sur les épinettes gelées. Les équipes s’affrontent jusqu’aux dernières lueurs, puis filent au ruisseau. On y brise la glace et on s’y rince, à la limite entre l’hygiène et le défi personnel. Les soirées se déroulent au Shack, à la chaleur des poêles à bois. Le groupe mange, chante et rit. On joue aux cartes et on parle de la journée, de ce qui a été achevé et acquis. Autour de discussions quotidiennes, les échanges sont sincères, on prend le temps d’écouter.
Proximité humaine et vaste nature aidant, les dix jours ont passé à toute allure, tout comme le train à bord duquel le groupe prend maintenant place, pour le retour. Les joues sont encore rouges et chaudes, comme si le corps s’était déjà adapté à cette vie au fond des bois. Par la fenêtre défilent les kilomètres qui conféraient cet isolement. Les rails ramènent les participants à Montréal — leur corps, du moins; l’esprit est ailleurs. Les jeunes reviennent unis par ce qu’ils ont vécu et accompli.
© François Léger-Savard
L’échange se poursuit dans les wagons bruyants, des larmes perlent sur ces visages brillants. Le constat est unanime : l’expérience est fondatrice. On y retrouve l’estime qui manquait à certains, la communion qui faisait défaut chez d’autres, l’écoute dont les uns avaient besoin, l’espace pour être celui que d’aucuns avaient envie d’être. Ces étudiants, comme les précédents, profiteront de ce bagage dans divers aspects de leur vie.
Le Québec tente présentement de revisiter la façon de faire de ses écoles. « Milieu de vie », « écosystème scolaire » et autres appellations voient le jour pour redéfinir l’enseignement. Le trio Pierre Thibault, Pierre Lavoie et Ricardo Larrivée y va de son Lab-École afin de « concevoir l’environnement des écoles de demain ».
Mais à l’école secondaire Sophie-Barat, l’enseignement a pris la porte des salles de classe depuis bien longtemps déjà. Plus de trois cents jeunes ont à ce jour foulé ce territoire d’apprentissage qu’est le Shack à Réal, et ce ne seront certainement pas les derniers.
Le Shack à Réal en résumé
L’activité est offerte aux étudiants de 4e et 5e secondaire de l’école secondaire publique Sophie-Barat. Les candidats intéressés doivent rédiger une lettre de motivation afin de poser leur candidature. Il leur est également nécessaire d’obtenir l’accord de leurs professeurs pour s’absenter lors de quelques jours de classe et ils doivent s’engager à rattraper les notions qu’ils auraient manquées. Une sortie préparatoire est planifiée afin d’acclimater les jeunes aux rigueurs du camping d’hiver. Les étudiants doivent enfin payer le billet de train, les repas ainsi que le salaire du remplaçant durant l’absence en classe du professeur responsable du projet. L’enseignant s’assure de trouver des solutions si l’élève n’a pas les moyens d’assumer les coûts.