Le naufrage de Riot
Reine des rivières pendant une décennie, la compagnie québécoise de kayaks Voodoo Technologies vient d’être emportée par la crise financière mondiale. Retour sur un conte de fées qui se termine en naufrage.
Décembre 1998. Lorsque Corran Addison s’est avancé sur la ligne de départ des championnats du monde de Rotorua, en Nouvelle-Zélande, il savait que l’histoire du kayak de rivière allait changer. Après avoir observé ses concurrents multiplier les loops et les cartwheels, le Sud-Africain a poussé son Riot Glide au bas d’un rouleau, effectué un rapide mouvement avant-arrière et… a littéralement volé hors de l’eau! Le aerial venait de naître.
Plus court que ses rivaux, plus léger et plus agile, le kayak conçu par la compagnie québécoise Voodoo Technologies devenait la première embarcation à effectuer une figure aérienne lors d’une compétition officielle. Pas mal pour la compagnie fondée à peine un an plus tôt par Corran Addison et Jean-François Rivest.
Durant les dix dernières années, Voodoo Technologies a livré une féroce bataille à ses concurrents dans le monde du kayak d’eau vive. « Cinq ans après nos débuts, on se classait parmi les trois meilleurs fabricants au monde », se remémore Corran Addison, un Sud-Africain tombé amoureux des belles rivières du Québec.
Criblée de dettes et embourbée dans un transfert de production en Chine qui a mal tourné, la petite entreprise de Pointe-Saint-Charles a déclaré faillite en janvier dernier. Jean-François Rivest refuse toujours d’en parler : « C’est très difficile pour moi de voir cette aventure prendre fin. J’y ai mis 20 ans de ma vie! », a-t-il simplement répondu. En tout, c’est près de 4,2 millions de dollars que la compagnie de Jean-François Rivest et son associé Marc Pelland doit à ses créanciers. Pour les employés et les fournisseurs à qui l’entreprise doit de l’argent, « il est à peu près certain qu’ils ne recevront rien », dit Stéphane Lachance, l’un des syndics assignés au dossier Voodoo.
Au fil des ans, l’entreprise québécoise avait pourtant atteint un statut enviable par ses innovations. Au modèle Glide (le premier kayak à fond plat produit par Voodoo Technologies), s’est ajouté le Disco, le Magnum, le Techno… autant de bateaux (comme les nomment les concepteurs de kayaks) qui ont changé le visage de leur sport. « Nous avions toujours un an d’avance sur nos concurrents », assure Benoit Dargis, ancien designer en chef de Voodoo, qui a mis au point une quarantaine de matrices pour le fabricant de kayaks.
Un des avantages indéniables de Voodoo consistait en la présence d’une gigantesque rivière dans sa cour arrière. Avec un débit de 10 000 mètres cubes d’eau par seconde, les rapides de Lachine sont une véritable rivière géante. Les vagues déferlantes y sont énormes et provoquent des chandelles arrière, en plus de tordre les embarcations. Un endroit rêvé pour mettre à l’épreuve des embarcations. À tout moment, les concepteurs de Voodoo pouvaient hisser un prototype sur leur voiture et le tester dans les minutes suivantes. Idéal pour peaufiner les détails importants sur ces modèles haut de gamme. « Et c’est clair qu’on retournait dans les rapides après le travail! », ajoute Benoit Dargis.
Durant les années 2000, le succès de Voodoo sur la scène internationale est aussi lié à l’émergence dans Internet d’une communauté de véritable « tripeux de kayak ». « Corran Addison intervenait constamment sur les forums de discussion pour commenter le développement de nos nouveaux kayaks », explique Benoit Dargis. « Ça créait un buzz et les amateurs finissaient par avoir hâte de les essayer. »
Figure respectée du monde du kayak, vice-champion du monde et finaliste aux Jeux olympiques de Barcelone, Corran Addison a notamment détenu pendant 15 ans le record de la plus haute chute dans un kayak : un plongeon de 31 mètres réalisé à Tignes en 1987. « À une certaine époque, 99% des nouveaux mouvements introduits dans le sport étaient inventés par des membres de l’équipe Riot », ajoute fièrement Corran Addison qui a quitté Voodoo en 2004 pour fonder Imagine, une entreprise de fabrication de surf basée à Montréal.
Aux succès sportifs se sont ajoutés les trophées d’entreprises. Dans la seule année 2003, Voodoo a été honorée par le magazine Outdoor, la Banque de développement du Canada et l’Association canadienne de l’industrie du plastique. Le quotidien La Presse a aussi reconnu le génie des affaires de Jean-François Rivest en le nommant « Personnalité de la semaine ». Mais dix fois plus petite que ses rivales Dagger et Wave Sport, Voodoo Technolgies avait du mal à protéger ses innovations dans une industrie nautique où presque tout a déjà été breveté : « Devant les tribunaux, ils nous auraient eus à l’usure », dit Corran Addison.
Voodoo a tenté de se diversifier en lançant des gammes de kayaks récréatifs et de kayaks de mer. Un pari qui aurait pu être payant : ces embarcations représentent 90% du marché du kayak. Mais la manœuvre a eu pour effet de ralentir la production, d’augmenter le taux de rejet en usine et de diluer la marque. Moins rentable que ses concurrentes aux installations plus modernes, Voodoo a été frappée de plein fouet par la hausse du dollar canadien de l’an dernier et la crise financière américaine. « Leurs fournisseurs voulaient être payés d’avance, tandis que leurs détaillants se sont mis à demander six mois pour les rembourser », résume Steve Fisher, l’ex-capitaine de l’équipe d’athlètes commandités par Riot.
La liquidation des actifs de Voodoo Technologies s’est terminée en avril dernier. Mais selon plusieurs sources, Jean-François Rivest et son partenaire Marc Pelland seraient prêts à reprendre la production des kayaks Riot depuis la Chine. Le jour même où la faillite de Voodoo était déclarée, une demande d’enregistrement pour l’utilisation du nom Riot Kayaks a été déposée auprès d’Industrie Canada. L’an dernier, une trentaine de moules servant à fabriquer ces kayaks (d’une valeur entre 10 000$ et 30 000$ pièce) ont été déplacés en Chine, puis cédés au manufacturier Shutai Sports Goods en échange de sommes dues. S’il risque de devenir réalité, la viabilité de ce projet d’impartition est déjà mise en doute par certains : « Des kayaks, c’est rempli d’air et ça ne s’empile pas facilement dans un conteneur », dit Christian Elie, président de Pelican International. « Et ce n’est pas un produit pour lequel le coût de la main-d’œuvre est déterminant. Ceux qui savent compter comprennent que ce n’est pas viable. »
Un détaillant de Mascouche, Kayaks Junky, a pourtant affirmé qu’il recevrait bientôt des Riot 2009 en magasin. Le site Internet de la compagnie est toujours en ligne et plusieurs sources ont confirmé qu’une demi-douzaine d’employés de Riot se sont déplacés en Chine pour s’y installer et relancer la production. Reste à voir si ce fleuron de l’industrie du kayak québécois parviendra à traverser ce nouveau maelström.
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Site Web de Riot kayaks : www.apps-riot.com