Cannabis: sports sous influence
Le vent de la légalisation et la décriminalisation du cannabis souffle de plus en plus fort en Amérique du Nord. Les mordus de plein air, les sportifs de fin de semaine et même des athlètes professionnels pratiquent sous influence. Le phénomène soulève de nombreux débats. Est-ce que la consommation va à l’encontre de l’esprit du sport?
Aucune substance n’a été fumée, inhalée, mangée, ou absorbée au cours de la production de ce reportage.
Pierre B. se souvient de la première fois qu’un de ses potes lui a tendu un joint de marijuana. C’était en 2012, au pied du mont Sainte-Anne. Il sortait son vélo de montagne de sa voiture. « Essaie ça, tu m’en donneras des nouvelles! » D’ordinaire assez raisonnable, surtout avant une séance de sport, Pierre s’est néanmoins laissé tenter. « Jamais je n’avais aussi bien monté les côtes », se rappelle ce vététiste aux mollets affûtés. C’était la première fois qu’il roulait « gelé comme une balle ». Malgré l’irritation causée par l’inhalation de la fumée, il a adoré l’expérience. « Je survolais les sentiers, transporté par une énergie aussi débordante qu’inexplicable », décrit-il. Depuis, même s’il ne s’en vante pas, Pierre pédale régulièrement sous l’influence de la marie-jeanne.
Originaire des contreforts de l’Himalaya, le chanvre indien (Cannabis indica), dont les propriétés psychoactives sont connues de l’homme depuis environ 8 000 ans avant notre ère, a surtout été utilisé pendant des millénaires pour fabriquer des cordages, des espadrilles et des vêtements. Le recours à sa résine — riche en substances chimiques, dont le fameux tétrahydrocannabinol (THC) aux vertus psychotropiques, qui pensait-on permettait de se rapprocher des divinités — remonte lui aussi à des temps immémoriaux.
Marginal, vraiment?
Criminalisé au début du 20e siècle, le ganja est toujours considéré dans la plupart des pays comme une drogue illicite. Sur le continent américain, c’est l’Uruguay qui a été le premier pays à légaliser le cannabis en 2013. Plus récemment, l’Équateur et l’État du Colorado aux États-Unis ont légalisé sa production, sa vente et sa possession. Les États de Washington, de l’Alaska et de l’Oregon ont suivi et depuis, la substance effectue un retour en force au pays de l’oncle Sam où l’on accepte maintenant une possession maximale de 28 g et sa consommation pour les adultes de 21 ans et plus. Résultat : les langues se délient et les témoignages au sujet de la consommation du cannabis se multiplient; même chez les sportifs professionnels.
Dans un article paru en février 2015 dans le Wall Street Journal, on révèle que le psychotrope est très populaire parmi les ultra-marathoniens. Le coureur américain Avery Collins reconnaît y recourir pour mieux connecter son corps et la nature. « Les cieux sont plus bleus et les prés sont plus verdoyants lorsque je suis gelé », relate l’athlète de 22 ans. Même les sportifs œuvrant dans les grandes ligues comme la NFL (Ligue nationale de football) sont concernés. Selon plusieurs joueurs aujourd’hui à la retraite, de 10 % à 70 % des 1 700 joueurs de la Ligue utilisent le cannabis sous l’une ou l’autre de ses formes. Certains le consomment pour le plaisir. D’autres, pour s’aider à gérer les blessures inhérentes à leur sport. D’autres encore, pour apaiser les nombreux symptômes des commotions cérébrales.
« Des vertus incroyables »
C’est toutefois à l’athlète olympien canadien Ross Rebagliati que revient le titre du plus médiatisé fumeur de marijuana. Lors des Jeux olympiques de Nagano, en 1998, il s’est vu retirer, puis remettre, sa médaille d’or en surf des neiges – il avait été contrôlé positif à ladite substance. Aujourd’hui, il dirige Ross’ Gold, une compagnie basée à Whistler qui commercialise de la marijuana à des fins médicales. Fier porte-étendard du mouvement prolégalisation du cannabis, ce dernier croit fermement en ses vertus.
« Les cannabinoïdes que l’on retrouve dans la plante ont des vertus incroyables et particulièrement utiles pour les sportifs. Le cannabidiol, par exemple, aide à réduire l’inflammation et la douleur, un peu comme le ferait un analgésique. D’autres, comme le cannabinol ou le cannabigerol, diminuent le stress, et améliorent l’humeur », explique-t-il. Dans les faits, ce ne sont pas tous les extraits de cannabis qui, comme le THC, font « planer ». D’ailleurs, la plupart sont réputés inoffensifs.
Rebagliati va même jusqu’à recommander la marijuana à tous les athlètes, peu importe leur discipline et leur niveau de pratique sportive – mais pas chez les jeunes et les adolescents dont le cerveau se développe encore. « Je pense qu’il est temps de remiser le stéréotype du fumeur fainéant aux yeux rougis et prisonnier de son divan. C’est une conception dépassée. La preuve : plusieurs, comme moi, en consomment quotidiennement tout en vivant une vie active et bien remplie! », s’exclame l’entrepreneur de 44 ans.
On ne rit pas
Or, les autorités sportives ne rigolent pas avec l’herbe. Depuis le 28 avril 1998, suite à l’affaire Rebagliati, le Comité international olympique (CIO) l’a interdit dans toutes les compétitions. En 2004, l’Agence mondiale antidopage (AMA) a aussi classé la marijuana dans la liste des substances prohibées. Au-delà du seuil de 150 ng/ml de THC dans l’urine, niveau à partir duquel un athlète est considéré comme positif au produit dopant, l’AMA estime que la substance représente un risque pour la santé de l’athlète puisqu’elle nuit à la prise de décision et à la vigilance. Mais surtout, la fondation internationale indépendante y voit une manière d’améliorer les performances sportives.
« Ces avantages se traduisent surtout en une désinhibition face à la peur ainsi qu’une plus grande créativité », explique Paul Melia, président-directeur général du Centre canadien pour l’éthique dans le sport (CCES). Concrètement, cela permettrait aux athlètes de s’aventurer au-delà des limites traditionnelles du risque, comme lors d’une descente à ski par exemple.
Une opinion que ne partage pas la Dre Christiane Ayotte, directrice du laboratoire de contrôle du dopage du Centre INRS-Institut Armand-Frappier. « Je ne suis pas persuadée que ça augmente les performances, ni même que ce soit si efficace que ça », affirme-t-elle. Selon elle, les quelques études qui se sont intéressées au sujet datent et, pour la plupart, confirment « ce que l’on sait déjà », soit que la marijuana a des effets à la fois relaxants et euphorisants.
« De toute façon, ce n’est pas une drogue de performance pour laquelle j’ai beaucoup d’intérêt, avoue la spécialiste internationale de la lutte contre le dopage. Après tout, ce n’est pas de l’érythropoïétine (EPO), ni des stéroïdes, ni des hormones de croissance. Il faut fouiller beaucoup et couper les cheveux en quatre pour trouver des liens entre cannabis et performances! »
À l’entraînement
Pourtant, Clifford Drusinsky, lui, trouve de nombreux avantages à la marijuana. Dans un article paru en 2013 dans Men’s Journal, le triathlonien de 39 ans raconte comment une barre énergétique contenant de la marijuana lui permet, à raison de 4 à 6 fois par semaine, d’enchaîner une heure de natation avec trois heures de vélo ou une course à pied de 20 km. « Lorsque je suis high, je m’entraîne plus intelligemment et je suis plus conscient de ce que je fais », assure le propriétaire du gym de Denver F.I.T.S. Conditionning. Sans surprise, ce dernier proclame les vertus du cannabis auprès de sa clientèle.
Comme Drusinsky, Louis-Jean D. ne rechigne pas à l’idée de fumer un joint avant d’aller à l’entraînement. « Quand j’en consomme avant d’aller soulever de la fonte à la salle de musculation, je suis davantage concentré sur mes mouvements. Je sens mes muscles travailler sans que je sois tenté de compenser mes efforts avec des mouvements parasites, dit ce Montréalais habitué aux vitamines, shakes et autres suppléments. En fait, j’ai l’impression d’être comme un robot, une machine à la précision infaillible et à la résistance infernale ». Lui aussi trouve son entraînement plus efficace sous influence.
C’est peut-être là un des plus grands paradoxes de cette drogue : interdite en compétition, elle est néanmoins fort populaire à l’entraînement, où, dit-on, elle améliore le rendement. C’est ainsi que Ross Rebagliati, jadis, l’intégrait dans sa pratique sportive. « Le cannabis m’aidait à être l’athlète que je voulais être. Consommer me permettait de m’entraîner et de rester motivé pour affronter la routine quotidienne d’un athlète olympien. Mes doutes et mes remises en question étaient atténués par l’inspiration et la passion qui découlaient de ma consommation », lance-t-il.
Un jour, peut-être
Le mouvement international de légalisation et de décriminalisation du cannabis s’étendra-t-il un jour à la sphère sportive? Si les autorités sont sceptiques – « je doute fortement que le poids de la preuve scientifique soit suffisamment lourd pour en arriver là », croit Paul Melia, du CCES —, les principaux intéressés, eux, le souhaitent ardemment. D’après eux, ce n’est qu’une question de temps avant que le cannabis soit traité comme l’est, par exemple, la caféine.
C’est en tout cas ce que pense Rebagliati. D’après lui, ces deux drogues sont tout aussi inoffensives l’une que l’autre. Consommées à des doses excessives, elles causent de désagréables effets secondaires. Mais, à des quantités normales, on peut en tirer certains plaisirs et des bénéfices qui aident à mieux fonctionner. Il pense que le traitement diamétralement opposé que l’on réserve à ces deux substances s’explique simplement par le catalogage qu’on en fait, et non par leurs propriétés réelles.
« Nous sommes très prompts, au Canada comme aux États-Unis, à accoler une étiquette a priori négative au cannabis, remarque-t-il. C’est cette stigmatisation qui, au final, amène les athlètes à se cacher pour consommer, de peur de perdre leurs commanditaires ou de se faire réprimander. »
C’est ce qui lui était arrivé en 1998 à l’issue à l’issue de son contrôle positif. En 2009, Michael Phelps a aussi subi de telles conséquences pour avoir été photographié alors qu’il se servait d’une pipe à eau, ou bong. Contrairement à Rebagliati, certains commanditaires, dont Speedo, Omega et Visa, lui étaient toutefois restés fidèles. Signe des temps qui changent?
En attendant ces « jours meilleurs », il y a fort à parier que plusieurs sportifs, amateurs comme professionnels continueront de consommer du cannabis et de planer de plaisir en pratiquant leur sport favori.
Proche du nirvana
Lorsque l’on pratique une activité sportive intensément, l’organisme sécrète des cannabinoïdes endogènes, ou endocannabinoïdes. Ces derniers, dont les modes d’action sont presque identiques à ceux du THC, la molécule psychoactive du cannabis, sont responsables de l’euphorie qui gagne, entre autres, les coureurs. Fumer un joint n’est donc qu’un moyen d’atteindre plus rapidement, et sans le « désagrément » de l’entraînement, cet état approchant le nirvana.
Statistiques
7 Canadiens sur 10
Sont en faveur de la légalisation ou de la décriminalisation pour de petites quantités de cannabis, selon un sondage réalisé par le ministère de la Justice du Canada en juillet 2014.
2 863 695
2 863 695
Nombre de Québécois qui ont avoué avoir consommé du cannabis au moins une fois dans leur vie selon Statistiques Canada, en 2012.
2e
2e
Les Québécois sont les deuxièmes plus grands consommateurs de cannabis après les Ontariens. En 2012, 4 386 897 d’entre eux ont avoué en avoir déjà consommé.
15 ng/ml
15 ng/ml
Ancien seuil de tolérance au cannabis de l’AMA. Ce dernier a été relevé à 150 ng/ml en 2013 afin d’éviter les tests positifs après un usage récréatif plusieurs semaines avant les compétitions.
17,8 ng/ml
17,8 ng/ml
Quantité de marijuana retrouvée dans les urines de Ross Rebagliati en 1998.
85
85
Sortes de cannabinoïdes connues à ce jour.
400
400
Nombre de composés chimiques contenus dans la plante.
http://www.cancer.ca/fr-ca/cancer-information/cancer-101/what-is-a-risk-factor/tobacco/smoking-marijuana/?region=qc
Si une performance devient améliorée, donc ce n'est pas naturel. Le pot doit être interdit.
Tellement en accord avec le commentaire de telemark101 sur l'influence d'un article semblable.
Le sport performance est un problème en soi. Quelle influence votre article aura-t-il chez les jeunes en soif de performance?
Si un joint peut-être récréatif, l'inclure dans une routine d'entrainement conduit à une routine de dépendance.
Il y a 3 effets à la prise de pot.
1. l'effet euphorisant qui s'atténue avec le temps
2. l'effet dépressif qui augmente avec le temps
3. inhalation de goudron qui conduit à des problèmes de santé.
Votre article mélange le sport de plaisance et le sport de haut niveau.
Que Dre Ayotte ait d'autres priorités, je comprends. Elle gère des gens qui sont prêt tout pour gagner, même à mourir.
Où est la voix d’un intervenant en santé publique. Laisser Ross Rebagliati être l’expert ça manque de crédibilité.
Est-ce que la consommation va à l’encontre l’esprit du sport? Je m’en fou un peu.
Est-ce que la consommation régulière mène à une dépendance qui a des impacts dans la vie des gens. Ça j’en suis certain.
La Mari n'est pas recommandable selon moi.
Il y a un équilibre entre la criminalisation et encourager «la marijuana à tous les athlètes, peu importe leur discipline et leur niveau de pratique sportive »