Tourisme autochtone : aux sources du territoire
Pandémie ou pas, le tourisme autochtone est en hausse partout au Québec. Outil de développement économique, il est aussi, pour les communautés, l’instrument d’une affirmation identitaire. Et même, un gage de réconciliation entre les peuples.
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Unamen Shipu, Basse-Côte-Nord, île Apinipehekat. La faible brise marine balaie les maringouins tout le long du littoral qui s’effiloche à perte de vue, dans le golfe du Saint-Laurent. Des centaines d’îles à la ronde sont tapissées de toundra rougeoyante.
Tourisme Winipeukut Nature, une toute nouvelle entreprise innue, y a installé un campement de tentes prospecteur, avec un shaputan en guise de tente-cuisine. Pour s’y rendre, 20 minutes en zodiac suffisent depuis le village. Une fois sur l’île, les visiteurs enchaînent les activités — randonnée hors-piste, observation des oiseaux marins, partie de pêche — et les moments de partage, surtout autour du feu. Depuis cette année, des retraites bienêtre sont également offertes sur le site.
Unamen Shipu © Tourisme Winipeukut Nature
Il y a toujours un filet de saumon qui fume au-dessus des braises ou une bannique qui cuit près du feu. Un sacré beau décor pour un party de cuisine à ciel ouvert. Joséphis, un aîné de la communauté, a apporté son teueikan, le tambour sacré, et murmure des poèmes que ses rêves lui ont transmis. Les jeunes guides innus écoutent attentivement dans l’épaisseur de la nuit
Un secteur porteur de croissance
Le cas d’Unamen Shipu n’est qu’un exemple. « Nombreuses sont les communautés des 11 nations autochtones du Québec à miser sur le tourisme comme outil de développement socioéconomique, affirme Patricia Auclair, chez Tourisme Autochtone Québec. En à peine plus de cinq ans, le nombre d’entreprises touristiques y est passé de 154 à 223 et ce chiffre est en augmentation constante. C’est une nette orientation choisie par les conseils de bande pour créer des emplois durables. »
Ces dernières années, des communautés atikamekws, comme Wemotaci (Mauricie), ou micmacs, comme Gesgapegiag (Gaspésie), ont reçu des subventions de Développement économique Canada pour bâtir un tout premier projet touristique. (Pour qu’une entreprise soit considérée comme autochtone, au moins 51 % de ses parts doivent être détenues par un Autochtone.) Et le résultat compte dans la balance, puisque le tourisme autochtone rapporte annuellement à l’économie québécoise plus de 169 millions de dollars.
© Domaine Notcimik
Son attrait auprès de la clientèle se confirme; c’est l’une des « 14 expériences à vivre au Québec », selon l’Alliance de l’Industrie touristique du Québec. Et la réponse est bonne : ils étaient 816 000 à vivre une expérience du genre en 2011. Ils sont aujourd’hui plus d’un million deux cent mille chaque année.
Si la pandémie n’a pas fait chuter ce chiffre, celle-ci a modifié le profil des visiteurs. Avant la crise sanitaire, c’était surtout des Européens, Français ou Allemands, qui venaient se frotter à la culture des « Indiens ». Fermeture du tourisme international oblige, cette clientèle a totalement disparu pendant deux ans, au profit des Québécois. «Dès le début, nous nous sommes réorientés vers les visiteurs du Québec et la réponse a été très bonne, explique Andrew Germain, chez Tourisme Autochtone Québec. En revanche, dans les communautés éloignées, comme au celles du Nunavik ou de la région Eeyou Istchee, plus vulnérables, le tourisme a baissé significativement.»
Une observation que constate aussi Alain Castonguay, du Domaine Notcimik, en Haute-Mauricie : « On voit de plus en plus de Québécois, surtout de la région de Montréal, venir chez nous pour des séjours de plusieurs jours ».
Le tourisme comme outil de réconciliation entre les peuples? Certainement.
Puiser dans les racines
« Le tourisme est aussi un instrument de transmission intergénérationnel, un vecteur de traditions », ajoute Patricia Auclair. À condition de miser sur l’authenticité. Pas de totems ni de capteurs de rêves à gogo sur le site Apinipehekat. Le campement n’est pas une reconstitution folklorique, mais un retour aux sources au cœur du Nitassinan. C’est précisément cet écho de vérité qui fait toute la force de ce tourisme expérientiel, qui se construit sur le principe de l’authenticité et du réveil des traditions.
Rappelons que l’épisode des pensionnats a eu plus d’un effet regrettable; il a aussi créé une rupture culturelle, une perte de la langue pour beaucoup et une crise identitaire collective. Donner à voir le territoire et la culture aux visiteurs revient à réactiver un sentiment d’appropriation, notamment chez les jeunes.
© Kinawit
Un jeune guide autochtone initié aux techniques ancestrales de survie, à la connaissance des herbes médicinales ou à la tente à sudation, ça fait un maillon de plus à la courroie de transmission culturelle. Et ça contribue à réveiller le sentiment de fierté qu’on voit émerger de plus en plus dans les communautés. D’ailleurs, un site touristique, surtout en région éloignée, cumule les missions. Comme le Domaine Notcimik, en Haute-Mauricie.
« Nous recevons des gens des communautés qui veulent faire des séjours de ressourcement de quelques jours avec des membres du conseil de bande et des aînés », explique Alain Castonguay. Chez Kinawit, à Val-d’Or, « le site sert aussi de lieu de guérison pour Femmes Autochtones du Québec », explique Roxanne Labbé, la coordonnatrice de Kinawit. Un tout nouveau programme de réinsertion vient aussi d’y voir le jour : trois semaines de formation pour réussir sa cinquième année du secondaire et s’immerger en milieu naturel avec étude en tente-cabine et nuit en tipi. Une école, à plus d’un titre, pour réapprendre qui on est.