Anticosti, l’île mystérieuse
Lointaine, méconnue, sauvage… l’île d’Anticosti fascine. Des épaves, des grottes, des canyons arides et un village abandonné constituent les vestiges de cette île aux cent visages.
Le ciel est noir et se zèbre d’éclairs à un rythme régulier. Dans cette tempête de pluie et de vent qui touche depuis ce matin le sud de l’île d’Anticosti, on plonge dans l’atmosphère chaotique qu’ont dû connaître les navigateurs qui ont fait naufrage sur ses côtes. Immense obstacle au milieu du fleuve, Anticosti n’a pas été surnommée le « cimetière du golfe » sans raison. Depuis sa découverte par Jacques Cartier au 16e siècle, l’île aurait recueilli sur ses plages les débris de 400 bateaux naufragés. De cette réalité sont nées beaucoup d’histoires, certaines devenues légendes au fil du temps. La pire d’entre elles remonte à plus de quatre siècles, lorsqu’un navire de retour vers la France fit naufrage un hiver sur la côte d’Anticosti lors d’un violent orage. L’un des rescapés aurait succombé au cannibalisme pour vaincre sa faim. On raconte qu’on l’aurait retrouvé mort d’une indigestion. Des légendes comme celle-ci, il en existe une dizaine sur Anticosti. De quoi éveiller l’attention des visiteurs de l’île pendant une veillée au coin du feu.
Ce qui est particulier sur cette île, c’est que chaque attrait est justement propice à une telle histoire. À Chicotte-la-mer, les os gigantesques de Pita immortalisent l’échouage de cette baleine il y a 20 ans. À Pointe-Carleton, on dort dans un camping qui surplombe l’épave du Wilcox échoué là en 1954. À Baie Sainte-Claire, les deux dernières maisons abandonnées de l’ancien village de l’île servent de décor d’épouvante aux marches de fin de soirée.
Les cent visages d’Anticosti Pour la plongée sous-marine : la température de l’eau oscille autour de 4°C et il n’est pas rare de croiser sous l’eau des homards dont les pinces peuvent avoir la largeur d’une main d’homme. Vraiment! Les côtes recèlent des trésors sous-marins uniques… La plongée s’effectue à partir d’un bateau et nécessite une très bonne connaissance de la discipline et des lieux. Pour le vélo : la location de vélos à Port-Menier permet de faire de belles randonnées. La route anticostienne n’est pas recommandée, mais les sentiers parallèles promettent une belle exploration de l’île (80 km de sentiers environ). Pour le kayak : le tour complet de l’île demande une quarantaine de jours de navigation. Avis aux amateurs! Il est possible de faire également des excursions plus courtes par ses propres moyens (pas de location de kayak sur l’île) en réservant des emplacements dans les différents campings. Pour l’équitation : rendez-vous au centre de services de Chicotte-la-mer, une dizaine de chevaux attend de randonner sur la plage et dans les sentiers au bord de la rivière Chicotte et la rivière aux Plats. Randonnées guidées de 1 à 2 heures (28 $/heure + taxes). Pour la randonnée pédestre : une vingtaine de randonnées sont possibles sur l’île. Les incontournables sont le sentier menant à la Grotte-Patate, celui du canyon de la chute Vauréal et le sentier des Télégraphes pour la vue sur baie de la Tour (sentiers entre 1 km et 24 km). Une longue randonnée à Anticosti Ne vous emballez pas, l’ouverture du sentier de longue randonnée à Anticosti n’est pas prévu avant au moins cinq ans. Mais il promet déjà de belles heures de marche et de découverte. Long d’une trentaine de kilomètres (aller seulement!), le sentier de la Sentinelle longera la côte nord de l’île en partant de la baie de la Tour pour se rendre à Vauréal-la-mer. Le parcours empruntera les sommets des falaises et offrira des points de vue saisissants sur la côte bleu émeraude. L’équipe de la Sépaq Anticosti a tout juste démarré la caractérisation du terrain l’été dernier. De niveau intermédiaire à avancé, le sentier proposera l’hébergement en camping rustique au niveau de l’Anse du sentier vert, déjà utilisé par les kayakistes. Une longue randonnée pour les amateurs d’efforts continus et de merveilles sauvages! Pratico-pratique : - Pour accéder à l’île, deux choix : par avion à partir de Mont-Joli en forfait de 3, 4 ou 7 jours proposé par la Sépaq (départ de Québec ou Montréal avec supplément); ou par bateau à partir de Sept-Îles ou Rimouski plusieurs fois par semaine (seule manière pour apporter son kayak ou son vélo). - La Sépaq gère environ la moitié des territoires pour la chasse et la pêche (au saumon surtout) ainsi que le Parc national d'Anticosti. Des pourvoiries privées gèrent le reste du territoire. - Sépaq Anticosti offre trois types d’hébergement sur l’île : trois campings (presque déserts) à Wilcox, Chicotte et Baie-de-la-Tour, une vingtaine de chalets (de 4 à 12 personnes) sur plusieurs sites de l’île et quatre auberges, à Port-Menier, McDonald, Chicotte et Jupiter-12 (repas compris selon les forfaits). - Interdiction d’amener votre chien sur l’île. Ce règlement a été imposé par M. Menier pour protéger les cerfs et il est toujours en vigueur aujourd’hui ! |
Pour profiter d’Anticosti, il ne faut pas avoir peur de parcourir des kilomètres de sentiers en auto. Le mot auto étant un euphémisme, il s’agit plutôt d’un 4x4 équipé d’un pare-buffle couvert de boue. Des quantités de pierres et de poussière volent à chaque passage. De Port-Menier à la baie de la Tour, au nord de l’île, il faut compter 180 km, soit 4 heures de route. Mais une fois sur place, le secteur offre un paysage à couper le souffle avec ses immenses falaises de part et d’autre de la baie. Le sentier des Télégraphes (5 km) trace un parcours à travers la forêt boréale percée de trouées ouvertes sur l’horizon. Des formes dans l’eau se révèlent être des phoques gris faisant les morts sur le dos pour se chauffer le ventre. Cette espèce vient se reproduire dans les « échoueries » du golfe du Saint-Laurent et particulièrement à Anticosti, réputée pour sa grande quiétude. Pour mieux observer la faune marine, on peut longer la côte en kayak de mer. Hormis ces petites colonies de phoques, on peut, selon la saison, y apercevoir beaucoup de baleines. L’eau de la baie fascine par sa couleur turquoise et des bancs de capelans viennent faire miroiter leurs nageoires à quelques pieds de la plage. Il est aussi possible de parcourir les côtes en vélo, celle du nord met en perspective ses falaises, tandis que la côte sud offre de magnifiques plages bordées de sapins.
La faune est peu farouche sur l’île d’Anticosti : lièvres et renards courent à côté des véhicules tandis que les pygargues planent majestueusement au-dessus du territoire. Les cerfs envahissent les forêts et même les jardins des habitants de Port-Menier! On en croise partout et leur présence, qui paraît au début insolite, devient à la longue presque banale. La faute en revient à Monsieur Menier, célèbre chocolatier français, qui a acheté l’île d’Anticosti à la fin du 19e siècle pour en faire son terrain de chasse privé. Il y a importé des cerfs de Virginie en grande quantité et a fait disparaître les prédateurs potentiels (l’ours particulièrement) afin de préserver son troupeau. Aujourd’hui, la faune a été autant modifiée que la flore. Le cerf est devenu un animal diurne par manque de prédateurs et il a quasiment fait disparaître les feuillus, dont il raffole, au profit des épinettes, moins comestibles, qui ont envahi le territoire et donnent à l’île le visage qu’on lui connaît.
Pour les amateurs de grand air, direction le canyon de la chute Vauréal. Les forêts à perte de vue laissent place à une faille rocheuse monumentale dans le secteur nord de l’île. Une randonnée épique mène au cœur de cette vallée digne du Colorado et du Grand Canyon. On marche pendant sept kilomètres (aller-retour) les pieds dans l’eau calme et fraîche de la rivière. De part et d’autre, des falaises de calcaire amoncelé là depuis des millénaires nous creusent la voie. Petit à petit, un brouhaha infernal monte des parois du canyon et annonce la dimension de ce que l’on va découvrir : une chute incroyable qui crache son eau avec fureur dans un décor sauvage et vierge. Deuxième plus haute chute au Québec (après celle de Montmorency), la chute Vauréal est la cerise sur le gâteau anticostien.
Si l’île est dotée d’une nature unique, on est encore loin d’avoir tout parcouru. Pierre Pitre, le directeur de Sépaq Anticosti estime que seuls 80 % du territoire ont été explorés. Les 20 % restants permettent de laisser libre cours à l’imagination. Certains sites n’ont d’ailleurs été découverts que récemment par des gardes de chasse. C’est le cas de la grotte Patate qui promet une randonnée des plus spectaculaires. À proximité du secteur McDonald, au nord de l’île, il faut emprunter un sentier d’approche escarpé, franchir à deux reprises une rivière et parcourir un sentier de pierres pour arriver au pied de la grotte Patate et de sa bouche de plus de 10 mètres de hauteur. Découverte en 1980, cette caverne est depuis le joyau spéléologique de l’île. Muni d’un casque et d’une lampe frontale (obligatoires, disponible au centre de services McDonald), on arpente la première salle aux dimensions d’une cathédrale avant de s’enfoncer dans des boyaux de plus de 500 mètres sous terre. Pourquoi la grotte est-elle demeurée inconnue si longtemps? On ne peut faire que des hypothèses, nous indique la Sépaq. Il est possible qu’une forêt beaucoup plus dense ait pu en cacher l’entrée. De plus, en 1955, un terrible incendie a ravagé cette partie de la forêt, réduisant ainsi la circulation dans ce secteur. L’île d’Anticosti est un immense territoire où les phénomènes géologiques sont variés et omniprésents. Il est très probable qu’il y ait d’autres grottes sur l’île, dans l’attente d’être découvertes. Cette île demeure donc, aujourd’hui encore, bien mystérieuse…