Hawaï : Ces petits détails qui mènent (parfois) à la catastrophe
Quand les mauvaises décisions s’accumulent, le pire est peut-être à venir, et le point de non-retour est parfois proche. À moins que… Récit d’une rando qui aurait pu mal tourner.
Épuisée, hypoxique et les larmes aux yeux à 3700 mètres d’altitude, Mélanie ne la trouvait plus drôle.
Moi non plus d’ailleurs. En moins de 20 minutes, nous venions de passer d’une spectaculaire balade à un scénario quasi catastrophe sur les flancs d’un volcan de Big Island, à Hawaï.
Égarés? Pas réellement. Mais le temps commençait sérieusement à presser sur les flancs du Mauna Loa, haut de 4169 m. Maux de tête lancinants, nausées… Il fallait conclure notre descente au plus vite avant que les choses ne se compliquent davantage.
Sauf qu’en espérant économiser du temps, nous avions quitté la relative sécurité du sentier et ses cairns en roches volcaniques pour un chemin de quatre roues en gravier. Une piste moins accidentée et plus facile à suivre qui menait assurément quelque part plus bas, mais apparemment pas où nous souhaitions aboutir…
Dans l’air raréfié depuis trop longtemps, nous étions maintenant incertains à savoir si nous devions persister ou plutôt rebrousser chemin jusqu’à la jonction du sentier, derrière nous à 3800 mètres d’altitude. Dans la lumière descendante de cette fin d’après-midi et seuls sur le volcan, il fallait se rendre à l’évidence : nous étions dans le trouble.
Mais comment cela avait-il pu débouler si vite?
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En plein air, la catastrophe nous tombe parfois dessus de manière brutale et inattendue. Une lourde chute en vélo de montagne, une avalanche qui balaie une pente, une tempête qui s’amène plus vite que prévu.
Mais la plupart du temps, ce sont les petits détails, ces petits imprévus sans conséquence apparente, qui s’additionnent et qui font soudainement tout basculer.
Ce départ matinal trop tardif ou bien la route plus longue qu’on le croyait et qui nous amène à finir la journée à la frontale — encore faut-il l’avoir apportée!
Cet imper-respirant oublié à la voiture et que l’on décide de ne pas aller chercher pour ne pas faire attendre les copains, mais qui nous manque cruellement sous cette pluie froide qui tombe sans avertissement.
Ce moment qu’on ne prend pas pour faire le point sur notre position en randonnée. Cette carte trop sommaire pour l’endroit visité. Et ce doute que l’on ne partagera pas parce que nos compagnons d’aventure doivent « forcément savoir mieux que nous » où l’on est… jusqu’à preuve du contraire.
Quoi d’autre? Ce plein d’essence qu’on aurait donc dû effectuer avant de prendre un interminable chemin forestier, trop excités à l’idée de découvrir une nouvelle rivière.
Ce radio VHF déchargé au milieu du fleuve, dont les piles de rechange sont restées… sur le comptoir de la cuisine. Ou ce foutu briquet oublié dans les poches d’un autre manteau. Pour certains, la bévue signifiera simplement manger froid et mettre une croix sur les pâtes al dente. Pour d’autres cependant, la possibilité — ou non — d’allumer un feu deviendra une question de vie ou de mort.
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L’altitude m’a frappé d’un coup. Comme si j’avais la tête plongée sous l’eau. Toute la belle énergie que j’avais jusque-là s’est soudainement évaporée. J’étais à mon tour en difficulté.
Impossible de nier que j’avais poussé Mélanie au-delà de ses forces alors qu’elle connaissait une mauvaise journée. Ça devait bien faire plus de trois heures qu’elle tentait de me faire comprendre, en vain, que la plage aurait été une bien meilleure idée.
Mais bon, un coup d’œil sur la caldeira d’un volcan n’est pas donné tous les jours. Et pour s’y rendre, à 4000 mètres, il faut en faire l’effort… En motivateur mal avisé, j’avais su convaincre Mélanie de ne pas s’écouter et de continuer à grimper. En partenaire déterminée, elle avait persisté pour ne pas gâcher cette aventure hawaïenne à laquelle elle savait que je tenais.
Mon cerveau ralenti par le manque d’oxygène, j’ai constaté trop tard que nous avions tous les deux dépassé les frontières du raisonnable. Le mal était fait.
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En terrain d’aventure, les problèmes surviennent souvent dans une cascade d’événements qui se présentent comme une tempête parfaite.
Un groupe ralenti par un membre de la bande. Juste assez pour ne pas s’en préoccuper, mais suffisamment pour qu’au fil de la journée, tout soit plus compliqué, plus risqué.
Pour tenter de maintenir la cadence, le retardataire fournit un effort qui le met à mal. Le plan de match du groupe est modifié. Un petit pépin et tout peut basculer.
Des réserves d’eau qui finissent par manquer. Des randonneurs qui se retrouvent séparés. Puis une cheville foulée qui se transforme en une tout autre urgence tandis que la nuit tombe et que la troupe, fatiguée, se retrouve à faire des heures supplémentaires pour se sortir du pétrin.
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L’antenne de la station de recherche où notre Jeep nous attendait semblait pourtant si près. Mais la coulée de lave refroidie de l’éruption de 1984 sur le Mauna Loa nous en séparait. Y naviguer nous aurait pris un temps incalculable, possiblement à la frontale, sans compter les risques de s’y blesser en traversant pareil sol miné.
Continuer vers l’inconnu? Remonter? Avant d’ajouter à la cascade de mauvaises décisions et de s’y noyer, il fallait penser vite et bien.
Puis, je me suis souvenu de ce conseil de mon ancien professeur André-François Bourbeau. Cette simple cigarette que le spécialiste de survie suggérait de mettre dans les trousses d’urgence des fumeurs.
Un petit sept centimètres de tabac et de papier, mauvais pour la santé, mais parfait pour ne pas céder à la panique et prendre le temps de réfléchir. C’est l’image qui doit rester : toujours commencer par en griller une — au figuré pour les non-fumeurs — quand les choses se compliquent.
Après réflexion, nous étions toujours incapables de déterminer avec certitude où la piste en gravier allait nous mener. La seule option était donc de rebrousser chemin en acceptant que notre malaise lié à l’altitude n’allait pas s’améliorer avant un moment. Une trentaine de minutes à remonter vers le croisement du sentier, le souffle court et les batteries à plat.
Une solution pénible, mais assurément la bonne. L’enchaînement de mauvaises décisions était enfin renversé. Car c’est de ça qu’il est question. Trouver cette capacité à endiguer les événements en cascade quand ils deviennent problématiques. Encore mieux, les voir venir pour ne pas leur donner de l’élan.
Aiguiser cette lucidité qui permettra de prévoir le pire des scénarios et de s’assurer qu’il ne se produise pas. Pouvoir s’adapter aux situations et aux contraintes. Ajuster les plans dans l’action pour ne pas se faire prendre au dépourvu par de petits pépins qui deviennent soudainement de gros problèmes.
Bref, savoir retrouver le bon sentier quand l’aventure nous fait prendre un mauvais détour.