Terre-Neuve-et-Labrador : road trip en quête d’icebergs
L’été dernier, notre collaborateur et sa conjointe ont sillonné Terre-Neuve-et-Labrador (et un peu la Basse-Côte-Nord) en quête d’aventure, de dépaysement et surtout d’icebergs. Compte rendu d’un road trip rempli de grands frissons.
On pense des icebergs que ce ne sont que des masses inertes de glace. Rien n’est moins vrai. L’iceberg vit, grandit, se transforme et meurt en une longue agonie, au bout d’un incroyable voyage.
Sur les côtes du Labrador et de Terre-Neuve, il fascine jusqu’à l’obsession de plus en plus d’observateurs : les chasseurs d’icebergs. Des passionnés enthousiastes qui cherchent parfois à voir l’autre versant de la montagne de glace. Veulent s’en approcher. Sentir le froid. Entendre le pétillement de la glace fondante. Surprendre ses mouvements. Et surtout, suivre le chemin de ces cathédrales blanches jusqu’à leur dissolution.
C’est ce que ma conjointe et moi avons fait l’été dernier, en nous lançant à bord de notre petit VR chapeauté d’un gros kayak tandem sur le toit, dans un extraordinaire road trip de 7000 km.
Cap sur Iceberg Alley
L’ouverture récente du prolongement de la route 500, la Trans-Labrador Highway, permet désormais d’aller en voiture à la rencontre des icebergs, depuis la Côte-Nord.
De Baie-Comeau, nous avons d’abord mis le cap pour Manic-5 et les monts Groulx, jusqu’à Fermont. Nous avons ensuite gagné le Labrador jusqu’à Goose Bay, où débute la fameuse section de gravier de la route 500, qui rejoint la Labrador Coastal Drive (510) jusqu’à Blanc-Sablon. De là, nous sommes passés à Terre-Neuve pour explorer les dentelles côtières du littoral est. Le tout en une dizaine d’étapes inoubliables, parfois décevantes, souvent merveilleuses, qui nous mettront en contact avec les icebergs.
Cartwright
Au moment d’atteindre le point le plus nordique touché par la route sur la côte labradorienne, 2000 km se sont additionnés au compteur depuis Chicoutimi, point de départ de notre périple. Cartwright, à la fois village portuaire et ancienne base militaire, est situé à l’embouchure de la baie Sandwich.
Ce jour-là, Pete et George Barrett, un couple de vieux hippies propriétaires de la pourvoirie d’aventure Experience Labrador (experiencelabrador.com), ne peuvent nous emmener kayaker au large des 50 km de plages sablonneuses du nouveau parc national des monts Mealy, ni nous montrer nos premiers icebergs, puisque l’entrée de la baie est encore obstruée par le ice pack. Même l’ascension du sommet le plus élevé, le cap Blackhead, ne dévoile qu’une mer de glaçons sans relief. Tant pis, ce n’est que le début…
St. Lewis
Malgré la vue éblouissante qui s’étale jusqu’à l’océan à partir de notre perchoir au terme du chemin principal de St. Lewis, l’horizon demeure libre d’icebergs. Totalement vide? Pas tout à fait, puisqu’avec nos lunettes d’approche, nous distinguons une masse qui semble si imposante qu’elle force le doute sur sa nature exacte. Pour l’heure, nous nous contentons d’aller en rêver, dans les bras de Morphée.
Mary’s Harbour
Le lendemain, nous nous déplaçons vers le charmant village de pêcheurs de Mary’s Harbour pour une sortie en embarcation motorisée avec Cloud 9 (cloud9salmonlodge.com). Et là, dès l’entrée en mer, les icebergs nous attendent. Exclamations! Rires nerveux! Éblouissement! Les mots manquent et le cœur bat la chamade à l’approche de ces navires glacés aux formes stupéfiantes.
Après la visite fascinante de l’ancienne communauté de transhumance de Battle Harbour, nous nous élançons dans le brouillard à la recherche de la masse mystérieuse aperçue la veille. D’un iceberg à l’autre, nous nous retrouvons finalement au pied du mastodonte tabulaire, dont la mesure au GPS donne 1,6 km de longueur. C’est loin du record du B-15, qui faisait 295 km de longueur en 2000, mais il s’agit néanmoins de l’un des plus gros spécimens d’icebergs aperçus dans le secteur.
Red Bay/Pinware
Tout le long de la route côtière, nous apercevons des icebergs au large, malgré le temps exécrable et le vent déchaîné. À Red Bay, l’ancien centre névralgique des pêcheurs basques au XVIIe siècle — accessible au terme d’une randonnée magique au sommet de Tracey Hill — nous fait admirer quelques épaves de glace ancrées dans la baie, au milieu du décor pittoresque de ce lieu historique classé par l’UNESCO.
Plus loin, à Pinware, un iceberg échoué près de la rive se fragmente lentement sous l’assaut des vagues. Ses blocs de glace essaiment, puis flottent vers la plage, où nous recueillons un fragment qui égaiera notre whisky du soir, avec ses milliers de bulles d’air emprisonnées depuis des siècles. La glace la plus pure du monde!
Blanc-Sablon
Le crescendo d’émerveillement culmine sur la pointe orientale du Québec. La courte portion de la route 138 qui s’étire de Blanc-Sablon à Vieux-Fort est des plus spectaculaires.
Les icebergs s’insinuent souvent dans le détroit de Belle-Isle, en faisant escale devant Blanc-Sablon. Quelques grandioses monuments flottants nous y attendent avec leur relief hallucinant, leurs veines d’eau douce bleu azur, percées de brèches stylisées.
Un peu plus loin, à Rivière-Saint-Paul, Garland Nadeau nous emmène sur son île, aux confins de l’archipel, où quelques blocs se mirent dans les eaux émeraude. Le vieux loup de mer nous approche même de l’un d’eux à bord de sa chaloupe, juste assez pour le caresser brièvement…
Quirpon Island
Île sauvage, nue et déserte au bout de laquelle trône un phare pittoresque qui donne sur de nombreux icebergs (douze, lors de notre passage!), Quirpon est également fréquentée par tout plein de baleines, de phoques et de fous de Bassan. L’endroit est on ne peut plus chaleureux, les visiteurs s’y retrouvant autour de la table et les amitiés internationales s’y créant rapidement. Nous voulions faire du kayak sur place, mais ce foutu vent de malade, qui nous harcèle depuis plusieurs jours, ne lâche pas.
Avant d’arriver sur cette île, qui émerge au large de la pointe septentrionale de Terre-Neuve, les icebergs se bousculent dans la petite baie d’un village au nom singulier : St. Lunaire-Griquet. L’architecture de l’un de ces colosses de glace est flamboyante; à notre retour, il s’effondrera en un éclair.
St. Anthony
Cette petite ville est l’un des hauts lieux de l’observation d’icebergs et de mammifères marins à Terre-Neuve. Le vent nous interdisant toujours la navigation, mais le soleil étant radieux, je sors admirer longuement un seul et même très bel iceberg pour réaliser un rêve que je croyais inaccessible : avoir sur la même photo un rorqual à bosse et un iceberg. Pas de trucage!
Fortune Harbour
C’est lors de cette étape improvisée au dernier moment que nous abordons finalement les icebergs en kayak de mer. Notre guide, Paul Langdon, de Canoe Hill Adventures (canoehilladventures.nl.ca), a vite fait de repérer quelques magnifiques spécimens géants et un superbe iceberg de taille moyenne échoué près des quais. Puis, au loin, nous rejoignons bientôt un iceberg prodigieux dont la forme inouïe évoque une coquille Saint-Jacques.
Au retour, nous retrouvons le premier iceberg, renversé sur le côté. Nous ne l’aurions pas reconnu : il arborait des formes nouvelles et criardes, alors que sa surface était étincelante et ruisselante. Fortune Harbour? Sa route est mauvaise, mais ça vaut le coup!
Twillingate
Twillingate est aux icebergs ce que Tadoussac est aux baleines. Le jour de notre arrivée, icebergfinder.com annonce même que 120 esquifs de glace se trouvent sur son vaste territoire marin, même si, dans la baie, nous n’en voyons qu’un pointer au bout de l’horizon.
En l’approchant, nous nous rendons compte qu’il comporte quelque chose de vraiment spécial : une arche géante, dont le pont semble extrêmement fragile. Il n’en fallait pas plus pour que nous mettions le kayak à l’eau au plus vite, et que nous nous approchions de ce château de glace en perdition.
Quand on chasse l’iceberg, l’ultime expérience consiste à en voir un se démembrer, se renverser, vêler dans un vacarme effrayant. C’est terriblement impressionnant, vraiment rare et… plutôt dangereux. En six semaines de périple, nous en avons ainsi entendu gémir, tonner et éclater, mais sans jamais voir de grands démembrements.
De temps à autre, nous tentons notre chance en nous approchant prudemment, en attendant patiemment... Rien! Nous demeurons aux aguets durant des heures alors que les embarcations du coin s’approchent de façon téméraire du monstre à l’agonie... Rien! Nous ne rentrons pas tout à fait bredouilles, mais sommes néanmoins déçus de nous faire narguer par cette structure qui ne saurait triompher encore longtemps…
Ici, d’extraordinaires sentiers de randonnée longeant les caps escarpés offrent de fort beaux points de vue sur plusieurs icebergs, dont un, exceptionnel, est bâti comme un castel médiéval, dans la baie voisine. En kayak, nous scrutons toutes ses subtilités sous le soleil de fin de journée.
Ce soir-là, nous nous offrons finalement notre plus beau squat à vie en campant face à ce panorama délirant, après une saucette en mer devant l’iceberg. Tout ça avec la complicité de presque tous les gens du village, qui sont venus piquer une jasette avec nous.
Après cette journée, les derniers icebergs que nous pourrons admirer navigueront à l’est de la péninsule de Bonavista. À St. John’s et Avalon, ils le feront très loin au large, ou alors ils auront déjà sombré, à la mi-juillet. Mais peu importe : notre quête s’est terminée dans le bonheur de s’en être mis plein les yeux… et d’avoir eu droit à de grands frissons.
Heureux qui, comme l’iceberg, a fait un beau voyage
L’iceberg de l’Arctique naît le plus souvent d’un glacier groenlandais qui a mis des dizaines de milliers d’années à se former. En débordant de sa cuvette, il coule littéralement vers la mer en formant des langues glaciaires. Quand il atteint la côte et se fragmente, on dit qu’il « vêle », comme le font certains mammifères. Cette forme d’accouchement titanesque engendre les icebergs qui partent pour un périple de plusieurs années. Ils remontent la côte du Groenland jusqu’à l’île d’Ellesmere, puis redescendent en longeant Baffin, le Labrador et Terre-Neuve… avant de disparaître.
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Voici la réponse de l’auteur de l’article, Yves Ouellet, à votre question :
« Le plus tôt est le mieux pour l'observation des icebergs qui sont déjà présents en avril. Mais comme l'industrie touristique ne se met pas en marche avant le début et la mi-juin, c'est le mois de juin qui constitue la période idéale. Déjà, au début juillet, les icebergs se démembrent, passent beaucoup plus au large et sont plutôt rares. Mais il n'y a pas deux saisons semblables ! »