Guillaume Timmons, le dompteur de rivières
Guillaume Timmons a une passion dans la vie : l’eau. Plus particulièrement l’eau vive! Quand l’automne ou le printemps arrive, c’est le moment pour lui et ses amis de partir en kayak explorer de nouvelles rivières.
Depuis combien de temps fais-tu du kayak d’eau vive?
J’ai commencé l’eau vive dans le ventre de ma mère! Et comme mes parents étaient des canoteurs, une fois sorti, je les ai accompagnés. Nous avons parcouru des rivières et des lacs. Du coup, j’aime tout ce qui touche à l’eau. Je suis guide de kayak l’été au parc du Bic, tout près de Rimouski où j’habite. Mais depuis 10 ou 12 ans, j’aime les explorations un peu plus mouvementées. Avec Vincent Dubé, Denis Ouellet, Michel Lafontaine et Renaud Laflamme, j’attends avec impatience les crues d’automne et du printemps pour découvrir des rivières inexplorées. Ça prend un bon niveau pour faire ça. Il faut être à l’aise en R4. J’ai déjà dû passer deux rapides en faisant attention de ne pas me retourner, car ma pagaie était restée coincée entre deux rochers, ce qui m’aurait empêché d’esquimauter. Malheureusement, ce printemps, il n’y a pas eu beaucoup d’eau. Espérons qu’il y en aura plus cet automne.
Qu’est-ce qui t’attire dans ce genre « d’exploration » de rivières?
Ce que j’aime surtout, c’est de me dire qu’on est les premiers à descendre cette rivière. Avant nous, seuls les Indiens ont dû les descendre… et encore! Il n’y avait pas de descente sportive à l’époque. J’adore visiter de nouveaux paysages. Tout le milieu qui nous entoure est fantastique. On est seuls au monde, parmi d’immenses montagnes. Il n’y a aucun chalet, on ne voit personne. On n’a pas à attendre pour prendre des vagues ou aller dans les plus beaux endroits. J’aime que ce ne soit pas une autoroute pour kayakistes. Et puis, c’est un « trip » de gars : certains vont à la pêche, nous on va explorer des rivières. Le soir, autour du feu, on jase des évènements de la journée. On parle de toute situation qui a augmenté le stress, des erreurs qu’on devra éviter la prochaine fois. Toutes ces soirées sont mémorables.
Comment faites-vous pour « chasser » les rivières?
On recherche la pente! Dévaler une rivière, c’est un peu comme dévaler une pente de ski. On recherche des escaliers, des cascades, des chutes. Et la Gaspésie, qui est toute proche de nous, est un superbe terrain de jeu pour ça. Durant l’hiver, on analyse des cartes topographiques. On observe surtout les courbes de niveaux et on prend des notes. Au printemps, nous sommes prêts pour les expéditions! On s’informe avant pour savoir si la descente de cette rivière est permise. On se fiche pas mal de savoir si l’accès à la rivière est facile ou non. Ce qu’on regarde, ce sont les pentes et les rapides de difficulté R3 à R5. Mais si les rivières sont difficiles d’accès, c’est un plus. Avec les rivières les plus cachées, nous sommes sûrs d’être les premiers à la pagayer. On tombe alors sur des coins merveilleux où même les pêcheurs et les randonneurs ne vont pas.
Combien de rivières arrivez-vous à « dompter » chaque année?
On arrive à découvrir trois à cinq rivières par année. Nous partons les fins de semaine, durant les longs congés de printemps et d’automne pour nos destinations secrètes. Le vendredi soir, on monte à la tête de la rivière à travers des chemins forestiers et on campe près du lac. Tôt le samedi matin, on prépare l’excursion. On parcourt la rivière, on la nettoie. On enlève les obstacles, on libère des passages. Ça nous permet de nous familiariser avec la rivière en la longeant à pied. Même si on a descendu la rivière la semaine d’avant, on doit toujours aller voir si des choses ont changé. On descend à pied ou tranquillement en kayak, car des arbres ont pu se déplacer. Si la préparation va assez vite, on peut faire un test le samedi après-midi. Toutes celles qu’on a découvertes et qui nous ont plu, on se fait toujours une joie de les refaire.
De quelle manière procédez-vous ensuite?
Comme on n’a pas de données initiales sur la rivière, on prend vraiment notre temps pour la franchir. Il faut être attentif à tout ce qui se passe autour de nous. Si un rapide se dresse devant nous et qu’on n’en voit pas le bas, on s’arrête sur le côté. Pour une chute de 25 pieds, on peut passer deux heures à faire le set up de sécurité. On essaie de prévoir tout ce qui pourrait arriver et trouver des solutions aux difficultés possibles. Puis on fait un essai de tous les sauvetages imaginés. C’est une longue analyse. Si on aime jouer avec le danger, on est, par contre, toujours prudents.
Est-ce que vous employez de l’équipement spécial?
On a tout le matériel normal et beaucoup de choses en plus. Nous avons un équipement de protection personnelle : gants, protège-coudes, casque intégral qui protège les oreilles et la mâchoire, auquel on ajoute du grillage pour se protéger le visage. L’équipement ne nous gêne pas et est nécessaire. Quand j’ai commencé à explorer des rivières, je n’esquimautais pas 100 % du temps. Je me suis renversé dans un rapide et le temps que j’essaie de me remettre, je me suis tapé la tête sur une roche. Malgré le casque, j’ai eu droit à six points de suture. En plus, c’est facile de se blesser aux mains et aux coudes. Si tu fais une mauvaise entrée de rapide, tu passes tout le rapide à l’envers. On a aussi chacun une pagaie supplémentaire, car on a déjà cassé des pagaies en esquimautant. On a tous un sac à corde et un système de poulie qui permet de décupler nos forces et d’assurer un sauvetage. Il faut être capable de sortir une personne d’un trou ou un kayak coincé entre deux rochers. On porte aussi des combinaisons étanches (dry suits), car on passe toute la journée dans de l’eau à une dizaine de degrés. Et puis on a un bon rouleau de ruban adhésif en toile (duct tape). Ça répare tout, ou presque! On a déjà brisé un kayak après avoir sauté une chute.
Quels sont vos plus beaux endroits au Québec pour le kayak d’eau vive?
On préfère garder nos rivières secrètes… pour qu’elles ne deviennent pas des autoroutes de kayakistes. Et puis, le mieux est que chacun découvre ses propres lieux, en prenant toutes les mesures de sécurité nécessaires. Mais pour vous citer quand même quelques noms, les têtes des rivières Cap-chat, Marsoui et de Mont-Saint-Pierre sont des endroits où l’on s’est régalé.