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  • Crédit: François Prévost

Mission Antarctique - Carnet de bord # 5 : Le voyage intérieur

Nous venons de franchir un cap symbolique : plus d’une année d’expédition, bientôt quatre cents jours d’exploration, d’aventures et de découvertes. Il y a eu l’Atlantique, du Nord au Sud; les quarantièmes rugissants, les cinquantièmes hurlants, les soixantièmes grondants[1]; les îles Malouines et l’île de Géorgie du Sud; le Cap Horn et finalement l’Antarctique, le dernier continent vierge de la planète.

Pendant le long et sombre hiver antarctique, nous avons vécu l’isolement complet, prisonniers de notre voilier de 51 mètres, « englacés » dans l’hiver antarctique. Nous sommes 13 membres d’équipage à bord du voilier SEDNA IV, 10 gars et 3 filles. Bonjour la promiscuité! Cet équipage est devenu notre famille d’adoption, se substituant tant bien que mal à ceux et celles que nous chérissons, nos familles, nos amis, restés derrière. S’ils sont toujours avec nous, dans nos coeurs, ces tendres pensées ne remplacent pas le besoin vital de contacts humains qui, dans l’espace restreint où nous sommes confinés, vacillent souvent entre paradis et enfer. Mais n’en est-il pas ainsi dans toute société? On aime, on aime moins, on n’aime pas. À la seule différence qu’ici, nous n’avons pas le choix des voisins, des confrères de travail, des amis et confidents.

Une extraordinaire expédition, faite de beautés, d’aventures et de découvertes. Mais il y a aussi cet autre voyage, véritable ascension personnelle, inspiré par l’isolement et le temps. Un voyage intérieur à la recherche d’une autre forme de beauté souvent oubliée. La découverte de l’explorateur ne peut se limiter aux paysages et aux lieux. À travers l’aventure, le regard se tourne inexorablement vers ce qui se cache au fond de soi, dans les précipices intérieurs, dans les crevasses de l’âme. Le sommet de la montagne « intérieure » est souvent le plus difficile à atteindre, car la route pour y accéder est parsemée d’embûches, d’obstacles que nous accumulons sur la longue route de la vie. C’est pourquoi il faut du temps, de l’isolement et du recueillement pour retrouver le chemin qui mène à l’essentiel.

Les défis de la promiscuité sont grands. Chacun des membres de cette expédition doit puiser dans sa réserve de concessions pour assurer le bon fonctionnement de notre microsociété. Ici, pas de fuite possible, ni de rapatriement. Tout doit pouvoir se régler en famille, face à face, malgré les différences et la pression du temps.

Nous avons tous souffert du manque de lumière au cœur de l’hiver antarctique. La lumière est une formidable source d’énergie qui nourrit le corps et l’esprit. Quand vos nuits durent près de 20 heures, l’ombre et la noirceur s’installent en vous, et affectent votre humeur, votre motivation, votre  vie. Nous avons utilisé des lampes de luminothérapie pour contrecarrer les effets de cette carence d’énergie. En simulant un lever de soleil, installés chaque matin devant nos écrans lumineux artificiels de 10 000 lux, nous avons trompé certains récepteurs de nos corps qui n’y ont vu que du feu. Mais la technologie ne remplacera jamais la lumière réconfortante du soleil.

Avec le printemps austral, l’astre solaire est revenu en force, entraînant naturellement notre niveau d’énergie et nos humeurs vers des sommets rarement atteints depuis le début de cette expédition. Le moral des troupes est en hausse constante et notre microsociété a retrouvé une motivation correspondant à notre désir de dépassement, de découvertes.

Nous aurons donc fait deux expéditions. Une première, riche en aventures et découvertes, aux confins du globe, sur les mers les plus hostiles de la planète. Puis, une deuxième, peut-être plus difficile, véritable conquête personnelle de nos sommets intérieurs. Combinées, ces deux expéditions auront permis de transformer à tout jamais notre regard sur la vie, contribuant ainsi à un cheminement personnel menant à l’essentiel. Nous sommes venus pour constater la fragilité d’une nature en pleine transformation. Nous repartons conscients d’une certaine fragilité intérieure.

Deux expéditions, deux épreuves. Après tout, le plus grand défi n’est peut-être pas toujours dans la conquête des lieux…


[1] NDLR : Référence aux degrés de latitude sud que le Sedna et son équipage ont franchi pour descendre jusqu’à l’Antarctique.

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