Pourquoi l'aventure?
"Mais qu'est-ce que je fous ici?" Nous avons demandé à 10 de nos aventuriers québécois de nous expliquer pourquoi ils courent après le trouble. Réponse : pour éviter la routine!
1/ Manuel Pizarro
Pour s’envoler au sommet
par Frédérique Sauvée
D’origine chilienne, la famille de Manuel Pizarro émigre au Québec dans les années 1970. Maîtrisant mal le français, Manuel éprouve des difficultés à l’école et est confronté au manque de confiance en lui. La découverte de l’univers de l’alpinisme, dans le cadre d’un travail scolaire, vient semer les graines d’une passion pour l’aventure et d’une fascination naissante pour l’Everest. Le scoutisme vient pallier sa soif de grands espaces. Il trouvera par la suite un exutoire chez les cadets de l’air, pour devenir lui-même instructeur de vol. L’ascension de l’Everest lui réserve des surprises : après un apprentissage accéléré (Aconcagua, McKinley, Kilimandjaro), il tente sa chance en 2007 et atteint le plus haut sommet du globe sans problème, sauf le fait que son sherpa soit reparti sans laisser de trace ni de matériel à 7400 mètres d’altitude (camp III). Cette mésaventure aurait pu lui coûter la vie, mais il s’en est sorti grâce à sa débrouillardise et une nouvelle confiance en lui-même. En 2009, il réédite son exploit et devient le premier Québécois à avoir conquis deux fois l’Everest.
« L’aventure, c’est le courage de s’exposer à un environnement qui est en dehors de sa zone de confort. L’homme a besoin d’explorer le monde et d’être confronté à des difficultés pour mieux se connaître. L’ascension de l’Everest a été une quête personnelle au cours de laquelle j’ai réglé des conflits avec moi-même, pour comprendre qui je suis réellement. C’est le destin que je me suis forgé depuis l’enfance. »
2/ Éric Leclair
Pour vivre au plus près de la nature
par Frédérique Sauvée
Guide de randonnée et de rivière, professeur-géographe au cégep, moniteur de canot et aventurier (un curriculum vitae bien remplipour ce mordu d’action et de liberté), Éric Leclair est allé très haut et très loin pour découvrir le caractère indomptable de la nature. Après de multiples expéditions dans les Rocheuses, l’Himalaya et les Alpes, ce pagayeur professionnel a décidé (en juillet 2009) de se mesurer à ce que le Québec a de plus beau : ses rivières sauvages. Seul dans son embarcation sur un parcours nautique jamais tenté (la rivière Vachon), il a dû surmonter les remous bouillonnants et les conditions climatiques extrêmes avant de pouvoir profiter des richesses naturelles du Nunavik, un territoire qu’il affectionne particulièrement et qu’il considère aujourd’hui comme la destination d’aventure suprême au Québec.
« L’aventure pour moi, c’est un état d’esprit. C’est prendre véritablement conscience de tout ce qui nous entoure, d’être en lien avec la planète et de comprendre le caractère sacré de la nature. En partant seul en canot comme je l’ai fait pendant trois semaines, le mental ralentit et cesse de ressasser des souvenirs ou de se projeter dans l'avenir pour se concentrer davantage sur le moment présent. En contact avec toute la puissance de la nature, je n'ai pas le choix d'apprécier chaque moment de la vie! »
3/ Johanne Veilleux
Pour se sentir au sommet de sa forme
par Frédérique Sauvée
Si Johanne Veilleux s’est taillé une place d’honneur au sein de la communauté alpine québécoise, c’est grâce à un parcours sportif peu commun. Après quarante ans de glisse, de course et de vélo au quotidien, pour la forme et le plaisir, cette Beauceronne ressent le besoin physique d’aller encore plus loin. Dans les années 2000, elle s’aventure en haute montagne et gravit en trois ans plusieurs des sommets les plus élevés au monde (du Kilimandjaro au camp de base de l’Everest). C’est lors de son ascension de l’Aconcagua (6962 m) qu’elle fait la connaissance de Jean-Pierre Danvoye. Sa rencontre avec l'alpiniste québécois de renom la convainc de joindre son équipée en 2006 pour se mesurer au Cho Oyu (8201 m) dans l'Himalaya. Ivre de défis, mais surtout à l’écoute de son corps, Johanne devient la première Québécoise à fouler ce sommet, sans oxygène. Lorsqu’on lui demande comment expliquer cet exploit à l’âge de cinquante ans, elle répond en rigolant qu’elle « a probablement une physiologie particulière. »
« Quand j’ai réalisé l’ascension du Cho Oyu, mon objectif n’était pas d’accomplir un exploit. Ce que je cherche lors de mes expéditions, c’est de satisfaire la curiosité que j’ai pour le monde qui m’entoure, l’envie de retrouver chaque fois la belle énergie qui se dégage des compagnons de grimpe et, surtout, ressentir les moments de pur bonheur qui découlent de l’effort physique extrême. La haute montagne est un milieu où je dois donner le meilleur de moi-même. Et c’est une chance que mon corps réponde bien aux conditions intenses de manque d’oxygène. »
4/ Mario Cyr
Pour aller au fond des choses
par Mathieu Lamarre
Le chef plongeur et premier caméraman sous-marin de l'équipe du SEDNA plonge pour mettre du beurre sur son pain depuis plus de trente ans. Que ce soit au large de l'Afrique du Sud avec les grands requins blancs, ou sur un amas de glace en perdition pendant trois jours au cours d'un tournage sur les ours et les morses de l'Arctique, ou encore jusqu'à 110 mètres de profondeur en mélange « oxygène-hélium-azote », l'aventure n'est pas un vain mot pour le sympathique Madelinot, qui aborde le grand Bleu avec humilité et respect pour en rapporter des images qui exalteront le grand public. C'est assurément ce juste mélange d'amour et d'appréhension qui fait que notre homme est en demande pour les productions sous-marines les plus prestigieuses, nommément avec la National Geographic Society, le Discovery Channel et l'équipe Cousteau. En attendant la prochaine expédition du célèbre voilier québécois –dont il est l'un des actionnaires –,mais aussi la prochaine sortie du documentaire Océan de Jacques Perrin auquel il a participé. Il s'apprête à rejoindre, au début de 2010, une production danoise sur la baleine franche, l'être du règne animal ayant la plus grande longévité.
« Pour moi, l'aventure, ce n'est pas d'aller nécessairement loin, mais plutôt d'aller en profondeur –et je ne dis pas cela seulement parce que je suis un plongeur! Dans mon univers, l'adrénaline ne se trouve pas dans l'action brusque et rapide, mais souvent dans la réflexion calme face aux défis des conditions sous-marines en perpétuel changement. On n'a pas le droit à l'erreur. J'aime autant la joie de partir pour des mois de communion avec la nature que de revenir à la maison pour trois semaines de repos – puis le goût de repartir revient te chatouiller. J'avoue que ce rythme de vie et le bonheur de voir toute cette beauté naturelle m'ont rendu un peu sauvage par rapport à la société humaine, mais je pense que je suis encore parlable! »
5/ Pierre Bouchard et Janick Lemieux
Pour fuir le quotidien
par Frédérique Sauvée
Plus de 72 mois de voyage (répartis entre 1999 et 2007) pour parcourir 60 000 km de route à vélo et côtoyer la centaine de volcans du « Cercle de feu » du Pacifique. C'est l'aventure inédite qui a mené notre couple de voyageurs québécois à se surpasser sur la selle de leur vélo. Devenu un moyen (de transport et de découverte) et non une fin (sportive) en soi, celui-ci leur a fait vivre des expériences riches sur le plan humain. D’un volcan à l’autre, Janick et Pierre ont sillonné les routes les plus cahoteuses pour rencontrer les populations qui vivent au pied des monts en ébullition. Amérique, Océanie, Asie — chacun des continents du Pacifique leur a montré une facette inconnue de ces différentes cultures. Selon ces deux « accros » de découverte, voilà le meilleur plan de route pour profiter du monde!
« L’aventure est une antiroutine! Elle nous rend nomades, autonomes et totalement tournés vers les autres. L’aventure, au sens que nous l’entendons, c’est une série d’imprévus qui nous mènent toujours plus loin, avec plus ou moins de difficultés, mais toujours avec beaucoup de plaisir. L’aventure nous permet de vivre la vie pleinement et le vélo est un outil magique puisqu’il facilite le contact avec les gens. Il fait de nous des voyageurs simples et accessibles. C’est ensuite plus facile de réaliser notre objectif qui est de créer de la solidarité entre les gens de là-bas, qui ont tant de choses à nous faire découvrir, et les gens d’ici, avec qui nous partageons ensuite notre expérience. »
6/ Damien De Pas
Pour apprendre à l'école de la vie
par Frédérique Sauvée
Initié très jeune à la voile, Damien De Pas a fait le tour du monde avec sa famille pendant six ans lorsqu’il était encore enfant. La famille a parcouru les mers sur la V’limeuse, un voilier en acier de 50 pieds construit par ses parents. Même si Damien reconnaît qu’à l’âge de cinq ans, il n’est pas facile de vivre en mer, d’aller à l’école à bord et de grandir au gré des courants et marées, cette aventure de jeunesse lui a forgé le caractère, et a fait naître sa passion pour la mer, la pêche et les voyages. À l’âge de 20 ans, il entreprend à son tour de construire son propre bateau (6,50 m) pour participer à la Mini Transat, une course en solitaire reliant La Rochelle (France) au Brésil. La course n’est pas de tout repos et Damien devient un véritable navigateur. Il finit parmi les 15 premiers sur les 60 barreurs engagés. Depuis, entre d’autres compétitions et son métier de convoyeur de bateau, il a fait de la mer son terrain de jeu et d’aventure.
« L’aventure, je l’ai vécue dès ma plus tendre enfance, sur mer, avec mes parents. J’ai grandi en voyageant à travers le monde et en rencontrant les gens de tous les pays que nous visitions. Ça m’a appris très tôt ce que sont l’inconnu, les imprévus et les dangers de la mer. J’ai connu des moments de très grandes craintes, autant quand j’étais petit que plus récemment pendant les courses. Mais souffrir rend plus fort! Aujourd'hui, je ne peux me cantonner à mon seul confort de terrien et je dois rester en mouvement sur les mers... »
7/ Richard Rémy
Pour découvrir des régions inconnues
par Frédérique Sauvée
Richard Rémy est ce que l’on pourrait appeler un « créateur d’aventures » : il parcourt le monde depuis plus de dix ans à la recherche de nouvelles destinations à proposer aux voyageurs de son agence, Karavaniers du Monde. Mais vous ne le croiserez jamais sur les plages des Seychelles ou dans les bars d’Ibiza, car le chef des Karavaniers cherche l’authenticité et la simplicité dans les lieux qu’il prospecte. Ses pas le mènent davantage vers les régions du Mugu népalais et du Zanskar himalayen. Jamais entendu parlé? Normal, Richard est l’un des premiers Occidentaux à les avoir explorées pour ensuite les faire découvrir à pied, en kayak ou à vélo à ses clients allumés et trop heureux de suer là où peu l'ont encore fait.
« L’aventure, c’est pour moi plus qu’un simple plaisir, c’est mon travail! Je recherche des régions inconnues, des chemins peu ou pas empruntés, des sites uniques que l’on a pas l’impression d’avoir déjà vus. En parcourant le monde à la quête de ces lieux, je me crée mes propres aventures. Elles ont aujourd’hui baissé en altitude pour mieux progresser en profondeur. Pour moi, l’aventure ne consiste pas à réaliser un exploit sportif. Ça doit combiner la culture et la découverte, pour mieux comprendre comment vivent les autres. Nos clients voyageurs ont en général cette philosophie. Ils veulent sortir de notre monde aseptisé, se lancer des défis et aller plus loin que ce que l’on se contente de voir tous les jours. »
8/ Sylvie Fréchette
Pour apprendre à mieux se connaître
par Frédérique Sauvée
Grâce à son statut de mère comme figure de proue et sa détermination comme source d’énergie, Sylvie Fréchette fait partie des femmes qui ont choisi de se tracer un chemin de vie peu ordinaire. De nature fonceuse, elle multiplie les activités sportives depuis son adolescence (canot-camping, randonnée pédestre, ski de fond) et mène de front sa passion pour les défis (vélo de montagne en compétition) et sa vie de mère. Une fois ses trois filles en âge d’être autonomes, elle s'initie à l’alpinisme à 40 ans et multiplie les ascensions (Kilimandjaro, Aconcagua, Rocheuses, Nouvelle-Zélande), jusqu’à la réalisation en 2008 de son rêve d’aventurière : gravir l'Everest. Arrivée au sommet de ces 8 850 m de neige et de glace, elle dédie sa victoire à sa famille.
« Statistiquement, j’ai 20 % de masse musculaire de moins que les hommes. Pourtant, j’avais le même équipement qu’euxet je devais gravir la même montagne. Mais j’ai en moi, depuis toujours, cette fibre aventurière et ce besoin de me dépasser. Laisser derrière moi ma famille et mes enfants a aussi été très difficile, mais j’avais besoin de partir seule pour savoir qui j’étais réellement. Réussir ces ascensions m’a permis de trouver un sens à ce que je faisais, prendre confiance en moi et profiter davantage de mon rôle de mère une fois rentrée. J’y ai trouvé le sens de la vie et de ma vie! »
9/ Gil Thériault
S’arrimer avec les îles
par Frédérique Sauvée
Jusqu’à la trentaine, Gil Thériault mène une vie somme toute rangée : quelques expéditions et voyages ici et là, une copine, des postes de direction, la pratique de sports d’équipe. Bien que ce rythme de vie représente sans doute une réussite aux yeux de plusieurs, le futur journaliste globe-trotter n’est pas comblé. Son appréciable confort ne correspond pas à ses aspirations intrinsèques. L'insulaire de naissance (un Madelinot pure laine!) part alors se ressourcer de par le monde, pour repousser ses propres limites et apprendre à se connaître à travers les autres et les épreuves. Il estime ne pas connaître plus grand bonheur que d’atteindre un objectif qu’il s’est fixé, surtout lorsqu’il se trouve hors de sa zone de confort.
« J’ai tout lâché et je suis parti pendant quelques mois dans un monastère à l’autre bout du monde, à l’Île Maurice, pour réfléchir. J’ai réalisé que la course à l’argent et aux biens matériels m’alourdissait, me rendait malheureux. Puis je me suis questionné : si je n’avais plus besoin de travailler pour gagner des sous, qu’est-ce que je ferais de mon temps? La réponse s’imposait d’elle-même : voyager, vivre des aventures extraordinaires et écrire à leur sujet. Mon récent tour du monde en solitaire sur 52 îles en 52 semaines a été sans doute le plus exigeant de mes défis. C’était un genre de course dont j’étais le seul concurrent et où il n’y avait aucun moment de répit pendant 365 jours, une sorte de marathon du voyage journalistique. Sans être nécessairement accro de l'adrénaline, il faut parfois tester nos limites pour en sortir grandi. »
10/ Marc Tremblay
Pour la découverte à l'état pur
par Frédérique Sauvée
Premier à populariser la pratique du canyoning au Québec et initiateur du projet spéléologique Mexpé au Mexique, Marc Tremblay (45 ans) ne se lasse pas d’explorer les multiples facettes de l’aventure. Dès son plus jeune âge, alors que d’autres désirent devenir pompier, mécanicien ou avocat, il n’a qu’une seule idée en tête : être explorateur. Après avoir été initié à la spéléologie à la grotte de Boischatel près de Québec (où il s’est maintenant rendu des centaines de fois), l’ingénieur et géologue de formation découvre un véritable continent souterrain au Mexique, où l'on retrouve plus de 100 km de passages et 900 m de dénivelés négatifs. Cet eldorado qui attire des spéléologues de calibre international recèle, encore aujourd’hui, de réseaux de galeries et de souterrains inconnus. Les aventures vécues dans les canyons et les grottes d’une dizaine d'autres pays par le récent papa de deux jumelles ne relèvent pas que de l’exploit sportif : elles s’appuient sur une volonté de recherche de territoires inconnus.
« Petit, je lisais les récits de Norbert Casteretou de Haroun Tazieff et je trippais sur les fossiles, l’archéologie! À dix ans, dans un contexte académique, j’avais même écrit un livre, La caverne mystérieuse. C’était l’histoire de deux spéléologues qui s’aventuraient au centre de la terre. L’aventure m'accompagne toujours dans mes projets d’exploration. En spéléo, on vit parfois des doutes et des angoisses, on sait quand on part, mais jamais quand on va revenir, ni ce qu’on va découvrir. Rendu sur place, c'est une sensation grisante de tomber sur un site où personne ne s’est jamais rendu. Mon seul regret, c'est que je ne pourrai être là pour explorer Mars, je ne vivrai jamais cette époque-là! »