En packraft d’une côte scandinave à l’autre
Marcher et pagayer de la côte norvégienne jusqu’à la mer Baltique, en Suède, en laissant place à une bonne part d’imprévu : tel est le palpitant périple entrepris l’an dernier par une Québécoise et son conjoint suédois. Récit.
En regardant par le hublot, mon cœur bondit de joie et j’ai les yeux pétillants, en contemplant les pics enneigés et les glaciers qui s'étendent sous l'avion : ce paysage nordique allait être notre terrain de jeu pour les prochains jours.
Trois semaines plus tôt, mon conjoint et moi nous étions sérieusement mis à la préparation de notre voyage : concrétisation de l'itinéraire, déshydratation de nourriture pour un mois, achat de l'équipement, puis tri des vêtements et matériel à apporter.
Notre plan : suivre le cours d’une rivière en Scandinavie, de sa source jusqu'à son embouchure, en marchant mais aussi en pagayant en packraft, kayak gonflable qui se transporte facilement dans un sac à dos. Nous avions élaboré notre propre itinéraire en reliant vallées et lacs alpins jusqu'à la naissance de la rivière Kalixälven, l’un des derniers cours d’eau sauvage de la Suède, un long ruban bleu sinuant dans la forêt boréale que nous descendrions jusqu'à la mer Baltique. C'est ainsi que notre voyage prit le nom « d'une côte à l'autre ».
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C'est un départ
© Malie Lessard-Therrien
C'est les deux pieds enfoncés dans une tourbière, suivant tant bien que mal des balises effacées sur des arbres rabougris, que nous avons entamé notre périple. Dévorés par les mouches et les taons à chevreuil, nous avions franchi de peine et de misère les cinquante premiers mètres de notre aventure lorsque deux randonneuses ont attiré notre attention : elles suivaient un sentier bien sec et dégagé qui se trouvait à quelques mètres plus haut… que nous eûmes tôt fait d’emprunter.
Après une montée éreintante jusqu'à la toundra alpine, un orage, de l'escalade et la traversée instable d'un bout de sentier en bord de falaise, j'ai eu un regain d'énergie en apercevant une langue de glacier descendant entre deux pics de montagne. La glace bleutée semblait si proche. Autour de nous se déployait un paysage lunaire : des blocs de roche, des montagnes et des glaciers. Nous avions atteint le monde des géants et des trolls.
Les jours suivants, nous nous sommes enfoncés dans les montagnes norvégiennes en alternant entre randonnées dans des vallées tapissées de plantes alpines et descentes de rivières qui s'abreuvaient à même les glaciers qui nous entouraient. Le soleil éclairait nos jours comme nos nuits, puisqu'à cette latitude, il passe au nord sans descendre sous l'horizon, le soir venu.
© Malie Lessard-Therrien
Un soir, à l’embouchure de l’une de ces rivières alpines, une grosse vague m’a avalée avec mon packraft, dans un rapide. J’eus peine à sortir de la rivière à cause de mes membres engourdis par le froid, là où mon conjoint m’attendait, l’inquiétude dans le regard, mon packraft dans une main et le sien dans l’autre. Les lèvres bleues et le corps tremblant, j’ouvris mon sac pour me changer, mais l’eau s’était infiltrée et mes vêtements étaient mouillés. J’ai demandé à mon conjoint de monter la tente au plus vite pour nous faire un abri contre le froid et le vent. J’ai commencé à farfouiller dans nos sacs pour trouver nos sacs de couchage afin de m’y réchauffer, mais mes mouvements étaient lents et maladroits. Je me suis retournée pour demander de l’aide, mais mon conjoint était hors de vue, parti à la recherche d’un endroit sec où monter la tente.
Déterminée à ne pas céder à la panique, j’ai finalement trouvé des vêtements secs et une fois changée, j’ai senti la chaleur retourner tranquillement dans mon corps et les frissons s’espacer. Ce soir-là, bien emmitouflés dans nos sacs de couchage, nous avons élaboré un plan d’action pour parer à toute éventualité, si nous devions chavirer de nouveau : rester ensemble et nous entraider pour nous réchauffer jusqu’à être hors de danger d’hypothermie. Leçon apprise à la dure!
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Les cairns-frontières
© Malie Lessard-Therrien
Après trois jours, nous avons traversé une série de cairns qui gardent la frontière entre la Norvège et la Suède, telles de sentinelles imperturbables, avec un orage à nos trousses. Au loin, nous pouvions apercevoir des chalets… que nous avons réussi à atteindre juste au moment où un torrent se déversait du ciel. Ce soir-là, nous avons dormi au sec après avoir relaxé nos muscles dans un sauna. Vive la Scandinavie!
Le lendemain, nous nous sommes mis à gravir une longue pente abrupte, croulant sous le poids de nos lourds sacs. Juste en arrivant au col, au moment où le regard pouvait enfin porter au loin, je me suis arrêtée soudainement. Devant nous, un troupeau d'une centaine de rennes traversait le sentier d'un pas nonchalant. Des mères et leurs petits s'arrêtaient dans les dernières flaques de neige pour se rafraîchir et d'autres broutaient la végétation autour des rochers. J'étais ébahie par ce spectacle grandiose. Nous nous sommes arrêtés un bon moment pour nous imprégner de tant de beauté.
Les jours suivants, nous avons alterné entre la randonnée et la pagaie, passant de sentiers rocailleux à des lacs tantôt turquoise, tantôt violets, pour atteindre la vallée où la rivière qui nous mènerait jusqu'à la mer Baltique prenait sa source. Il y régnait un silence solennel que seul troublait le bruit des cours d'eau qui s'écoulaient des falaises, alimentant un ruisseau tumultueux sur lequel nous allions pagayer.
Le sentier nous mena bientôt à un endroit propice où mettre les packrafts à l'eau. La descente des flots agités qui s’ensuivit était à la fois grisante et inquiétante car nous ne savions pas ce qui nous attendait en aval. Dans un tournant, nous avons ainsi été surpris par des branches qui entravaient la rivière dans le seul passage possible d'un rapide et nous avons chaviré à tour de rôle. Nous avons récupéré nos packrafts, réparé les crevaisons puis continué, le sourire aux lèvres et la joie au cœur de vivre une telle aventure sauvage. Heureusement, il faisait beau et chaud ce jour-là.
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Sur les flots de Kalixälven
© Jonathan Johansson
Nous avons finalement atteint Nikkaluokta, premier village à border la rivière sur notre parcours. Cet endroit marque aussi le point de départ de nombreux randonneurs qui entreprennent la montée du Kebnekaise, plus haute montagne de Suède. Une fois récupérées les boîtes de nourriture et d’équipement que nous nous étions envoyées au début du voyage, nous avons loué un petit chalet pour souligner la fin de cette première étape de notre périple. Rapidement, nous nous sommes liés d'amitié avec son gardien, Roger, un monsieur jovial à l'oeil rieur qui nous appelait affectueusement « les Canadiens », bien que mon conjoint soit suédois.
Au petit matin, nous sommes partis, la pagaie à la main et le chapeau sur la tête, sur l'eau calme et sous un soleil radieux. Nous disposions de plusieurs cartes qui couvraient la totalité du territoire de notre parcours, mais nous n'avions pas de carte spécifique de la rivière. Nous avions donc étudié les images satellites en détails et marqué les endroits où nous pensions trouver des rapides sur notre GPS. Un pêcheur nous avait informé que le niveau de l'eau de la rivière était plus bas que la normale, et les rapides pouvaient donc être plus fréquents. C'est donc avec un mélange d'appréhension et d'excitation que nous avons descendu cette rivière mystérieuse vers la mer.
Nous avancions tant que nous en avions la force, puis nous trouvions un site de campement, le soir venu. À chaque fois, nous cherchions un endroit facilement accessible depuis la rivière, et aussi plat que possible. La présence de plants de bleuets était également recherchée : dès que nous le pouvions, nous nous préparions des déjeuners gourmands avec de la banique nappée de beurre d'arachide et coiffée de ces petits fruits scandinaves fraîchement cueillis.
© Jonathan Johansson
Autour de nous, la forêt boréale avait tranquillement pris la place de la toundra et les arbres formaient maintenant un écran vert de chaque côté de la rivière. Le courant nous menait parfois sans effort et nous rêvions d'arriver à destination en nous laissant porter, un verre de sangria à la main, pour célébrer la fin de notre périple.
Parfois, nous apercevions de l'écume blanche loin devant. Nous savions donc que l'action approchait et que l'adrénaline serait au rendez-vous. Elle nous donnait l'énergie de pagayer de toutes nos forces pour diriger notre embarcation dans les flots furieux et éviter les obstacles. Dans ces moments-là, notre concentration était à son comble puisque les décisions devaient s'enchaîner en une fraction de seconde. Cependant, descendre les rapides sur plusieurs kilomètres nous laissaient également épuisés.
En tout, nous avons effectué trois portages lors de notre expédition, dont un qui nous a permis d’éviter une section périlleuse de la rivière, mais qui fut particulièrement long. Heureusement, en amont, des Finlandais qui logeaient dans un campement nous ont offert de nous conduire en bas des rapides avec nos bagages, ce que nous avons accepté avec joie et soulagement.
Les joies du plein air
© Malie Lessard-Therrien
J'ai adoré vivre dehors pendant ces quelques semaines, prendre le rythme de la nature, écouter le silence et travailler en équipe au quotidien. J’aimais contempler les algues qui s'étendaient et ondulaient comme les cheveux d'une sirène géante, observer les poissons nager sous nos embarcations ou les hirondelles valser en pourchassant des insectes au-dessus de nos têtes. J’accueillais avec bonheur l'imprévu et l'aventure qui s'annonçaient tous les matins et qui rendaient chaque jour unique.
Mes plus grands bonheurs furent cependant liés avec la nourriture. Avant le départ, j'avais fait le plein de petits plaisirs qu'on ne retrouve qu'au Québec. J'avais un gros sac de sucre d'érable dont je saupoudrais amoureusement le contenu sur mon gruau, le matin, et mes six sacs de Crisper furent des récompenses bien méritées qui me ragaillardissaient lorsque que nous mettions pied à terre pour la soirée. Un soir, alors que je montais la tente sur un terrain bossu, j'ai trouvé des framboises. Nous les avons dégustées avec délice sur une mousse au chocolat pour un dessert cinq étoiles.
Deux jours avant la fin de notre expédition, nous avons franchi le cercle polaire. Nous avons quitté l'Arctique avec une pointe de mélancolie au cœur puisque nous savions que le voyage tirait à sa fin. Nous sommes finalement arrivés à Kalix, notre ultime destination, une heure et demie avant le départ de l'autobus qui devait nous ramener au train de nuit. Nous avons tout juste eu le temps de dégonfler nos packrafts, de nous changer et de remballer notre équipement. Nous nous sommes ensuite assis dans l'autobus, essoufflés et triomphants. Nous venions de franchir les montagnes et de pagayer à travers l'Arctique, complétant notre expédition d'une côte à l'autre en reliant l'océan Atlantique à la mer Baltique.
Le séjour en bref
Départ : Narvik, Norvège
Arrivée : Kalix, Suède
Distance totale parcourue : 525 km
Poids porté en moyenne à pied : 32 kg
Poids porté en moyenne en packraft : 50 kg
Temps passé en packraft : 13 jours
Durée totale du voyage : 25 jours
Info : visitnorway.fr et visitsweden.fr