Un hypocondriaque à l’assaut de l’Himalaya
Le pire obstacle à surmonter lors de mon ascension vers le camp de base de l’Everest? Ni l’altitude, ni la fatigue, ni la faim, mais plutôt mon imagination qui a semé le parcours d’embûches, sous forme de pathologies fictives aussi gigantesques que les montagnes himalayennes. Récit d’un malade imaginaire.
Flop flop flop flop flop.
« Le prochain, il est pour moi ».
L’hélicoptère d’urgence décolle à la hâte pour évacuer quelque randonneur mal en point, puis s’évanouit au-delà des sommets enneigés. Ici, au coeur de l’Himalaya, loin de tout goudron, seuls deux moyens de transport restent à disposition: le yak et l’hélico.
Mon guide népalais, Pasang Sherpa, observe placidement la situation: « Ils ont des ennuis, là-bas... »
Flop flop flop flop flop.
Est-ce là le bruit de l’hélice ou celui de ma cervelle ruminante? Dans ma tête, ça tournoie sans cesse, même que ça radote : « Le prochain, c’est sûr qu’il est pour moi ».
Pourtant, Pasang est formel. Depuis 30 ans, il a conduit tous ses clients jusqu’au camp de base de l’Everest, un des treks les plus prisés du Népal. Mais à mesure que nous progressons sur ces sentiers toujours plus spectaculaires, le doute colle à mes pas.
Ces quinze jours de randonnée, délectables bien que parfois exigeants, n’ont pourtant rien d’insurmontable. Toutefois, ce délicieux sentiment d’être coupé du monde se révèle à double-tranchant, surtout pour l’aventurier de type anxius preoccupatis.
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Le mental, un vrai casse-pieds
Dès les premières foulées, au départ du village de Lukla, émerveillements et questionnements ont crû de pair. Alors que Pasang me conduit à travers champs verdoyants et cimes encore sages, je constate que l’écrasante majorité des marcheurs ont engagé des porteurs pour se désencombrer de leur sac à dos. Soudainement, les quinze kilos de mon équipement (soit le quart de mon propre poids), réduit pourtant au strict nécessaire, se font lourdement sentir dans mes lombaires.
À l’écho des vallées se mêle celui de la voix de mon médecin, évoquant ma sciatique. « Oui, vous avez possiblement une hernie discale. Mais tant que vous pouvez marcher, on ne vérifiera pas... » L’angoisse de voir mes disques intervertébraux sauter se met alors à tourner... comme un disque.
Pour l’enrayer, mon esprit se concentre sur les porteurs népalais surchargés (certains trimballent 70 kg sur leur dos), les convois de yaks et les salutations d’enfants... jusqu’à la montée interminable vers Namche Bazar, un époustouflant village en arc de cercle, à 3440 mètres d’altitude. Là, mes fidèles genoux, infaillibles à ce jour, commencent à geindre. Tiens, j’ai un ami qui a récemment subi une rupture des ligaments croisés pour moins que ça.
Flop flop flop flop flop…
Pour compléter ma liste de blessures potentielles « au bas du corps », mes tendons d’Achille se mettent à tirailler, me remémorant un trek cauchemardesque en Islande. « Souviens-toi de l’été 2011 avec tes souliers neufs pas cassés, susurrent-ils, quand on a fini la randonnée pieds nus tellement on souffrait... »
Par monts et par maux
Passé Namche Bazar, le Népal sort son attirail pour exorciser mes angoisses, dont Ama Dablam, une aiguille sidérante de 6812 mètres. Durant notre acclimatation, Pasang pointe les silhouettes hallucinantes que nous visons, celles de l’Everest et de ses voisins. À ces paysages idylliques s’associent d’autres baumes: météo au beau fixe, nuits réparatrices dans les auberges, air pur...
Les vibrations du mystérieux monastère de Tengboche, où nous faisons étape, nous protègeront-elles? Car les sentiers se font plus ardus à mesure que nous grimpons vers les hameaux de Dingboche (4350 mètres), Lobuche (4930 mètres) puis Gorak Shep (5160 mètres), où les montagnes deviennent tonitruantes, tandis que l’oxygène s’appauvrit.
Mes poumons, bien qu’ayant déjà bravé des altitudes beaucoup plus élevées, peinent à suivre. Côté gauche, des tiraillements apparaissent. Je pense subitement à mon frère, victime l’an passé d’un pneumothorax (décollement de la plèvre), une pathologie affectant surtout les grands minces (comme moi, tiens). À moins que ça ne soit le coeur qui lâche? C’est bien à gauche, le coeur, non?
Pas le temps d’y songer que le mal se fait la malle et change de place. J’ai des enclumes aux pieds, une perceuse dans la tête, un broyeur dans l’estomac. Est-ce la fatigue, combinée à l’altitude et à une mauvaise digestion ? Je cesse de prendre des photos, les cimes n’existent plus. Un véritable tourbillon mental s’amorce, faisant virevolter les symptômes du mal aigu des montagnes. Mal de tête? Je l’ai. Vertiges? Aussi. Nausées? Bingo. Modérés, mais bien là.
Flop flop flop flop flop. Justement, un hélico passe dans le bleu acier du ciel. Au moins 5000 $US le sauvetage, qu’ils disaient. C’est sûr que le prochain est pour moi.
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Hymalayathérapie pour malades imaginaires
Tout ceci préoccupe un peu le placide Pasang. Serai-je la première tache sur son CV immaculé de guide? « Montons jusqu’à Dughla, puis on prendra une décision là-bas. Il faudra peut-être redescendre. »
Sur son conseil, j’engloutis des litres d’eau, salutaires: j’étais tout simplement déshydraté. Le b.a.-ba du trekkeur en haute montagne, que ma peur avait réussi à évacuer de mes priorités. Enfin! Je renais et profite pleinement des colosses montagneux, parés de leurs stupas et de leurs drapeaux multicolores. Wow!
Mes médecins s’appellent Dr Changtse (7543 m), Dr Nuptse (7861 m), Dr Lhotse (8516 m). La tête vide, tout redevient limpide, et je retrouve l’énergie d’atteindre l’ultime étape, flanqué de yaks et de porteurs népalais.
Comme depuis trois décennies, Pasang a conduit son client au but, sans encombre – ou presque. On pourrait monter une nouvelle pièce de Molière, Le malade imaginaire au pied de l’Everest.
Reste un dernier effort à fournir. Pour admirer le lever du soleil sur le toit du monde, les randonneurs gravissent habituellement le sommet voisin de Kala Patthar, de nuit. Et nous voici partis, dans un vent glacial à décorner les yaks, sur des pentes fort escarpées.
Malgré ma double-couche de manteaux, tous mes membres gèlent. Deux heures plus tard, parvenus à la cime, nous rejoignons les autres guides népalais, qui grelottent et gémissent. « Quel froid! On n’a jamais vu ça ! » Nous attendons le spectacle, immobiles et frigorifiés – c’est évident, je suis bon pour la crève du siècle. Le lendemain, la sanction tombe: mon nez coule pendant cinq minutes.
Croyant être victime de tous les maux, des pieds à la tête, j’ai certes terni mon aventure, mais l’Himalayathérapie fut un remède de choc – un traitement que je prescris à quiconque, même à ceux qui ne souffrent de rien.
Prudence, toutefois. Sur le retour, pendant notre descente libératrice, Pasang converse avec un autre guide. Nous repartons, puis il lâche, tranquillement, le fruit de sa discussion: « Un randonneur est mort aujourd’hui. Un Australien. On ne sait pas comment. »
Le prochain hélico, il n’était pas moi. Il était pour lui.
Vous êtes certains de cela, il m'apparaît que l'hélicoptère est plutôt au-dessus ou tout près du camp de base. ???
C'est exact, le mot n'est utilisé nulle part, seulement sous-entendu. lol !
Aucun des jeunes qui m'accompagnaient n'est resté sur le carreau.
Si vous avez vus des jeunes de 20 ans sur le carreau c'est qu'il n'étaient pas dans votre groupe.
Car nous savons tous que le guide à l'avant ne doit pas être dépassé et le guide à l'arrière demeure avec le ou les retardataires.
Si j'avais eu 20 ans, j'aurais eu la force de grimper le Patar, hihihi !
Et cet Australien, se rendait-il seulement au CdB ou plus haut ?
Mais j'ai vu des jeunes de 20 ans rester sur le carreau à cause d'une ascension trop rapide. L'âge n'a pas grand-chose à voir là-dedans.