Longue randonnée : 250 km à pied dans l’Atlas marocain avec un âne
Il y a quelques semaines, l'aventurier Yannick Daoudi a marché 250 km à travers le Haut Atlas, une chaîne de montagnes au Maroc, en 14 jours et en autonomie complète. Il n'était toutefois pas seul, puisqu'il était accompagné d'un âne, prénomé Benji. Il nous raconte son expédition.
Si vous me demandez de décrire le compagnon d'aventure idéal, j'aurais du mal à trouver mieux que Benji. Calme, patient, intelligent, fort, agile, qui ne se plaint jamais et très rigolo, j’ai acheté ce petit âne d’une dizaine d’année à cinquante dollars dans la magnifique vallée de Ait Bougemez, le point de départ de ma grande traversée du Haut-Atlas marocain.
© Courtoisie Yannick Daoudi
Bien qu’il soit possible de se ravitailler de façon très sommaire dans certains des villages le long de ce parcours de 250 à 300 km, je voulais le faire en autonomie totale, donc transporter tout le matériel et la nourriture nécessaire du début à la fin. J'adore préparer mes propres repas déshydratés et partir à l'aventure en sachant que je ne dépends de rien ni de personne à ce niveau-là. L’objectif était de relier les 2 plus hauts sommets d’Afrique du Nord en 14 jours, soit Le mont M’Goun à 4071 m et le mont Toubkal à 4167 m, deux montagnes que j'avais déjà eu l’opportunité de gravir individuellement. Benji était donc ma solution pour le transport des 50 kg de matériel, de nourriture pour nous deux et d’eau pour 24 heures consécutives.
Le matin où je l'ai trouvé il était en piteux état. Il était maigre, sale et ses sabots n'avaient pas été parés depuis beaucoup trop longtemps. Moins de 4h après cette première rencontre, et après une petite pédicure et chaussé de nouveaux fers, il s’est lancé à l’aventure à mes côtés. Je réalisais que je prenais un grand risque car je ne connaissais pas cet âne et nous nous dirigions vers des régions très éloignées oscillants entre 1400m d’altitude pour la vallée la plus basse et 3200 m pour le col le plus haut.
© Courtoisie Yannick Daoudi
Nous étions à tel point hors des sentiers battus qu’en deux semaines, je n’ai passé qu'un seul autre randonneur ! C’était le matin de ma 6e journée. La solitude était mon quotidien, alors quelle n’a pas été ma surprise de voir apparaitre une silhouette sur la petite crête derrière mon campement. Un jeune français avec son gros sac à dos, qui était déjà bien au courant de l’expédition du canadien et de son âne. Les nouvelles vont étrangement vite dans une région si parsèment peuplée!
Il m’a vu en train de faire bouillir mon eau pour mon gruau et m’a tout de suite demandé comment j’avais fait pour me procurer une bonbonne de combustible à vis de type MSR. Ce n’était en effet pas évident à trouver au Maroc, il mangeait donc ses repas lyophilisés froids depuis le début de la randonnée! Imaginez-vous l’extase quand je lui ai répondu que j’avais acheté une bonbonne de secours au cas où et qu’il pouvait l’avoir. Je pense que ce moment restera gravé dans sa mémoire pour le reste de sa vie, et certainement à chaque repas chaud qu’il a mangé pendant le reste de la randonnée. Quelles étaient les chances d’une telle rencontre fortuite ?
Marcher au rythme de l'âne
L’expédition a commencé de façon rude avec une montée de 1000m de dénivelé positif jusqu’au col Tizi N’Takerdit et c'est là où j'ai réalisé dans quoi je m'embarquais. Benji peinait, il avançait très lentement et s'arrêtait fréquemment, j'ai vite dû accepter le fait qu’il allait me falloir presque 2 fois plus de temps de marche quotidienne que je ne pensais si je voulais atteindre mon objectif. La plupart des jours nous passions entre 8 et 10 heures sur les sentiers. J’ai donc dû adapter mon itinéraire en laissant de côté l’ascension de deux sommets sur le trajet et me limiter à la simple traversée. J’avais déjà fait deux longues expéditions avec des animaux de bat, mais aucune de celles-ci n’étaient dans un environnement aussi accidenté et montagneux avec des sentiers étroits à flanc de falaise. Même les plus téméraires d’entre nous verraient leur rythme cardiaque s’emballer devant certains passages, alors imaginez avoir à gérer un animal qui fait trois fois votre largeur et transporte tout votre matériel sur son dos.
Une section en particulier me vient en tête. C’était le 9e jour en chemin vers le plateau d'Afra. Nous avions eu tout le mal du monde à suivre la piste cette matinée-là. Nous nous sommes engagés sur le flanc d’une falaise et nous nous sommes retrouvés coincés sans qu’il soit envisageable ni de faire demi-tour, ni d’avancer sans risquer une chute de plusieurs centaines de mètres. La seule solution était de grimper vers le haut en espérant y trouver une issue. La roche s’effritait sous nos pieds à chaque pas. Nous ne pouvions pas hésiter. Il fallait se lancer d’un coup et ne pas s’arrêter. Je ne pouvais pas m’empêcher d’imaginer moi ou Benji être l'un de ses gros cailloux qui déboulaient dans le vide derrière nous. À un moment, la pente devenait tellement raide, que je me suis senti partir avec le glissement des roches. J'ai pu me rattraper de justesse en plantant mon bâton de marche dans la rocaille. Je voyais Benji me fixer et je m’imaginais bien qu’il se demandait pourquoi je ne l’avais pas laissé tranquille dans son petit village.
Étonnamment, la pire section était sans aucun doute la vallée touristique de l'Ourika, ces 6 km sur une route goudronnée avec un trafic sans dessus dessous et aucune zone tampon. Benji a failli se faire heurter deux fois par des autos. Nous sommes arrivés là pendant les festivités de la fête du mouton et il semblait que toute la population de Marrakech était venue s’y réfugier de la chaleur. Après le calme des montagnes, c’était l’enfer. C’est d'ailleurs la seule nuit où j'ai été séparé de Benji car je n'avais pas d’autre choix que de loger dans un gîte et je ne pouvais pas le prendre avec moi.
© Courtoisie Yannick Daoudi
Il y a quelque chose de magique à voyager avec un animal et c'est pour ça que j’ai renouvelé l’expérience à quelques reprises. Je n’oublierai jamais Angeli, ma dromadaire avec qui j’ai traversé du désert de Thar entre l’Inde et le Pakistan, et Fart, mon cheval auprès de qui j’ai parcouru la Taïga sibérienne le long de la frontière entre la Mongolie et la Russie. Il est certain que ce n'est pas de tout repos et il faut savoir dans quoi on s’engage. Par exemple avec Benji, je transportais jusqu'à 9 kg d'orge pour le nourrir, mais je devais toujours m'assurer de laisser au moins deux heures entre le moment où il mangeait et le moment où il buvait, même s'il avait très soif, sans quoi il pouvait tomber gravement malade. Avec les jours qui passaient, nous avons établi une belle complicité et une relation de confiance. Benji a vite compris notre routine, si bien qu'il me devançait dans certaines tâches, particulièrement aux heures de repas où il se faisait un malin plaisir à me voler des oranges ou ses propres carottes si je n'étais pas à l'heure. Il fallait aussi prendre en compte le temps « logistique » que cela implique. Par exemple, lors de la pause de midi pour le lunch, il était important de prendre le temps de complètement décharger Benji, pour tout recharger avant de repartir. Mais notre camaraderie, ces petits moments de rire et d'affection avec lui, en valaient mille fois la peine. Et je ne peux pas me plaindre de n’avoir à porter moi-même qu’un petit sac de 16L sur le dos, me laissant ainsi pleinement apprécier les somptueux paysages à longueur de journée, sans subir le poids d’un gros sac.
© Courtoisie Yannick Daoudi
Il est intéressant de noter qu’il n'y a pas qu’une seule Grande traversée du Haut Atlas marocain. J'avais réussi à trouver trois différents tracés GPS de cette traversée. Mais j'ai réalisé à la dure, qu'un tracé GPS ne veut pas dire que cela soit adapté à un âne. À ma cinquième journée, je suivais un tracé qui devait me faire remonter un lit de rivière pour rejoindre un col. Je commençais à avoir des doutes quand on pénétra dans un canyon qui se resserrait autour de nous jusqu’à que nous nous retrouvions devant une petite chute de quelques mètres de haut qui aurait été facilement franchissable avec un sac à dos mais complètement impossible avec Benji. Nous avons alors perdu plus d'une heure et demie à trouver une façon de contourner le canyon. Cette journée-là aura eu le mérite de me faire faire plus attention aux courbes topographiques par la suite. Certes, il semblerait qu’il y ait eu une tentative de balisage d’itinéraire avec parfois de la peinture rouge, parfois de la peinture bleue, et parfois de la peinture blanche mais il ne fallait pas trop compter dessus. Nous avons passé des journées entières à marcher sans croiser le moindre marquage.
Au cours de mes 25 ans d'expéditions aux quatre coins du globe, je me suis fait prendre pour beaucoup de choses mais jamais pour un marchand ambulant, comme ce fut le cas ici. Je parle arabe donc ça simplifiait la communication avec les bergers berbères qui me demandaient chaque jour ce que je vendais. Et même si je n’avais rien à leur vendre, ils m'offraient un verre de thé qu'ils avaient l'habilité de matérialiser en l'espace de quelques minutes.
© Courtoisie Yannick Daoudi
Niveau météo, c'était soleil, soleil, et soleil. Le Maroc connaît une sécheresse depuis déjà plusieurs années, je m’attendais donc à un environnement très sec. Cependant les montagnes de l'Atlas sont aussi connues pour leurs orages électriques très violents et leurs crues éclairs. Je transportais donc quand même le nécessaire pour tout imperméabiliser et devais faire attention où je plantais ma tente. Au final, je n'ai eu à enfiler ma veste qu’une seule fois en deux semaines. Les vents quant à eux peuvent être extrêmement violents, surtout sur les plateaux et au niveau des cols. La température varie énormément entre les plus basses vallées verdoyantes où on crève de chaleur et les nuits où on gèle sur des plateaux lunaires à près de 3000 m d’altitude.
Par contre, nous n’avons jamais eu de températures négatives. Toutes les journées étaient extrêmement chaudes et sans possibilité de se réfugier dans un endroit ombragé, je me couvrais de la tête aux pieds en permanence. J’étais bien content d’avoir choisi des souliers de marche robustes car le terrain était très rocailleux 90% du temps. On était bien loin des sentiers moelleux des Appalaches.
© Courtoisie Yannick Daoudi
Après le magnifique dernier col à 3200 mètres d'altitude et à la vue du géant Mont Toubkal, mes sentiments étaient très mitigés. D’une part la fierté, vis-à-vis de Benji et moi-même, d’avoir relevé ce défi avec succès, comme toute personne qui parvient à accomplir un projet lui tenant à cœur, mais d’autre part une forme de nostalgie, ne voulant pas voir mon aventure avec lui se finir. Voyager avec un animal de bat, ça veut aussi dire garder la partie la plus difficile de l’expédition pour la fin : la séparation. Mon seul souhait à ce moment-là était de pouvoir continuer à marcher avec mon ami Benji… jusqu’à Sherbrooke.
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L'aventure de Yannick Daoudi et son âne Benji en vidéo
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