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  • Crédit: Evans Parent, www.snowchasers.blogspot.com

Kirghizistan : skier les montagnes célestes

Situé sur l’ancien tracé de la très célèbre route de la soie, le Kirghizistan n’est certainement pas un pays dont on entend souvent parler. Niché au cœur de l’Asie centrale et enclavé entre la Chine, le Kazakhstan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan, ce pays issu de l’effondrement de l’URSS est pourtant un véritable paradis pour les adeptes de plein air.

Les possibilités qu’offrent les montagnes du Pamir et des Tien-Shan, couvrant près de 80 % du territoire kirghize, sont pratiquement infinies. C’est l’attrait pour ces montagnes qui m’a poussé à m’intéresser au plus petit pays d’Asie centrale.

À partir du Canada, il est très difficile de trouver de l’information quant aux conditions et aux différentes possibilités de ski de ce pays. J’en ai finalement conclu que d’y aller était la meilleure façon de me renseigner. C’est un peu en méconnaissance de cause que je suis parti avec mon père pour aller découvrir cette partie du monde dont je ne connaissais pas grand-chose.

5 h. Je fais enfin la découverte de ce pays. L’aventure commence dès notre sortie de l’aéroport alors que nous négocions un taxi en russe avec le premier chauffeur rencontré. Après beaucoup d’efforts et de signes, nous sommes finalement en route vers le cœur de Bichkek, la capitale quelque peu glauque du Kirghizistan. Les larges rues, l’abondance de vieilles Lada et les bâtiments majoritairement gris, gris pâle ou gris foncé sont des signes bien concrets de l’influence soviétique.

Tous les types d’hébergement sont disponibles ici : de la yourte à l’hôtel cinq étoiles en passant par les B&B. Afin de développer les différentes économies locales, un vaste réseau d’hébergement directement chez l’habitant a vu le jour. Établies dans la plupart des villes du pays, les pensions ne sont normalement pas disponibles l’hiver. Le fait que plusieurs possibilités soient offertes dans le village d’Arslanbob, un hameau de 13 000 habitants, a piqué ma curiosité. Après quelques recherches, je découvre que ce village propose depuis peu du ski hors-piste!

Crédit: Evans Parent

Les descriptions que je réussis à trouver sont plutôt sommaires, mais l’authenticité qui se dégage de cette destination m’inspire. Après une brève discussion avec mon père, la décision est prise : départ demain matin! J’appelle donc le responsable du programme de ski, Hayat, pour annoncer notre arrivée et régler les derniers préparatifs.

Après un vol d’à peine une heure dans un vieil avion russe plus bruyant qu’une tondeuse à gazon diésel, nous atterrissons dans la ville d’Osh. À notre arrivée, comme promis par Hayat, un chauffeur de taxi nous attend. C’est sans difficulté qu’il nous repère puisque nous sommes les seuls touristes sur place.

Notre chauffeur tente ensuite de gagner le Paris-Dakar sur la route en faisant des dépassements à quatre autos de large sur une route à deux voies! Les trois heures qui séparent Arslanbob d’Osh passent indéniablement très vite! Après avoir empilé nos bagages dans le banc de neige, à proximité d’un troupeau de vaches qui nous sert de comité d’accueil, il nous pointe une maison et nous fait comprendre que c’est là que nous devons aller.

Notre hôte, le professeur d’anglais de l’école primaire, semble très heureux de faire notre rencontre. Il nous fait visiter la maison qu’il a construite de ses mains et dont il n’est pas peu fier! Notre appartement est constitué d’une petite chambre avec deux lits sur lesquels reposent plusieurs couvertures. J’en comprends que s’emmitoufler sous huit couvertes différentes est la technique utilisée pour avoir chaud. Nous profitons du temps qui nous sépare du souper pour partir à la découverte de ce village.

Je me sens comme une vedette puisque tous les enfants que nous rencontrons nous saluent d’un très sincère : « Hello! » Les adultes, eux, sont plus réservés, mais personne ne nous ignore. Le tourisme n’étant pas très développé, les habitants sont touchés et honorés qu’on parcoure la moitié du globe pour venir découvrir leur pays. C’est un contraste intéressant avec d’autres destinations plus touristiques où les voyageurs sont plutôt perçus comme un mal nécessaire avec lequel les gens du coin doivent composer.

Au détour d’une maison, on évite de justesse un jeune d’environ six ans, debout sur des petites lames en fer avec des poignées, qui passe à toute vitesse. Les rues enneigées du village permettent aux enfants de pratiquer ce qui est une sorte d’hybride entre le ski et le patin. Il ne semble pas avoir eu trop peur puisqu’il continue sans jamais se retourner.

Nous finissons par rencontrer Hayat, l’homme derrière le développement du ski à Arslanbob. Il a décidé de démarrer un programme de ski hors-piste afin de stimuler un peu l’économie du village. L’été, avec sa grande forêt de noix de Grenoble et les randonnées tant pédestres qu’équestres, plusieurs touristes convergent vers cette communauté. Durant la période hivernale, par contre, à cause de l’absence de touristes, le taux de chômage atteint près de 90 %.

 

Crédit: Evans Parent

Il nous explique avec une énergie et une passion peu communes comment il croit pouvoir développer le marché du ski hors-piste et venir en aide à sa communauté. C’est avec un sourire fendu d’une oreille à l’autre qu’il nous montre l’équipement de ski qu’il a pu acquérir depuis qu’il a lancé son programme de ski. C’est avec cet équipement qu’il tente de former les jeunes afin d’en faire d’habiles skieurs qui pourront guider les voyageurs venus pour explorer les montagnes avoisinantes

On quitte finalement Hayat après avoir organisé notre prochain périple : un séjour de trois jours vers une hutte de bergers abandonnée durant l’hiver. À partir de cet abri, il est apparemment possible de skier différents bols et arêtes et il parait que les conditions de ski y sont très bonnes.

Après un déjeuner bien gras, on enfile nos skis directement à la sortie de la maison et on descend jusqu’à notre point de rendez-vous sur les rues enneigées. C’est drôle de skier dans les rues puisqu’on croise des piétons, des charrettes, des enfants en ski-patin ainsi que plusieurs cavaliers montant de superbes chevaux.

Hayat est tout souriant à notre arrivée et s’affaire à finaliser les derniers préparatifs pour la bouffe des prochains jours. Il nous explique que les cavaliers que nous avons croisés s’en vont jouer une partie du sport national du Kyrgyzstan : le buzkashi. Ce jeu est une sorte de partie de polo, mais au lieu d’utiliser une balle en bois, c’est plutôt une carcasse de chèvre gelée qui fait office de ‘balle’! Ce sport est pratiqué principalement l’hiver puisque la carcasse demeure ferme plus longtemps que l’été.

Au fur et à mesure qu’on s’approche de notre destination finale, les promesses de Hayat se concrétisent. Le plateau de Jaz-Jarym offre des faces oscillant entre 25 et 50 degrés, éparpillées sur différents aspects. Je ne sais pas si c’est la présence du Gora Babash-Ata, le sommet le plus haut de la région, à 4 428 mètres à une extrémité du plateau qui crée des chutes de neige particulières, mais les conditions semblent de toute évidence très bonnes!

La hutte est constituée de murs en terre, d’une seule minuscule fenêtre au travers de laquelle la lumière peine à passer et d’un toit en tôle. Il n’y a aucun poêle pour réchauffer notre abri... Alors que nous nous apprêtons à nous coucher, je remarque que les murs sont parsemés de trous et qu’on peut voir à l’extérieur à plusieurs endroits. Le ciel complètement dégagé annonce une bonne journée de ski pour le lendemain... et une nuit bien froide! Mon père, armé de son sac de couchage d’été, se prépare pour sa première nuit en camping d’hiver!

À notre réveil, nous avons la mauvaise surprise de constater que le ciel n’est pas dégagé. Un épais brouillard couvre le plateau et il est impossible de discerner ciel et terre. Assis dans la hutte, nous buvons du thé et attendons que le brouillard se lève en discutant de ski avec Hayat.

Crédit: Evans Parent

Une légère accalmie de milieu de journée nous sort de notre léthargie et on en profite pour se diriger vers la face nord la plus proche. Malheureusement, plus on s’approche et plus le brouillard semble s’épaissir. Après une attente de près d’une heure au sommet, on se résigne finalement à descendre un peu à l’aveugle. La neige vierge, c’est ce que je préfère. Par contre, lorsqu’il n’y a pas de contraste, les virages se font très ardus puisqu’il n’est jamais clair si la pente devient plus ou moins abrupte.

On retourne un peu penauds et déçus de ne pas avoir pu profiter des superbes faces qu’on avait observées la veille. Les bouteilles de vodka qu’Hayat a apportées nous aident à rire de la situation et à passer le temps en attendant le souper. Après une nuit moins froide, on se lève avec une température un peu incertaine. Les nuages semblent vouloir se dissiper, mais pas complètement. C’est un tantinet plus d’optimistes que la veille qu’on part pour notre virée quotidienne.

La météo demeurera instable toute la journée et les passages nuageux seront entrecoupés de périodes ensoleillées. Sans pouvoir en profiter à fond de train, nous accumulons les descentes. La neige est belle, légère et c’est sans effort que nous laissons notre signature sur ces faces immaculées.

Pour ma dernière descente, j’ai la chance d’observer une immense mer de nuages qui danse lentement sous mes pieds, alors que le soleil éclaire généreusement le sommet du Gora Babash-Ata. Ce sont ces nuages qui nous ont forcés à une journée de repos la veille et qui s’accrochent exactement à l’altitude à laquelle nous skions. Le spectacle est grandiose et je profite d’un trou dans les nuages pour m’élancer à toute allure pour ce qui fut ma meilleure descente du voyage!

C’est finalement avec les jambes et le cœur lourds que nous enfilons nos sacs à dos pour amorcer la descente vers le village. La noirceur nous rattrape rapidement aussi nous servons-nous de nos lampes frontales afin d’éviter les piétons, les chevaux, les canards et les autos, lesquelles circulent tous phares éteints.

De retour chez notre hôte, celui-ci nous propose de faire une présentation sur le Canada dans son école le lendemain. Comme au bon vieux temps, où nous vivions sans Google et Wikipédia, les habitants d’Arslanbob vivent sans Internet. Afin de nourrir leur imaginaire de ce qui se trouve à l’extérieur des frontières de leur pays, ils se fient aux récits des voyageurs. Nous acceptons sa proposition sans hésitation. L’école primaire d’Arslanbob ressemble drôlement à une école primaire québécoise avec de larges corridors, des enfants qui crient et courent dans tous les sens, et des professeurs qui tentent de mettre un peu d’ordre dans ce désordre.

Notre présentation se fait devant une salle comble alors que tous les élèves de ce qui serait une quatrième année chez nous sont entassés dans une petite classe. Une dizaine de professeurs les accompagnent pour assister à notre dissertation qui part de Vancouver jusqu’à Halifax. C’est avec les yeux grands ouverts qu’ils écoutent ce que nous leur racontons tandis que j’échange la tribune à tour de rôle avec mon père.

Je doute que plusieurs des élèves présents aient un jour la chance de visiter le Canada. Malgré leur intérêt, la différence culturelle et économique de l’aventure risque de les décourager. Par contre, combien d’entre vous visiteront Arslanbob? En vérité, il n’y a (presque) rien qui vous en empêche. Oserez-vous l’aventure?

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Evans Parent est un skieur-globetrotteur commandité par Outdoor Research, Scarpa, Prana, Rottefella, Gregory et K2 Skis. Vous pouvez suivre ses dernières aventures sur son blogue au snowchasers.blogspot.ca

 
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