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Accès aux rivières : une lutte à contre-courant?

Les rivières québécoises sont parmi les plus spectaculaires à pagayer au printemps. Mais accéder à ces cours d’eau en furie n’est pas chose aisée. Pour dresser un portrait de la situation, nous avons rencontré Pierre Trudel, le directeur général de la Fédération québécoise du canot et du kayak (FQCK).

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IVAN ABORNEV

Les rivières québécoises sont parmi les plus spectaculaires à pagayer au printemps. Mais accéder à ces cours d’eau en furie n’est pas chose aisée. Pour dresser un portrait de la situation, nous avons rencontré Pierre Trudel, le directeur général de la Fédération québécoise du canot et du kayak (FQCK).

Comment se porte la santé du canot-kayak au Québec ?
Bonne. Aujourd’hui, nous avons 6 500 membres à la Fédération. Certaines enquêtes nous parlent de 700 000 canoteurs et kayakistes, mais je prétends que ce nombre a baissé parce que l’accessibilité aux rivières est de plus en plus difficile.

Quel est le problème?
Quand on parle d’accessibilité, on ne parle pas que de mise à l’eau pour entrer et sortir du cours d’eau. C’est un des éléments, mais ce n’est pas le seul. Si je pars plus qu'un jour, je dois avoir un campement en chemin. Si je n’ai pas d'endroit où piquer ma tente en cours de route, si je n’ai pas de point de sortie, c’est foutu : je ne ferai pas la rivière. Si j’ai des chutes à éviter ou si je dois passer d’un lac à un autre, le portage doit exister et doit être en bon état. Et il y a des éléments secondaires plus qualitatifs : si l’eau est polluée, on s'abstient. Les paysages aussi sont importants : j’ai beau mettre à l’eau à un bel endroit, mais si le reste de la rivière est bétonné ou que les propriétés privées sont installées à un point tel que l’ensemble de l’expérience devient peu intéressante, on laisse faire.

Il existe donc à la fois un problème d'infrastructures et de droit d'accès. Existe-t-il des façons de contrer cette tendance?
Depuis les années 1960, il y a de graves problèmes d’accès parce que la privatisation des rives gagne du terrain. Pour le canoteur itinérant, ça implique de trouver et d'aller demander au propriétaire la permission de camper ou simplement passer sur son terrain, sinon il doit se trouver un hébergement ailleurs. Il n’a pas le choix : tout est privé ! Dans le cadre de la réalisation du Sentier maritime du Saint-Laurent et de ses routes bleues, nous avons établi 511 ententes de publications — c’est-à-dire que le riverain est d’accord pour que l’on indique son emplacement sur une carte de parcours, où l'on spécifie les usages du lieu. Les riverains nous précisent à quelles conditions ils permettent d’utiliser leur terrain. Pour le Saint-Laurent, cette façon de faire est systématique. Pour ce qui est du territoire intérieur, sur les lacs et rivières, on a déjà eu jusqu’à 500 ententes avec de petits et grands propriétaires —comme Hydro-Québec —,mais ce nombre est en décroissance pour diverses raisons. Parfois, ce sont des agriculteurs qui vendent leur ferme et le nouveau propriétaire n’a pas reconduit l’entente. D'autres fois, un terrain est vendu puis subdivisé pour donner naissance à de petits lots, qui sont eux-mêmes revendus pour de la villégiature.

Plutôt sombre comme tableau…
Certaines municipalités redécouvrent leurs rivières et semblent de plus en plus vouloir les mettre en valeur grâce à des accès publics. Mais encore faut-il les soutenir dans cette démarche au lieu de parler de construction de minicentrales comme c'est le cas à bien des endroits. Actuellement, nous sommes engagés dans un large projet de concertation sur les enjeux de pérennisation et de développement des lieux et infrastructures de plein air, avec le Conseil québécois du loisir ainsi que plusieurs ministères. Un des buts est justement d'assurer un meilleur accès aux lieux récréatifs, pas seulement aux rivières pour les canoteurs, mais également aux sentiers pour les randonneurs et cyclistes, etc.

Pourquoi la FQCK s'oppose-t-elle aux barrages? L'hydroélectricité est une énergie propre…
L’hydroélectricité n’est pas une énergie propre. C’est mieux que le nucléaire, mais c’est loin d’être une énergie blanche comme neige. Toutes les fois où l'on construit un barrage, on vient de bousiller deux choses : le libre cours de l’eau et la faune en amont et en aval. Et puis, la construction de petits barrages n’a aucune incidence sur l’apport d’électricité. C’est une façon détournée de donner des subventions aux régions. Nathalie Normandeau, ministre québécoise des Ressources naturelles, a récemment avoué que les dernières propositions acceptées à la fin de l’été l’avaient été plus dans l’intérêt économique des régions que pour leur réel apport en électricité, qui est négligeable à l’échelle des grands projets. De plus, Hydro-Québec est obligée d’acheter cette électricité, ce qui fait que c'est vous et moi qui payons pour cette énergie produite en détruisant un site naturel. Alors, on déshabille l’un pour habiller l’autre. C'est entre autres le cas avec la Jacques-Cartier à Shannon.

Dans le contexte où l'opinion publique s'oppose également à l'exploitation des gaz de schistes, que nous reste-t-il comme source d’énergie acceptable?
Il y a le solaire, mais en fait, l’énergie propre est celle que nous économisons. La solution passe par la fin du gaspillage et des programmes de réduction de consommation et à la recherche et au développement d’autres technologies. Déjà, aux États-Unis, l'avènement d'alternatives énergétiques (souvent le solaire ou l'éolien) fait en sorte qu'on est en mesure, à certains endroits, de démanteler des barrages désuets et de renaturaliser des cours d'eau. La Fédération est absolument contre tout barrage construit sur un site vierge. Si le site a déjà un barrage, on n’y peut rien, le mal est fait…

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