Bruno Blanchet : Un touriste pas ordinaire
Il y a trois ans, les lecteurs du journal La Presse ont vu apparaître une chronique (presque) hebdomadaire d’un genre très particulier. Ni récit de voyage traditionnel ni compte rendu touristique, les textes signés par Bruno Blanchet parviennent du bout du monde et sortent de l’ordinaire. L’ex-chroniqueur, animateur et concepteur a tourné la page de sa vie montréalaise en 2004 pour partir à l’aventure durant une année complète. Mais l’aventure a raison de lui, et voilà qu’il ne veut plus rentrer au pays. Il est toujours au large…
Ses textes originaux, humoristiques et iconoclastes viennent d’être réunis dans un livre éclaté, qui rappelle bien l’esprit inclassable de ces chroniques et de leur auteur. La mise en page de l’ouvrage agrémente l’originalité du livre qui est parsemé des billets d’avion de l’auteur, des tampons de visa, des clichés « spontanés » pris au hasard des rencontres, des extraits du journal personnel de l’auteur et de toutes ces petites choses qu’on amasse et qu’on espère symboliques lors de nos propres périples.
Mais c’est la manière de voyager de Bruno Blanchet qui fascine le plus, lorsqu’il confronte ses idées reçues avec la réalité du terrain et la multiplicité des cultures qu’il traverse. Sans jamais se prendre au sérieux, ses péripéties offrent des récits saugrenus, mais toujours emprunt d’humanité qui font sourire ou réfléchir. Les destinations s’enfilent sans se ressembler : îles Fidji, Nouvelle-Zélande, Australie, Malaisie, Thaïlande, Myanmar, Laos, Chine...
Aussitôt son livre publié, Bruno Blanchet est reparti. Difficile à saisir! Nous l’avons rejoint, par Internet, quelque part entre l’Éthiopie et le Yémen, dans l’un des rares villages africains branchés sur le Web.
Pourquoi le livre couvre-t-il seulement la première année de ta fuite?
D’abord, je tiens vraiment à souligner que cet adorable livre est une création de Jacinthe Laporte, la boîte de design Amen, Marie-Christine Blais et les Éditions La Presse. Je n’y suis pour rien! Lorsque Jacinthe m’a contacté pour me faire part de son intention de publier La frousse autour du monde, j’étais occupé à traîner mon sac à dos en Indonésie et je m’apprêtais à commencer une saison de tournage pour l’émission de télé 3600 secondes d’extase. Comme je n’avais pas le temps de travailler à la conception du livre et que Jacinthe m’avait promis un bouquin avec une facture différente (le fait qu’elle m’ait demandé mes cahiers de notes et mes reçus collectés partout autour du monde pour ajouter au livre m’emballait!), je lui ai répondu : « Go! » Puis je l’ai découvert en même temps que tout le monde. Et j’ai adoré le travail qu’ils ont réalisé. Ça ne ressemble à aucun autre livre de voyage! Et la décision de le terminer avec la première année, symboliquement, je crois, était très juste. On boucle la boucle. Fin de la première étape! J’en dis pas plus, pour ceux qui ne l’auraient pas encore lu.
Quand pourrons-nous lire la suite ?
L’année prochaine… si Dieu le veut! D’ailleurs, il paraît que le travail sur le deuxième tome est déjà amorcé et j’ai bien hâte d’être surpris, encore une fois. Sinon, vous pouvez toujours me suivre chaque semaine dans La Presse, dans mes nouvelles aventures rocambolesques de La Frousse 2009!
Est-il plus difficile de partir, de quitter ou de toujours arriver dans un nouvel endroit?
Prendre la décision de « partir » est selon moi l’étape la plus difficile d’un voyage. C’est le saut dans le vide. Après, on devient accro au vertige. Raide! Il y a des matins où je me réveille, et je me sens des fourmis dans les jambes. J’allume l’Internet. Fouille. Puis, tiens, la Papouasie… Pourquoi pas! Et je plonge! J’achète un billet d’avion pour le lendemain. Sans préparation, sans savoir dans quoi je me lance. Et ça me redonne un peu le frisson du départ. Mais ça rend mon comptable inquiet :
– Bruno, t’as plus d’argent en banque.
– Pfff. Tu verrais les gens ici, Pierre… Ils n’ont même pas de souliers!
– C’est relatif, tu vas me dire?
– Oui.
– Bon. Je vais essayer d’expliquer ça à Visa…
Puis, « quitter » n’est pas facile non plus… Je me suis brisé le cœur un nombre incalculable de fois! Mais l’on se quitte presque toujours avec la promesse de retour, même si l’on n’y croit pas, pour éviter que ça déchire avec trop de douleur… Sauf que ça fait mal à chaque fois. Et « arriver dans un nouvel endroit », c’est le moment le plus excitant! Être complètement perdu, quelle joie…
Quelle est l’aventure ou la rencontre qui t’as le plus remué ?
L’aventure qui m’a le plus remuée est sans conteste le voyage en boutre, un bateau à voiles traditionnel malgache, que j’ai effectué sur le canal du Mozambique. La peur de ma vie! Pour faire une histoire courte (vous pourrez lire le détail dans La Frousse tome 3!), je me suis embarqué sur une coquille de noix au milieu de l’océan, sans moyen de communication, sans ceinture de sauvetage, sans moteur, et sans expérience de navigation… La totale! Pour ce qui est de la « rencontre », j’hésite entre Bernard, un curé irlandais croisé en Jordanie, Wei, une moine bouddhiste de Taipei en Taiwan, et un québécois, Jean-Pierre, rencontré à Mysore, dans le sud de l’Inde. Trois personnes éclairées qui semblent avoir été placées sur mon chemin par le destin, alors que je me posais de sérieuses questions et qu’ils avaient les réponses. Merci la vie. Sinon, chaque fois que je croise des bénévoles qui font un boulot de saint dans un bled pourri, je leur lève mon chapeau, je les admire. Tous ces médecins du monde, ces infirmières volantes, et ces cuisiniers sans frontière (des Québécois vraiment cools, allez les voir au cuisinierssansfrontières.org) sont vraiment des gens qui m’inspirent.
À quel moment l’aventure n’en devient plus une? Qu’est-ce que c’est après? Un mode de vie, une routine du voyage?
Le voyage tel que je l’ai entrepris est rarement routinier. Et lorsqu’il arrive, je me sens des racines pousser. D’habitude, instinctivement, je décolle. Je préfère l’instabilité au confort qui m’engourdit. Mon métier, qui est de créer, demande pour moi de faire ce sacrifice, afin d’être en état d’éveil, d’alerte presque, en permanence. Je crois que j’ai toujours fonctionné de cette manière dans la création, à différents niveaux, pour ne pas me répéter et devenir ennuyant. Et maintenant, je l’applique à la vie. C’est ce qui est différent.
Que cherches-tu au fond de cette quête personnelle?
Justement… La question que je me pose! Et quand j’y pense, c’est peut-être ce que je cherche, une question? Parce que les questions demeurent, alors que les réponses ont la fâcheuse manie de changer… En attendant, je cherche encore l’arrêt d’autobus qui me conduira de Nairobi à Mombasa!
Voyager avec son fils « en tant qu’adulte », vivre tant de choses intenses pendant si longtemps… quelle coloration cela donne-t-il à votre relation père-fils?
Lorsque je mentionne à des étrangers que nous sommes père et fils, ils font souvent une drôle de tête et me disent que « nous avons l’air d’être des amis ». Et ça, ça fait plaisir. Par contre, prétendre que nous sommes devenus des « chums » serait mentir, parce que Boris n’a pas beaucoup d’expérience du voyage et que je tente de le guider, comme un papa le ferait avec son fils dans n’importe quelle autre situation. Ce n’est pas des vacances! Je suis peut-être même un peu dur avec lui, parfois… Mais c’est parce que je veux qu’il soit tough! Et tendre, et ouvert d’esprit en même temps. Un mélange pas toujours évident… Et j’ai vraiment hâte qu’il se décide à partir seul, prêt à l’aventure et qu’il me surprenne avec ses histoires de voyages et qu’il m’apprenne un tas de choses, à son tour. Mais en attendant, nous vivons des expériences fabuleuses et nous partageons des moments privilégiés. Et ça, personne ne pourra jamais nous les enlever.
Après l’Asie… ce sera quoi? L’Afrique? L’Amérique du Sud? Un tour du monde?
No se! En Asie, j’ai encore quelques beaux pays à explorer, comme le Bhoutan et tous les autres dont le nom se termine en « stan ». Et d’autres contrées à redécouvrir, comme l’Inde, dont on ne se lasse jamais, et l’Indonésie, qui m’a laissé sur ma faim. Dans le cas du continent africain, je suis présentement en train de le visiter pour une troisième fois! Dans un premier temps, il y a trois ans, j’avais parcouru l’Éthiopie, l’Ouganda et la Tanzanie à vélo, le Madagascar, et un tout petit peu d’Afrique du Sud (dont une veillée du jour de l’an extraordinaire à Soweto!). Puis, l’année suivante, je suis allé d’Istanbul, en Turquie, jusqu’à Addis-Abeda en Éthiopie par voie terrestre, à travers l’Égypte et le Soudan. Maintenant, je suis reparti de Addis-Abeda, avec mon fils Boris et nous comptons descendre jusqu’à la pointe sud, sans prendre l’avion : ce qui signifiera traverser le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi, la Tanzanie, le Malawi, le Mozambique, le Swaziland… Quand je rentrerai, j’aurai complété un troisième tour du monde. Et dire que j’ai encore la frousse!
La frousse autour du monde de Bruno Blanchet, Les Éditions La Presse, 2008, 184 p.