Mylène Paquette : Où sont les femmes aventurières ?
On me présente souvent comme étant « la première femme » d’Amérique du Nord à avoir traversé l’Atlantique Nord à la rame. Merci pour les présentations, mais permettez-moi de corriger l’énoncé.
Au risque de décevoir certains messieurs, je suis la première « personne des Amériques » à avoir réalisé cette aventure, et ce, tous sexes confondus!
C’est d’autant plus révélateur que le bassin que les Amériques couvrent est beaucoup plus vaste que celui de l’Amérique du Nord, et qu’en tenant compte de cette différence, mais aussi en considérant les nombreux essais qui n’ont pas porté leurs fruits, je passe donc devant beaucoup plus de gens que ça pourrait déranger.
Je ressens constamment le besoin de corriger ces présentations erronées à mon sujet, non pas parce que j’ai besoin de vanter mes prouesses, mais parce que je sens que j’en ai le devoir.
Au nom de toutes les femmes qui n’ont pas de tribune pour parler haut et fort, je mentionne l’erreur pour dire que je suis passée devant les hommes, et qu’avant d’être une femme, je suis d’abord une personne, au même titre que bon nombre de femmes qui sont tout autant des pionnières et qui sont peut-être oubliées dans leurs milieux respectifs.
Je sens aussi que j’ai le devoir de corriger la mention au nom des trois hommes originaires du même continent que le mien, qui ont laissé leur vie sur l’océan en tentant de le traverser de la même façon que je l’ai fait.
Même si le grand public ne connaît pas leur histoire et le destin tragique qui les attendait, j’aime à penser que ces hommes, qui m’ont précédée par leurs tentatives, ont sûrement rêvé tout aussi fort à cette victoire, et qu’en utilisant le mot « personnes », nous sommes du même clan.
Mais pourquoi donc donner tant d’importance à mon genre? Est-ce si rare de voir une femme partir à l’aventure?
En interrogeant Google pour connaître les aventurières du Québec, j’entre les termes « femme », « aventure » et « Québec » et… j’atterris sur des sites d’hôtesses et de libertinage! Bon… en peaufinant mon vocabulaire, je déniche enfin plusieurs sources de fierté québécoise au féminin : l’alpiniste Sylvie Fréchette, la skieuse Mélanie Bernier, la cinéaste d’aventure Caroline Côté, sans oublier Marie-Andrée Fortin, qui se trouve encore dans le Nord sur ses skis de fond.
En faisant la même recherche au masculin, je me bute cette fois-ci à un obstacle imprévisible : une multitude d’articles sur Arthur L’aventurier, ce héros des gamins de 5 à 8 ans... La comparaison est digne de mention : chez les femmes aventurières, on me propose du libertinage; chez les hommes, des contes d’aventures merveilleuses pour enfants. Heureusement, après ce petit détour, j’ai aisément trouvé nos célèbres Fred Dion, Normand Piché, Gabriel Filippi et autres Sébastien Lapierre.
Loin d’être scientifiques, mes recherches démontrent tout de même que, là où certains soutiennent qu’il y a autant de femmes que d’hommes qui vouent leur vie à l’aventure, force est de constater que leur couverture médiatique est moindre, à tout le moins. Une réalité qui semble aussi le lot du sport professionnel : la couverture de la Ligue nationale de hockey féminine est quasi inexistante, et il n’y avait que trop peu de spectateurs dans les gradins, lors de la dernière Coupe du monde de soccer féminin.
Le travail des femmes serait-il moins spectaculaire? Je n’en crois rien.
Heureusement, certains hommes contribuent à changer les mentalités. Aux Jeux olympiques de Rio, lorsqu’un reporter de la BBC a demandé au joueur de tennis Andy Murray comment il se sentait par rapport au fait d’être la « première personne » à avoir gagné deux médailles d’or olympiques au tennis, l’athlète a rappelé que « Venus et Serena [Williams] en ont gagné au moins quatre chacune »…
Cette anecdote justifie une fois de plus l’existence de la Journée internationale de la femme, le 8 mars de chaque année, pour que jamais nous ne puissions oublier les femmes qui marquent le monde par leur détermination.
Après tout, si les gens mettent encore autant l’accent sur mon genre, c’est peut-être parce qu’il y a moins d’aventurières que d’aventuriers, certes, mais aussi parce que nous avons besoin de plus de modèles féminins qui repoussent les limites de l’impossible, peu importe le créneau, peu importe la mission…
Sans doute ma traversée vient-elle donner de l’espoir aux femmes qui fournissent tant d’efforts au quotidien. Et mettre l’accent sur mon genre vient peut-être réveiller le monde de possibilités qui se cache au fond de toute femme prête à se faire raconter mon histoire…
Chères lectrices, le monde est à vous!