Du plein air sans bonnes manières
L’été dernier et cet automne, on a vu se multiplier des comportements inappropriés en plein air; la sensibilisation aux bonnes pratiques suffira-t-elle? Premier de deux textes.
Des chemins jonchés de masques et de kleenex souillés. Des papiers toilettes et des emballages de barre tendre éparpillés dans la nature. Des sentiers défigurés à force d’être élargis par des « randonneurs » sans scrupule. Cette année, les nouveaux adeptes du plein air ont laissé sur les espaces naturels les traces de leur passage... massif.
« Nous avons eu droit à une nouvelle sorte de randonneurs que nous n’avions pas avant, dit une employée du parc national du Mont-Orford. J’ai déprimé tout l’été à ramasser derrière eux. » Le rabais de 50 % sur la carte annuelle d’accès aux parcs nationaux semble avoir provoqué, cet été, une réelle recrudescence des « amateurs » de plein air, ce qui, en soi, est plutôt à saluer à l’ère du déficit nature.
Un bilan désastreux
Le constat relève de la simple logique : plus de vacanciers dans les parcs et autres espaces naturels, ça fait plus de dégâts sur le milieu. Mais au-delà de la surfréquentation des sites, on a aussi assisté à des scènes quasi-rocambolesques, notamment en Gaspésie et à Rawdon, où le maire a dû fermer l’accès à la plage et aux cascades aux non résidents de la municipalité devant la déferlante de visiteurs qui s’y sont attroupés (jusqu’à 6000 en une seule journée) à la fin du mois de juin.
Des comportements pour le moins inciviques voire déplacés s’y sont multipliés notamment sous l’effet de l’alcool. Comble du sans-gêne : la plupart d’entre eux se sont stationnés sur des propriétés privées et sur des mises à l’eau, privant les plaisanciers d’y avoir accès pour leur embarcation. Certains médias n’ont pas manqué de rapporter les faits, attisant ainsi la foudre des citoyens locaux… et des autres.
Certains sites de pleine nature ont aussi été victimes de leur foudroyant succès, comme dans la région de Charlevoix. « Des randonneurs qui trainent une drill pour installer des ancrages pour leur tente suspendue à même la roche au sommet des Morios et qui célèbrent leur coup avec leur ghetto blaster dans l’tapis », commente une pleinairiste locale. Beaucoup ont fait des feux sur ce sommet, dont la végétation subalpine est particulièrement fragile et lente à se régénérer. « Charlevoix, charme-moi » : le slogan de l’association touristique locale n’a jamais suscité autant d’adhésion que cette année.
Sans trace et sans reproche
« Ces gens ne savent pas comment se comporter en nature, explique Patrick Auger, président de Sans Trace Canada. Leur attitude vient de leur méconnaissance, raison pour laquelle nous avons créé un guide avec Rando Québec à l’attention des gestionnaires de sentiers mais aussi des particuliers. » Entre cet organisme qui milite pour les bonnes pratiques en plein air et la Sépaq, des discussions ont eu lieu pour sensibiliser le grand public au respect du milieu, mais aussi de l’expérience des autres utilisateurs du territoire.
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Car certains comportements inappropriés ont provoqué non seulement une forme de nuisance mais, plus encore, des dommages bien réels sur l’environnement, notamment sur la faune. Certaines sections du Sentier national, comme celle du Mont-Ouareau, se sont retrouvées jonchée d’excréments de chien, pathogène pour la faune sauvage. De nombreux marcheurs ont même pris soin de les envelopper dans un petit sac de plastique prévu à cet usage, sacs qu’ils ont parfois suspendus à une balise, partant du principe que « quelqu’un » allait les ramasser.
« Des petits rongeurs ont mangé les sacs de plastique, ce qui est très mauvais pour eux, explique Patrick Auger. Tout comme les ratons-laveurs qui se nourrissaient du contenu des poubelles débordantes parce que les gens ne rapportaient pas leurs détritus chez eux. » Même les randonneurs de longue durée ont pu pâtir de cette prolifération de plastique et autres masques souillés jetés dans la nature. « Cette eau qu’ils ont bue, même filtrée, a pu se retrouver contaminée », explique Patrick Auger.
Le risque en prime
Certaines conduites extravagantes ont pu causer des situations à risques, comme c’est le cas sur la rivière Rouge, entre L’Ascension et La Conception, sur des sites d’accès public à l’eau. « Au plus fort de l’été, les gens se sont mis à descendre la rivière sur des bouées gonflables, comme s’ils étaient dans un parc aquatique, déplore Hugues Jacob, directeur général de la municipalité de La Conception. Sur les 22 km de rives, c’était impossible d’assurer un contrôle continu. »
Sous l’effet de l’alcool, des accidents sérieux auraient pu survenir. Sans compter les feux de camp allumés sur des îles de la rivière Rouge, et même sur des terrains privés. « Depuis plusieurs années, on voit de plus en plus d’objets flottants non identifiés sur la rivière, du genre bouées et autres licornes gonflables qu’on trouve d’habitude dans les piscines, constate Virginie Laurent, directrice générale de Plein air Haute-Rouge, qui fait la promotion des activités récréotouristiques durables. Cette année, la caisse de bière se trouvait souvent à bord du tube, avec la musique à fond. »
Devant cette situation qui perdure depuis quelques années, Plein air Haute-Rouge avait prévu d’engager des « gardiens de la rivière » chargés de faire de la sensibilisation et de distribuer des sacs poubelle. « À cause de la pandémie, cette mesure a été reportée à l’an prochain », dit Virginie Laurent. Un report d’autant plus fâcheux que l’été 2020 a été le plus achalandé jamais constaté. Bouées gonflables et autres déchets se sont amassés en aval sur des terrains privés.
Entre accès et contrôle
Dans une province où 80 % du territoire est public – et donc libre d’accès – le contrôle des comportements inadéquats en plein air s’avère complexe. Les adeptes de quatre-roues ont bien des permis pour passer sur des sentiers fédérés et accéder à ces terres publiques. Mais cette année, on a assisté à une recrudescence des motocross et des fullcross, capables de se rendre partout, parcs régionaux compris, via un chemin forestier, sans passer par l’accueil du parc. Ces motos tout-terrain sont pilotées bien souvent par des « pas d’tête, pas d’casque », selon l’expression imagée de David Lapointe, directeur général de Parcs régionaux de la Matawinie. Le principe-même de ces engins polluants et tonitruants : sortir du sentier le plus souvent possible. Pire : « Cette année, les offroad ont proliféré sur et hors-sentiers, d’énormes jeep modifiées qui se sont inventé une fédération pour se donner le droit de prendre nos sentiers, déplore David Lapointe. Ce qui nous a forcés à jouer aux policiers au lieu de faire de l’accueil. »
Autre tendance de l’été : une trentaine d’autobus scolaires, convertis en camping-car, se sont rassemblés tout près du parc régional de la Forêt-Ouareau. « En pleine canicule, ils ont fait des feux deux fois plus gros que ceux de la Saint-Jean », poursuit David Lapointe. Les pompiers, qui n’interviennent qu’en cas d’urgence, n’avaient évidemment pas le pouvoir de s’interposer. Le directeur des parcs de Matawinie a fait de la sensibilisation en priant pour qu’un tison ne provoque un incendie. Idem au parc régional des Chutes-Monte-à-Peine-et-des-Dalles où les gens, inconscients du danger, voulaient se baigner dans les fameuses chutes : « On a dû engager sept patrouilleurs pour les fins de semaine, ce qui a coûté très cher », dit-il.
Qu’on est loin du modèle scandinave, où le libre accès au territoire est inscrit dans la constitution grâce à l’auto-responsabilisation des citoyens!
Mais comment faire en sorte que ce genre de situation déplorable ne perdure, en sol québécois?
Lisez notre deuxièeme texte sur le sujet : Malappris du plein air : comment sensibiliser les gens?