Jonathan B. Roy : le cycliste optimiste
Originaire de L’Original, en Ontario, Jonathan B. Roy a parcouru 18 000 km à vélo dans 27 pays. L’aventurier de 32 ans raconte son périple dans un carnet de bord plein d’optimisme et ponctué de belles rencontres avec ceux qu’il appelle « le bon monde ». Entrevue.
À quoi vous attendiez-vous au début de votre voyage?
Je n’en avais aucune idée! Je ne savais même pas si j’allais compléter ma première semaine… La première soirée, je me demandais même comment faire du camping sauvage. Ce fut donc un apprentissage physique et mental, au quotidien. Mon objectif premier était de rouler pendant un an et au fil du temps, j’ai aimé ça de plus en plus.
Au final, est-ce le voyage que vous espériez?
Je voulais vivre une aventure, quelque chose d’extraordinaire. Ça l’a tellement été! Mais surtout, je voulais aller à la rencontre des gens, et ce fut aussi le cas. J’ai même gardé contact avec certaines personnes rencontrées durant mon périple.
Dans le désert, au Kazakhstan © Jonathan B. Roy
Qu’est-ce que le « bon monde » dont vous parlez dans votre livre?
J’étais tanné de me faire demander, durant mes précédents voyages avec sac à dos : « Tu n’as pas peur de rencontrer de mauvaises personnes? » Je voulais que ce voyage favorise les rencontres et le vélo est la meilleure façon d’y arriver. Les gens viennent à toi, sont curieux, généreux. Partout, ils m’ont reçu, nourri, hébergé, accueilli comme si j’étais leur fils… Rien de mal ne m’est arrivé et chaque fois que j’avais le début d’un problème, on venait m’aider.
Parmi ces bonnes personnes, lesquelles vous ont le plus marqué?
Il y en a beaucoup! Au Tadjikistan, une mère de famille de 53 ans – je lui en donnais 70 – m’a invité chez elle pour partager un repas avec sa famille. Une femme incroyable, capable de briser une noix de Grenoble avec ses mains! J’ai donné à ses deux garçons des autocollants « Canada », et quelques jours plus tard, un cycliste allemand m’a raconté avoir croisé deux petits gars qui lui criaient : « Canada! Canada! ». Ils avaient associé le vélo à mon pays. Cette anecdote m’a fait réaliser l’effet que nous avons les uns sur les autres : ils m’ont touché et eux vont se souvenir longtemps de ce cycliste canadien. C’est un échange qui va dans les deux sens.
Étudiants de Rushan dans le Pamir, au Tadjikistan © Jonathan B. Roy
Avez-vous d’autres exemples?
En Suisse, une dame m’a hébergé un jour où je ne me sentais pas bien. Elle souffrait d’un cancer en phase terminale, et j’avais un peu honte de me plaindre de mon indigestion, mais elle m’a assuré que nous avions autant besoin l’un que l’autre de nous rencontrer. Tu penses que ta présence est inutile, juste à te promener à vélo, mais en fait, non! Ces moments de partage rendent le monde plus petit, pour moi comme pour les gens que j’ai côtoyés.
Qu’est-ce que ce voyage a surtout changé chez vous?
Ma capacité d’adaptation. Tu peux me mettre dans n’importe quel pays du monde, je sais que je peux m’en sortir car je peux dormir ou manger n’importe où. J’ai réalisé que je suis capable de traverser un continent entier en ne mangeant que des pâtes, des Snickers et des pommes! Et je n’étais pas si épuisé, même si je ne suis pas un athlète. Je me fais confiance autant que je fais confiance aux autres.
Pause repas © Jonathan B. Roy
Mais encore?
Ce voyage m’a aussi permis de prendre du recul face à ma vie d’Occidental privilégié et de mieux comprendre l’immigration. Je me suis fait demander en mariage un nombre incalculable de fois, après seulement deux minutes de rencontre. Mon interlocuteur me proposait d’épouser sa fille ou sa sœur parce que j’étais Canadien et qu’elle aurait de meilleures chances dans la vie. Tu comprends alors mieux pourquoi certains choisissent de partir loin, dans une autre culture. J’ai un énorme respect pour ces gens.
Quelle est votre plus grande réussite?
Les plus grands défis sont les plus grands succès. Au Kirghizistan, j’ai pris la décision de tenter le passage d’un col de montagne. Tout le monde me disait que c’était impossible de franchir ce sentier cabossé qui n’était même pas sur Google Maps, avec de la boue, de la neige et des passages à plus de 30 % d’inclinaison. J’ai mis deux jours pour atteindre le sommet en poussant mon vélo et en prenant des pauses tous les 60 pas. J’étais mort de fatigue, mais j’ai réussi!
Passage de col épique au Kirghizistan © Jonathan B. Roy
Et votre plus gros échec?
Difficile à dire… Je me suis planté quelques fois et eu de petits accidents, parce que j’ai fait des erreurs bêtes. En choisissant un balado sur mon téléphone tout en continuant de rouler, par exemple, avant de quitter l’asphalte et de me péter la face, solide! Cela m’est arrivé plusieurs fois, mais je ne me suis jamais blessé!
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Vous dites que votre voyage était fait de « fun 1 » et de « fun 2 ». Expliquez-nous?
Le « fun 1 » ne fait pas forcément de bonnes histoires, mais c’est lié à des moments d’allégresse où tu te sens juste bien. Ça ne peut pas être toujours le cas, car ton voyage deviendrait plate. Le « fun 2 », c’est l’imprévu, le défi. Tu n’as pas de bouffe, tu roules dans une tempête de neige ou en plein désert par 50 °C… Une fois l’épreuve surmontée, tu éprouves une fierté qui remplit ton âme et ton corps, et c’est très valorisant.
Enfants au Laos © Jonathan B. Roy
Après un an de pause à Kuala Lumpur, vous vous apprêtez à reprendre la route?
J’ai apprécié le confort et le multiculturalisme de la capitale de la Malaisie, mais l’envie de repartir est réapparue. J’ai fait une escapade à vélo de quatre jours, pour me tester. J’ai vraiment trippé : m’arrêter quelque part, parler avec les gens, pas de contrainte de temps ni d’horaire… Cette indépendance, ça n’a pas de prix. Je vais donc repartir début juillet pour Singapour, Taïwan, la Chine, la Corée, le Japon. Je pense ensuite me rendre en Terre de Feu, puis remonter en Argentine, en Uruguay, au Paraguay, en Bolivie…
Quels conseils donneriez-vous à ceux qui voudraient parcourir le monde à vélo?
Le plus difficile, c’est de partir. Surtout la première fois. Mais tu n’es pas obligé de faire le tour du monde. Va d’abord rouler avec ta tente pendant quelques jours, sans décider à l’avance où tu vas dormir. Fais du camping sauvage et demande aux gens si tu peux planter ta tente chez eux. Je fais le pari qu’ils vont dire oui, même au Québec. On n’est juste pas assez habitués à demander, à aller au-devant des gens. Il ne faut pas avoir peur… et faire confiance au « bon monde »!
Histoires à dormir dehors : à vélo de l’Angleterre à la Malaisie, à la rencontre du bon monde, Jonathan B. Roy, Vélo Québec Éditions, 264 pages, 30 $.
Info : jonathanbroy.com et facebook.com/lebonmonde
Son voyage en chiffres
- 30 frontières traversées
- 10 crevaisons, aucun accident
- Plus longue distance parcourue en un jour : 137 km entre Sofia et Plovdiv (Bulgarie)
- Plus petite distance parcourue : 1,8 km… à cause d’une indigestion (Suisse)!
- Plus haute altitude atteinte : 4 661 m, au Tadjikistan
- Température la plus haute : 50 °C, dans un désert en Azerbaïdjan
- Température la plus basse : -12 °C, au Kirghizistan
- Plus grand nombre de jours sans douche : 7
- Nombre de demandes en mariage : ∞