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Véloroute des Appalaches : entre bitume et gravelle

Depuis mai 2019, les 9 nouveaux circuits de gravel bike du Centre-du-Québec sont opérationnels. Un palpitant réseau de 534 km qui s’ajoute aux 835 km de jolis parcours sur bitume, dans cette région encore trop méconnue des cyclistes. 

Je l’avoue, j’ai posé le pied à terre. Sous-entraîné et flapi par ce printemps novembrier, certes j’étais. Mais je venais aussi de parcourir 70 km, moitié avec un vent de face, moitié tout en côtes. En outre, je n’avais pas de pédales à clip et surtout, ce raidillon de bitume où débute le sprint final de la Classique des Appalaches accusait bien 12 % d’inclinaison, à vue de nez.

« T’inquiète, ce n’est pas comme ça tout le long, et la vue est superbe là-haut – pense à la bière fraîche qui t’attend en terrasse! », avait agité en guise de carotte au bout du bâton Renald Chabot, membre du club cycliste Cyclo Bois-Francs.

L’appât a fonctionné et même si je n’ai pas foncé à mollets rabattus vers le sommet du mont Arthabaska, j’ai finalement pu embrasser du regard Victoriaville et toute la plaine du Centre-du-Québec, tandis que la mousse houblonnée m’emmoustachait le pourtour des lèvres.

Ils n’ont pas tout à fait tort, ceux qui clament haut et fort que le vélo à Victo, c’est plutôt mollo : le chef-lieu du comté d’Arthabaska s’étend essentiellement sur du plat. Du moins, jusqu’à ce qu’on décide d’aller explorer le piedmont des Appalaches, qui donne rapidement lieu à des grimpettes qui peuvent rendre flagada les plus nervurés des quadriceps.

© Gary Lawrence

En 2018, plusieurs de ces parcours, pentus ou pas, ont été regroupés en circuits pour former la Véloroute des Appalaches : en tout, celle-ci compte 835 km de voies cyclables sur le dur, réparties en 12 circuits de 17 à 139 km qui présentent leur personnalité propre et tous les niveaux de difficulté, de l’ultrafacile au corsé.

En 2019, 9 nouveaux tronçons sont venus s’ajouter à la Véloroute, autant de parcours entièrement dédiés au gravel bike, ce vélo de route qui ne craint ni les champs, ni la garnotte, et qui est assez bien chaussé pour faire fi de tout caillou qui aspirerait à lui transpercer le pneumatique.

« C’est une excellente nouvelle : nous n’avons pas tant d’attraits touristiques dans la région, et c’est peut-être grâce à nos circuits cyclistes qu’elle sera bientôt mieux connue », espère Renald Chabot, dont les mollets d’airain et le souffle sans fin trahissent une passion dévorante pour le vélo. C’est en sa compagnie que j’ai parcouru quelques arpents de la Véloroute des Appalaches, côté cour (d’asphalte) et jardin (de terre battue). Et je n’ai pas été déçu.

De bitume…

© Gary Lawrence

Jour 1. En guise de mise en jambes, Renald m’emmène sur le circuit Chicks on Wheels, du nom d’un ancien club cycliste féminin qui l’a créé, il y a quelques années.

Tout débute à Victo, sur du plat bordé d’un accotement un peu mince, sur le rang 4 : le cadre est bucolique, les champs et les pommiers sont en fleurs en ce printemps tardif, certains tronçons sont jalonnés de longues enfilades d’arbres au garde-à-vous et les silos sont omniprésents, dans cette région éminemment agricole. Peu de véhicules nous croisent; mieux : ceux qui le font prennent leurs distances, au risque de faire ralentir les automobilistes qui arrivent en sens inverse. Bienvenue dans la région, les cyclistes!


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Après avoir fait le plein de kilojoules au croquignolet magasin Général de Sainte-Élizabeth-de-Warwick, nous mettons le cap sur Kingsey Falls, chef-lieu de la multinationale du papier recyclé Cascades et village natal d’un certain Conrad Kirouac, alias frère Marie-Victorin. Au parc qui porte son nom – où ont été créées les premières mosaïcultures tridimensionnelles – le fondateur du Jardin botanique de Montréal fait l’objet d’une grande admiration; nous apprécions pour notre part le petit parc à vélos et la trousse d’outils qu’on fournit sur demande, sur place.

© Gary Lawrence

De retour sur la route, celle-ci commence bientôt à s’élever, voire à jouer au yoyo : après la très passante 116, la jolie et paisible montée du rang des Moreau donne bientôt droit à une longue et superbe descente sur la rue Saint-Louis, avant d’emprunter le rang des Buttes, qui s’ouvre sur une lointaine vue du mont Ham qui révèle son double galbe. La course se poursuit ensuite jusqu’à Warwick et ses jolies demeures aux devantures stylées, avec une pause-rafraîchissement à l’ancienne et mignonne gare, devenue escale sur la Route verte. « Si t’as plus de jambes, on emprunte la piste et ça descend jusqu’à Victo! », de lancer par bravade Renald.

Pas question de flancher, avec ou sans côtes à grimper. Justement, celles du village d’Arthabaska se présentent bientôt, là où s’entame le fameux sprint de la Classique, juste après la maison où vivait Wilfrid Laurier. « Je te gage un 5 piasses que tu vas arriver avant moi au sommet du mont Arthabaska », dis-je à Renald. Comme prévu, j’ai finalement payé les deux pintes, mais la looooongue descente qui s’ensuivit n’en fut que plus enivrante.

…et de gravelle

© Gary Lawrence

Jour 2. Tandis que je mouline ferme pour venir à bout d’une énième montée, je remarque la devise du club Cyclo Bois-Francs, sur le dossard de mon nouvel ami Renald : Tout ce qui monte, monte encore. « Dis donc, t’es sûr que ce parcours ne s’appelle pas plutôt Les côtes sans fin? », dis-je à mon acolyte sur deux roues.

S’il ne fait que 50 km, le circuit Les vues sans fin se gravit autant qu’il se dévale, avec son itinéraire en boucle tout de terre battue – hormis quelques kilomètres de répit asphalté.


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En ces derniers jours de mai, des flaques d’eau subsistent et le chemin est ponctué de quelque « ventre-de-bœuf » – un mini-trappe de boue ferme capable d’aspirer un pneu, quand on lui roule dessus. Partout, le décor est pittoresque à souhait, encore plus que la veille : champs à perte de vue, silos qui se dressent au loin comme autant de sémaphores indiquant la voie à suivre, fermettes fermement debout, maisons ancestrales bichonnées, bicoques pelées et inclinées sous le poids des années, routes à peine fréquentées si ce n’est par un poids lourd égaré ou une cohorte de zoufs en quatre-roues… « Hier, nous étions sur le rang des Moreau; aujourd’hui, tu m’emmènes sur le rang des Morons? », dis-je à Renald.

Je déconne, bien sûr. Hormis un pilote de quad qui nous a déroulé son majeur quand nous lui avons fait signe de ralentir, les habitants du Centre-du-Québec sont tous d’une grande gentillesse, partout où on stationne son vélo.

Le rang Saint-Philippe s’amorce bientôt et avec lui naît la promesse de décors qui se déploient loin, très loin, jusqu’à de longs contreforts montagneux. Une jouissive descente s’entame alors pour nous mener, le nez au vent, jusqu’à Ham-Nord. « Bon ben… c’est ici notre dernier pit stop : il n’y ni épicerie, ni resto après ce village », prévient Renald. En ces vues sans fin, nous aimerions aussi être sans faim.


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L’endroit est tout indiqué pour Les Affamés que nous sommes, car c’est dans ce village qu’est né Robin Aubert, réalisateur du film de zombies du même nom. Plus tard, Renald attirera mon attention sur certains tronçons du parcours. « Tu vois, plusieurs scènes ont été tournées ici », dira-t-il tandis que mes jambes seront sur le point de se nécroser sous l’effort. « Robin Aubert, c’est pas lui qui a réalisé Saints-Martyrs-des-Damnés? »

À l’angle des 8e et 10e rang, nous quittons brièvement le circuit pour rejoindre le belvédère de Saint-Fortunat : du haut de ce promontoire venteux, les points de vue à 360 degrés donnent la pleine mesure du caractère champêtre et pastoral de la région, mi-boisée, mi-cultivée, et qu’on surnomme « la petite Suisse du Québec ».

© Gary Lawrence

Puis, du haut du 3e rang, une enfilade d’éoliennes se déploie au loin, comme des moulins à vent qu’on aimerait charger en sachant qu’on ne pourra les atteindre. Car les côtes qui y mènent semblent in-ter-mi-nables, tant en descente (géniale) qu’en montée (souffrante).

Une fois le sommet atteint, nous gagnons bientôt le chemin Craig, tronçon restant de l’ancienne route qui reliait jadis Québec à Boston. C’est ici que les vues ne sont plus sans fin et qu’on s’enfonce dans une section bien boisée du parcours; mais c’est pour mieux nous faire apprécier ce qui nous attend : une immense ouverture sur un paysage doucement vallonné et piqué de fermes, où le chemin incurve sa fuite entre troupeaux en train de paître, été en train de naître et paysans en train de se repaître.

Arrive enfin la finale magistrale de ce circuit, au détour d’un grand virage terreux : un long ruban d’asphalte qui plonge sur plusieurs kilomètres jusqu’à Chesterville, point de départ initial. En remballant ma petite reine dans la voiture, je réalise que Les vues sans fin s’adresse aux cyclistes expérimentés; j’ose à peine imaginer de quoi ont l’air les circuits « L’épineuse », « La costaude » et « Les mollets rouges », tous pour cyclistes de niveau élite.

–Finalement Renald, en avez-vous des circuits sur le plat, dans le coin?

–Oui, mais pas pour le gravel bike!

C’est noté pour la prochaine fois : je m’affinerai les mollets deux fois plutôt qu’une, avant de me mesurer à Victo et sa région.


Pratico-pratique

© Gary Lawrence

La plupart des circuits de la Véloroute des Appalaches et de son pendant gravel bike gravitent au départ ou autour de Victoriaville, située à 2 h de route de Montréal et à 1 h 15 de Québec.

Hébergements

Un peu excentré du centre-ville de Victo, l’hôtel Le Victorin forme un bon camp de base pour explorer la région. Ses chambres sont très confortables et les bains à remous (intérieur/extérieur) malaxent avec délice les muscles jambiers endoloris. La table offre aussi de bons repas roboratifs, le soir comme le matin. hotelsvillegia.com/fr/hotel-le-victorin

La Table dans les nuages

À 30 minutes de grimpette de Ham-Nord, la Table dans les nuages s’ouvre sur un splendide panorama et jouit d’une solide réputation pour ses plats du terroir. Réservation obligatoire. latabledanslesnuages.com

À Saint-Fortunat, l’auberge du même nom figure sur deux ou trois itinéraires de la Véloroute, et elle est réputée pour ses burgers de bison. Mais elle l’est tout autant pour ses motards qui ont tôt fait d’envahir son (immense) terrasse. Pour becqueter en paix et éviter parades et pétarades motorisées, passez votre chemin.

Fromagerie Le Presbytère

Mise à jour COVID-19 : La formule décrite ci-bas est différente en 2020. Voir les détails sur le site web. 

Tous les vendredis soir d’été, la pelouse de la fromagerie Le Presbytère, à Sainte-Élizabeth-de-Warwick, se transforme en un vaste site à pique-nique festif, un « apportez votre vin » avec excellent et copieux plateau de fromage (10 $!) au son d’un chansonnier. L’église attenante abrite plus de 1700 meules en train de vieillir en attendant qu’un robot les retourne, trois fois par semaine. En lieu et place des odeurs de cierges et de soutane, ça fleure bon le fromage qui pue. Alléluia. fromageriedupresbytere.com

Info : veloroutedesappalaches.com et tourismecentreduquebec.com

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