Course, boulot, dodo : incursion dans l’univers du coureur-navetteur
Aller et venir de son lieu de travail à la course : l’idée peut sembler un peu folle. Pourtant, les bénéfices du « course, boulot, dodo » dépassent amplement les inconvénients qui y sont reliés. À condition d’être bien préparé!
Une musique entrainante, des plans savamment choisis, un montage serré et dynamique : vraiment, la vidéo Beastie Runs a tout pour rendre attrayant le transport actif en espadrilles. Cependant, l’œuvre est fidèle à la réalité du coureur-navetteur québécois, soutient son réalisateur-interprète, le Longueuillois Joan Roch.
« J’y montre les extrêmes météorologiques auxquels est inévitablement soumis celui qui court pour aller travailler, affirme-t-il. Même si elles sont peu nombreuses, ces journées sont représentatives de mon quotidien ». Preuve de l’efficacité du court-métrage, plus de 27 000 personnes l’ont visionné jusqu’à ce jour, dont 20 000 seulement lors de sa première semaine de mise en ligne en début d’année.
Depuis l’épisode Beastie Runs, Joan Roch est devenu le porte-parole officieux d’un mouvement qui gagne tranquillement, mais sûrement, en popularité. Bien qu’aucune statistique officielle ne soit compilée à cet effet, il constate tout de même une hausse marquée du nombre d’adeptes du « course, boulot, dodo », reconnaissables entre autres à leur petit sac à dos de course au dos ainsi qu’à leurs heures de course ponctuelles.
« J’ai vraiment vu un avant et un après à la suite de la diffusion du vidéo. On en parle de plus en plus, et pas uniquement dans des tribunes spécialisées », s’enthousiasme celui qui navette à la course depuis bientôt trois ans. Selon lui, l’idée de courir pour se déplacer d’un point A à un point B fait son chemin. « Les gens comprennent dorénavant que la course à pied est un mode de transport à part entière, et pas seulement une modalité d’entrainement. »
Une pratique, mille motivations
Mathieu Gagnon est un de ces « nouveaux » membres honoraires de la confrérie des coureurs-navetteurs. C’est le manque de temps et d’énergie qui a initialement poussé ce père de trois jeunes enfants à essayer ce mode de transport. « Avec le travail, la famille et les autres obligations de la vie courante, j’avais de la difficulté à trouver du temps pour m’entrainer », se souvient-il. Ayant croisé à de multiples reprises des coureurs-navetteurs lors de ses propres déplacements à vélo, il s’est dit : « Pourquoi pas? »
Une année et demie et plusieurs centaines de kilomètres plus tard, il ne reviendrait plus en arrière. « J’arrive pleinement réveillé au boulot, ça m’ouvre l’appétit (par ici les collations santé, j’ai tout le temps faim!) et ça me tient drôlement en forme », témoigne-t-il dans le cadre d’une chronique sur Courir.org.
Mieux encore, ce Montréalais tire une plus grande satisfaction du transport actif en espadrilles que de celui en vélo. « Il y a dix ans, se promener à vélo dans la métropole était peu commun. Aujourd’hui, tout le monde le fait. Courir me fait sentir davantage comme un pionnier, d’autant plus qu’il y a moins d’impondérables [comme les crevaisons ou les bouchons de circulation] et que c’est plus sécuritaire », juge-t-il
Une analyse qui est partagée par Joan Roch. À ses dires, la guerre ouverte qui sévit actuellement sur les routes du Québec entre les cyclistes et les automobilistes ne concerne pas les coureurs-navetteurs. Bien au contraire : il remarque une grande courtoisie de la part de l’ensemble des usagers de la route envers ces derniers. « Il n’est pas rare que des automobilistes s’arrêtent net dans leur élan simplement pour me laisser passer. Est-ce par admiration, par pitié, par inquiétude? Bien honnêtement, je ne sais pas », s’interroge-t-il.
Malgré les kilomètres, parfois nombreux, qui séparent leur boulot de leur domicile, les coureurs-navetteurs ne voient pas cet aller-retour quasi quotidien comme une perte de temps, mais bien comme un investissement. Cela leur permet d’accumuler un volume d’entrainement intéressant qui, lorsque complémenté par des séances de travail plus spécifiques, se traduit par de solides performances en compétition. C’est d’ailleurs le secret de Joan Roch qui, en tant qu’un des meilleurs coureurs d’ultra-trail au Québec, sait de quoi il parle! « Les résultats sont probants », commente-t-il sobrement.
Les premiers pas
Si aujourd’hui, Joan Roch et Mathieu Gagnon ne tarissent pas d’éloges envers le « course, boulot, dodo », il n’en a pas toujours été ainsi. Comme tous les néophytes dans le domaine, ils ont dû faire les premiers pas et apprendre par essais et erreurs. Avec le recul, tous deux sont unanimes : l’important, c’est de faire les premiers pas et de laisser la chance au coureur. « Ça semble énorme à faire, mais ce ne l’est pas », assure Mathieu Gagnon.
Selon eux, le meilleur moyen de faciliter le passage des nombreuses barrières qui se dressent devant le coureur-navetteur est de les prendre une par une. Le site internet The Run Commuter offre d’ailleurs une multitude de conseils pratiques sur le sujet, dont une introduction en cinq étapes qui répond aux interrogations les plus communes. Bien qu’il ne soit qu’en anglais, The Run Commuter vaut le détour puisque c’est une des seules références crédibles en la matière.
À défaut de règles, quelques principes
Contrairement à ce que l’on peut penser, navetter est l’étape qui demande le moins d’effort et de préparation. « Peu importe mon état de fatigue physique et mental, j’ai toujours hâte d’aller et de venir du travail à la course, confirme Joan Roch. C’est là que je m’amuse. » Une planification sommaire du parcours ainsi qu’une évaluation des alternatives advenant un pépin ou une urgence est tout de même souhaitable. Personne ne veut se retrouver en pleine cambrousse sans un plan B, C ou D. À noter qu’un dosage adéquat de la fréquence de course et de la récupération n’est pas à négliger, surtout en ce qui concerne les coureurs peu expérimentés. Mieux vaut prévenir que guérir.
Le choix du matériel n’est pas non plus à négliger. C’est bien souvent lui qui fait toute la différence entre une expérience réussie ou traumatisante. Bonne nouvelle : il est facile aujourd’hui de se procurer tous les outils nécessaires à la pratique du « course, boulot, dodo », à commencer par le sac à dos. Ce dernier ne dépasse pas 20 à 25 litres, possède des sangles à la poitrine et comprend un panneau dorsal qui moule votre dos. Surtout, il ne faut pas le surcharger; c’est qu’il devient très vite inconfortable...
Joan Roch l’a compris : il court sans sac depuis presque deux ans. Comment fait-il ? « Je profite d’une soirée par semaine pour apporter tout ce dont j’ai besoin au bureau. Comme ça, je m’épargne le sac que je trouve par ailleurs intolérable », lance-t-il.
La garde-robe du coureur-navetteur ne diffère que très peu de celle du coureur récréatif. Elle contient des vêtements techniques aux couleurs voyantes, adaptés à tous les extrêmes de températures et idéalement pourvus de bandes réfléchissantes. Ce qui la différencie surtout, c’est son abondance. Mieux vaut en effet avoir plus qu’un ou deux kits à se mettre sur le dos, surtout s’il y a plusieurs déplacements prévus dans la même journée.
Là où ça se complique passablement, c’est lors de l’arrivée au travail. En sueur et trempé, le coureur-navetteur doit se métamorphoser en temps record à la fois en un employé exemplaire ainsi qu’en un collègue qui ne sent pas mauvais. Mission impossible? Non, à condition bien sûr de planifier correctement cette étape cruciale. Ainsi, une période suffisante de retour au calme, une douche ou un toilettage express ainsi que l’enfilage de vêtements propres et secs devraient déjà amplement suffire à la tâche. « Le plus important, c’est de savoir gérer ses vêtements sales de manière à ce qu’ils n’empestent pas », fait valoir Joan Roch.
Et la nourriture, là-dedans? Après tout, le coureur-navetteur ne vit pas que de course et d’eau fraiche… Selon Mathieu Gagnon, l’idéal est d’avoir sur place une « base » formée d’aliments simples, mais de qualité, comme des noix et des fruits séchés. À cette dernière viennent s’ajouter les repas principaux à transporter chaque jour ou à acheter localement. « Je déconseille de courir avec une banane mûre ou un sandwich aux œufs dans votre dos : ils deviendront tous deux de la bouillie », souligne Mathieu Gagnon. Les plats de type Tupperware, préférablement scellés, et les sacs en plastique sont des essentiels du coureur-navetteur.
Un dernier conseil avant de prendre la route? « Variez les trajets, n’hésitez pas à allonger vos parcours afin de découvrir de nouveaux coins, insiste Mathieu Gagnon. La liberté d’action dont vous disposez lorsque vous courez est grande : profitez-en! »