Projet Karibu : l’autre Plan Nord
Partis le 27 décembre dernier, quatre guides professionnels en tourisme d’aventure vont skier 2 000 kilomètres, entre Montréal à Kujjuuaq, en autonomie complète pendant 100 jours. Une aventure en hommage à l’expédition Québec 80, réalisée par cinq Québécois en 1980. Une autre époque, mais un même défi. Entrevue avec les quatre « frères et sœurs d’expédition » du projet Karibu.
Comment présenteriez-vous le projet Karibu?
Jacob Racine : C’est une aventure humaine avec quatre personnes issues du tourisme d’aventure qui veulent rendre hommage à des gens qui ont réalisé des exploits dans le passé, mais que l’on a oubliés. On veut mettre sur le devant de la scène le potentiel québécois, de notre territoire. Une expédition, ce n’est pas juste un drapeau que tu plantes sur le sommet d’une montagne. C’est aussi le trajet que tu accomplis et le partage avec tes camarades et le public.
Bruno-Pierre Couture : Cette expédition a déjà été réalisée en 1980 par cinq Québécois : 2 000 km en 133 jours avec des vents de 120 km/h et des températures autour de -40°C. On veut en parler à travers cette nouvelle aventure, car le grand public ne les connait pas. C’est souvent le cas avec les expéditions québécoises : elles font de grandes choses, mais on n’en parle très peu. Surtout à cette époque-là où le plein air était moins populaire et pratiqué par des barbus!
Marie-Andrée Fortin : On veut aussi montrer l’attrait de jouer dehors, comme c’est facile d’accéder à notre territoire. En hiver, il n’y a pas de mauvaises températures, mais simplement une mauvaise façon de se vêtir. On a déjà commencé à partager ces valeurs et ces principes dans des conférences dans les écoles. La transmission est un volet important de notre aventure.
Comment réagissent les enfants lors de ces conférences?
B-P C : Hallucinant! Je crois que c’est en train de déraper... Les écoles attendent juste ça, qu'on leur propose des choses. Leur réaction a été de suite de vouloir mettre notre projet à profit. Cela stimule tout le monde, autant les jeunes, les professeurs, que nous.
Sébastien Dugas : L’un de nos objectifs était de donner le gout aux jeunes de nous suivre, pour créer un lien avec nous. Après la conférence de présentation, on réfléchit avec les professeurs sur les possibilités de communication, que cela soit à travers les blogues, capsules vidéo et audio ou appels directs dans les classes... À la fin, on retournera en classe pour faire un bilan de ce que l’on a vécu. Cela permet aux jeunes de nous suivre sur l’ensemble du projet, aux professeurs de faire des liens entre leurs enseignements et notre expédition. C’est un support pédagogique adaptable, en fonction des classes, des âges et des thématiques : le français, la géographie, l’éducation physique. Avec Projet Karibu, on peut faire un lien avec les cultures, les communautés amérindiennes, l’interprétation du territoire, les moyens de communication...
Comment est né le Projet Karibu?
JR : En 2010, lors d’un séminaire de l’AEQ (Aventure Écotourisme Québec), j’ai rencontré Claude Duguay, guide et professeur d’éducation physique. En parlant avec lui et d’autres, il a lâché entre deux silences : « Moi, en 1980, je suis parti de Montréal et j’ai skié jusqu’à Kujjuuaq ». J’étais impressionné! Il m’a raconté les grandes lignes de l’expédition, leurs équipements de l’époque, comme les skis en bois fartés au goudron, la réussite de cette expédition au bout de la troisième tentative puis jamais retentée en ski de fond depuis... À l’hiver 2012, je parle de cette conversation avec Bruno-Pierre. Il me répond que l’on pourrait essayer de refaire cette expédition, dès l’an prochain! Moi, j’étais sûr que, pour l’hiver 2013, c’était trop tôt. En octobre 2012, Bruno-Pierre me dit qu’il connait peut-être quelqu’un de sérieux qui pourrait embarquer avec nous : c’était Sébastien.
B-P C : Je connaissais Sébastien depuis notre formation de guide d’aventure au Cégep de Saint-Laurent. Je le voyais comme un élément essentiel pour calmer nos ardeurs, quelqu’un capable de faire le pas en arrière pour mieux juger de la situation et ne pas foncer tête baissée. Sébastien a tout de suite embarqué. Marie-Andrée, je l’ai rencontrée la première fois au festival plein air de Montréal au parc Jean-Drapeau. Elle était présente au kiosque du Cégep Saint-Laurent. On s’est parlé et cela a immédiatement fonctionné, comme une évidence. Marie-Andrée met tout en œuvre pour atteindre son objectif. Dans l’équipe, c’est l’élément qui vient rassembler les autres autour du projet commun.
Quels sont les défis qui vont se présenter devant vous?
B-P C : Il y a plein de niveaux de difficulté différents. Au départ, on va emprunter le Petit Train du Nord. On va inviter les gens à skier avec nous. C’est drôle, mais cela pose un problème légal, car les skidoos ne nous veulent pas là. La gestion de l’itinéraire va être en soi un défi. On en a tracé un, mais va-t-il rester le même? Ce n’est pas sûr. Il y a la question du timing. Si on part trop tôt ou trop tard, il y a des risques pour que les lacs ne soient pas gelés... Enfin, au niveau des averses de neige, il y a deux sections où l’on ne veut absolument pas être pris en pleine tempête : le Réservoir Gouin – Chibougamau, et Mistassini – Monts Otish.
SD : La première partie va être la plus difficile du périple, la zone d’adaptation pour développer une routine. Il va falloir passer d’un mode préparatoire aux conditions du terrain, avec l'acclimatation au froid. La météo, très variable fin décembre. Il se peut qu’il y ait des endroits sans neige, des plans d’eau pas gelés.
Quels sont vos espoirs et vos attentes pour cette aventure?
M-A F : Moi, je n’ai jamais vu Kujjuuaq. En plus, je vais économiser le prix d’un billet d’avion pour y aller! Mais sinon, une fois que l’on va laisser « la civilisation » derrière nous, il y aura un long moment. C’est une chance inouïe! Il n’y a presque personne. On va traverser de grands territoires de chasse, rencontrer les communautés autochtones du côté de Mistassini. Ça va être intense!
Avez suivi une préparation physique et mentale spécifique pour cette expédition?
M-A F : Elle s’est faite avec mon amie Geneviève Charest, kinésiologue, thérapeute sportive et professeur d’éducation physique au Cégep de Sherbrooke. Elle nous a fait une évaluation physique au départ, puis elle a monté un programme et un suivi mensuel avec des entrainements spécifiques pour chacun. Mais de par notre activité professionnelle de guide, qui nous amène à faire de multiples activités de plein air, on a une condition et un entrainement progressif, surtout basé en force et en intervalle. On ne le fait pas dans un gym, mais on l’intègre à travers notre saison de guidage.
B-P C : On va trainer chacun un traîneau de 150 livres. Cela impressionne beaucoup les gens, mais les lois de physique font que ça glisse bien. Cette expédition n’est pas un défi physique. N’importe qui pourrait embarquer avec nous. La forme physique, on va aller la chercher pendant le voyage. La difficulté est surtout dans la tête : se lever tous les matins et repartir sur nos skis.
M-A F : Concernant la préparation mentale, on s’est vraiment découvert au niveau de l’organisation. On n’a pas senti le besoin à faire de la consolidation d’équipe, pour la simple et bonne raison qu’il n’y a jamais de frictions dans le groupe. Peut-être que sur place, il y en aura. Mais on a tous fait des affaires qui nous ont poussés en dehors de notre zone de confort. Chacun sait comment il réagit dans des conditions difficiles. Ce n’est pas un élément qui nous rend craintifs sur la bonne marche de l’expédition.
B-P C : Avant le projet, on ne se connaissait pas tous. Je crois que c’est une force : tu as toujours du respect pour les gens que tu ne connais pas. On est tous guides, on a tous un savoir-vivre. On ne va pas se crier après. S'il y a un problème, on va essayer de le régler.
Sur quoi va se jouer la réussite de l’expédition?
M-A F : Peut-être sur les maladies, les blessures, mais surtout sur les éléments naturels : une température qui ne nous permet pas d’avancer, une rivière que l’on va devoir éviter. Mais cette expédition est très flexible. On s’adaptera en fonction des contraintes, qu’elles soient topographiques ou météorologiques.
B-P C : Je pense que cela va se jouer dans l’équipe, sur notre capacité de prendre des décisions et les bonnes.
SD : La discipline, non pas sévère, mais efficace et progressive. Ne pas tomber dans les excès. Ne pas aller trop vite et être rapidement brulé. Être rigoureux dans notre progression, ne pas prendre de retard, arriver aux étapes clefs dans les temps avant que les lacs et les rivières ne dégèlent. Il va y avoir beaucoup de redondances dans l’expédition : la nourriture, le montage et le démontage du campement... Il va être important de tasser cette routine.
Avez-vous des projets après expédition?
JR : On va continuer nos conférences, encore davantage qu’avant notre départ. On aura encore plus de choses à raconter. Mais le gros projet, c’est la réalisation d’un film documentaire. Fait à partir d’images que l’on aura tournées entre nous et des images par une équipe spéciale, qui viendra nous rejoindre sur quatre points du parcours. L’équipe de tournage fera des photos et des vidéos, des entrevues, un retour sur chaque section de l’expédition... Cela va permettre d’avoir un œil extérieur et professionnel sur ce que l’on vit. Le réalisateur va pouvoir raconter notre expédition de manière construite, pour ensuite la présenter au grand public.
Encore plus
Pour les suivre durant leur expédition ou faire un don : projet-karibu.com
J'ai une petite remarque. Vous mentionnez que l'expédition de 1980 n'a jamais été retentée... Pourtant André Laperrière, membre la première traversée à tenté au moins à deux reprises de la refaire en SOLO à la fin des années 80, sans succès. Mais comme il l'a faisait en SOLO, l'intégralité du trajet n'était pas en ski de fond puisqu'il partait plus tôt et faisait des sections en canots.
Bonne continuation!