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Porter la cause au sommet : quand ascension rime avec campagne de financement

En mars 2007, le Gaspésien Marcel Bujold succombe à un malaise respiratoire lors de l’ascension du mont Kilimandjaro. Âgé de 65 ans, il montait au sommet pour l’organisme CARE Canada. Ce drame rappelle les dangers des montagnes « faciles », mais une autre question émerge : Grimper pour une cause humanitaire est-il une façon de légitimer sa soif d’aventure? De financer ses rêves?

Voyager pour une bonne cause, c’est marier plaisir individuel et bénévolat. Depuis cinq ou six ans, la tendance fait son chemin. Le cas du toit de l’Afrique – davantage une randonnée que de l’alpinisme – est exemplaire. De mars 2006 à mars 2007, un inventaire rapide permet de dénombrer près de vingt expéditions canadiennes au Kilimandjaro, dont plus d’une demi-douzaine au profit d’œuvres québécoises.

Il est difficile de quantifier la tendance, affirme Michèle Laliberté du Réseau de veille de la Chaire de tourisme de l’Université du Québec à Montréal : « Il s’agit d’un marché de niche », et les formules de bénévolat sont nombreuses.

Richard Leclerc, chargé de cours à l’Université de Montréal, enseigne le marketing des causes sociales. Selon lui, la nécessité pour une cause de se démarquer des autres, la recherche du dépassement de soi – très valorisée dans notre société – et le désengagement des gouvernements expliquent le phénomène. « Chaque cause cherche une façon originale de se distinguer, mentionne-t-il. C’est une forme de recrutement de bénévoles : on les séduit avec l’aventure, c’est plus intéressant qu’un bingo ou que de faire du porte-à-porte. »

Campagne de financement

D’ordinaire, en plus de payer lui-même son voyage (6000 à 7000 $ pour le Kilimandjaro), un participant s’engage à réunir l’équivalent en dons. Il sollicite alors tout son réseau. « On donne ainsi autant pour la cause que pour l’exploit », dit Richard Leclerc.

S’il paye de sa poche le voyage, le bénévole donne aussi beaucoup de son temps. Obtenir des dons n’est pas simple, rappelle Steve Castonguay, responsable de la sécurité et de la technique à la Fédération québécoise de la montagne et de l'escalade. Même s’il n’a jamais voyagé au nom d’une cause, Serge Castonguay a déjà cherché du financement pour ses expéditions : « Trouver des commanditaires, cela demande beaucoup de temps, se souvient-il. La première fois que j’ai été au Pérou, j’aurais mieux fait de me trouver un second emploi à temps partiel! »

Crédit: francoislanglois.comDans son milieu de travail, le bénévole devient une sorte de héros, selon Richard Leclerc. Son courage et son dévouement rejaillissent sur l'entreprise. De sorte que l’employeur, moins enclin à donner autrement, sera maintenant incité à le soutenir. C’est à son avantage puisqu’une « cause adoptée par une entreprise augmente la fierté et le sentiment d’appartenance des employés », observe Richard Leclerc.

Chacun y trouve donc son compte et l’organisme caritatif aussi : « C’est peu d’organisation pour nous », explique la directrice de la Fondation Fais-un-vœu, Jody Banister. L’ascension en février dernier du Kilimandjaro par 29 grimpeurs menés par François Langlois (troisième Québécois au sommet de l’Everest) a permis d’amasser 285 000 $. La Fondation a engagé une agence spécialisée pour l’expédition tandis que Langlois a préparé et entraîné les apprentis alpinistes. « Il a pris l’affaire en main comme si c’était sa propre fondation », dit la directrice.

Sécurité

Le fait que n’importe qui s’aventure à 5895 mètres d’altitude préoccupe les montagnards : « La majorité des Québécois qui vont au Kilimandjaro n’ont fait que de la randonnée en basse altitude », observe Steve Castonguay. « Il ne s’agit pas d’une ascension technique, mais ça reste difficile à cause de l’acclimatation à l’altitude. »

Ce qui inquiète, c’est que ces aventures humanitaires se font parfois au pas de course, au point de compromettre la sécurité de tous. Une situation que déplore le président et fondateur des Karavaniers du monde, Richard Rémy. S’il n’a rien contre ce type de voyages, il trouve qu’on s’y prend mal : « Avec 35 heures d’avion, 8 heures de décalage horaire, un nouveau pays, la chaleur, le changement de nourriture… les gens ne sont pas prêts à marcher. Mais ils commencent tout de suite à le faire parce que l’échéancier est serré ». C’est aussi l’avis d’Yvan Martineau, journaliste au réseau de télévision TQS et auteur de reportages sur la haute montagne : « Parce que les gens connaissent mal les conditions, ils s’embarquent à l’aveuglette. »

Tous deux dénoncent aussi que la plupart des fondations aient recours aux services de compagnies étrangères. La plus connue, Tusker Trail, est basée au Nevada. Dans son site Internet, elle se targue d’avoir organisé plus de 30 expéditions caritatives depuis 2001, dont la majorité pour des organismes canadiens. Total des fonds recueillis : 2 803 514 $ US.

Crédit: francoislanglois.comFais-un-vœu, à l’instar d’autres organismes canadiens comme CARE ou CIBC-Wood Gundy (pour le cancer du sein), a eu recours aux services de Tusker Trail. « Les expéditions humanitaires sollicitent la communauté locale, on amasse de l’argent pour une bonne cause, mais on en donne une partie à une compagnie américaine », critique Yvan Martineau. « Pourquoi faire affaire avec ces compagnies étrangères? renchérit Richard Rémy. Qu’on reconnaisse au moins qu’on a l’expertise pour le faire! »

C’est François Langlois qui a recommandé l’agence Tusker Trail. « C’est un sujet sensible, reconnaît-il, et je ne veux offusquer personne. La sécurité était mon premier critère de sélection. Ce qui compte d’abord, c’est ce qui se passe localement. Tusker Trail opère depuis 30 ans et forme les gens de là-bas. Je l’ai choisie pour son expérience, son souci de la sécurité et de la formation médicale, et après m’être informé auprès d’autres fondations qui avaient eu recours à elle. »

Malgré le décès de Marcel Bujold, François Langlois réengagerait cette entreprise. Ce décès est le premier qu’ait eu à déplorer Tusker Trail. Chaque année, une quinzaine de personnes perdent la vie sur les pentes du Kilimandjaro, alors que près de 30 000 personnes en tentent l’ascension.

Bienfaisance ou marketing?

Le marché du voyage au profit de bonnes oeuvres existe. Mais il soulève des questions éthiques. En mars dernier, United Way (un important réseau d’organismes de charité américain) et Cheaptickets (une agence virtuelle de voyages) lançaient un portail Internet de « vacances de volontariat ». La moitié des 430 personnes qu’ils ont sondées se disent prêtes à faire du bénévolat pendant leurs vacances.

Pour Richard Rémy, vendre des voyages en jouant la carte de la bienfaisance est inacceptable : « Utiliser ainsi la cause des enfants malades, c’est immoral », dit-il. Et voyager au nom d’une cause ouvre la porte aux faux-semblants. « Ceux qui cherchent uniquement à réaliser un exploit en le justifiant avec une cause abordent l’aventure de la mauvaise façon. Il y a d’autres moyens de rendre ses efforts utiles », tranche Steve Castonguay. Ce dernier croit néanmoins que « quand les gens ont un rêve depuis longtemps et y ajoutent une cause, ils sont honnêtes envers eux-mêmes ».

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