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  • Photo : Facebook / Les Amis des sentiers de Bromont

Territoires privés... et protégés

La conservation du milieu naturel n’est pas que l’affaire du gouvernement. C’est aussi celle de comités de citoyens, de municipalités et d’organismes de conservation. Car en laissant des terres privées inoccupées, on s’expose immanquablement à l’avidité des promoteurs immobiliers.

Allez emprunter les sentiers aux alentours de Bromont, dans les Cantons-de-l’Est, et vous aurez un aperçu de ce que l’action citoyenne et municipale peut réaliser de concert: en lieu et place d’un lotissement immobilier de 40 maisons projeté par «Bromont, montagne d’expériences» sur la dernière portion sauvage du massif du mont Brome, le public a accès à un milieu naturel protégé et sans moteurs. 

En tout, 170 hectares de montagne boisée ont été additionnés à d’autres secteurs municipaux pour former le parc des Sommets, inauguré l’an dernier. Cinq réseaux accessibles à différents points d’accès totalisent déjà 142 km de sentiers, certains multifonctionnels, d’autres réservés à la pratique du vélo de montagne ou du ski de fond. Une autre histoire de mobilisation locale, amorcée par un comité citoyen, Protégeons Bromont, et soutenue par une municipalité qui croit que le milieu naturel joue un rôle crucial dans la qualité de vie de ses citoyens. 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Filer vers la fin de la semaine comme on descend une piste à vélo! ‍

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Une fois propriétaire du lot, la Ville de Bromont a conclu une servitude de conservation avec l’organisme Conservation de la nature Canada, chargé d’investir dans des projets de conservation et de mise en valeur de la biodiversité. La Société de conservation du mont Brome, quant à elle, a été créée pour assurer la stricte application de l’entente de conservation et pour encadrer les activités organisées dans le parc. Du cousu main. 

Si inspirante soit-elle, l’histoire n’est pas un conte de fées; d’âpres débats ont animé les esprits et échauffé les cœurs dès 2012. Et comme toujours, conserver un territoire a un coût – plutôt prohibitif dans le cas présent: la municipalité a dû réunir 8,5millions de dollars pour racheter les terrains à Bromont, montagne d’expériences, qui était à l’origine du projet immobilier. Conservation de la nature a injecté plus de 1,5 million de dollars. Enfin, une collecte de fonds a recueilli 1,5 million de dollars auprès de la population. 

La conservation, ça coûte cher! 

Si les cas d’acquisition de terres privées à des fins de conservation ne manquent pas au Québec, ce sont bien souvent des sommes colossales qui doivent servir de monnaie d’échange au rachat des parcelles. Surtout dans une région convoitée comme celle des Cantons-de-l’Est. 

L’État a bien un rôle à jouer en matière de protection environnementale, mais le gouvernement fédéral ne pourra jamais atteindre à lui seul son engagement à protéger 17% du territoire terrestre d’ici la fin de 2020, présenté à la dernière Convention des Nations unies. En revanche, il peut aider les ressources locales afin d’y parvenir. 

«Les deux paliers de gouvernement offrent plusieurs programmes qui appuient l’action des organismes environnementaux, explique Marilou Bourdages, directrice générale du Réseau de milieux naturels protégés. Dans son dernier plan de financement, le gouvernement du Québec a octroyé une enveloppe de 15millions de dollars dans le cadre du programme Ensemble pour la nature.» Mais ça, c’était avant la pandémie. 

Un nouveau plan devrait être dévoilé, mais quand? «Vu le prix des terrains situés au sud du Québec, ces subventions seront loin de suffire», déplore Marilou Bourdages. Côté fédéral, les deniers publics consentis au financement de terrains privés ont été plutôt généreux dans la dernière année. Qu’en sera-t-il d’ici la fin de l’année?  

Reste qu’il ne suffit pas d’acquérir les terrains pour les placer sous haute protection; encore faut-il avoir les moyens de les entretenir et, parfois, d’en ouvrir l’accès. Certaines municipalités, comme Trois-Rivières, en Mauricie, ont pris l’initiative de créer leur propre organisme de conservation. La fondation Trois-Rivières durable (TRD) a ainsi été mise en place pour acquérir certaines parcelles jugées critiques grâce à des subventions additionnées aux deniers municipaux. Ou pour agir comme gardiens sur d’autres terrains qui demeurent privés et qui sont soumis à une servitude de conservation. 

«En tant qu’organisme de charité, nous attribuons des crédits d’impôt aux propriétaires terriens qui veulent faire des dons écologiques, dans le cadre d’un programme fédéral», explique Cindy Provencher, directrice de la fondation TRD. Depuis deux ans, celle-ci œuvre sur le reboisement et la protection de tourbières. L’an dernier, l’organisme local Nature-Action Québec a acquis 40hectares de la tourbière Red Mill, dans le secteur de Sainte-Marthe-du-Cap, au coût de 100000dollars, en partenariat avec la Fondation Hydro-Québec pour l’environnement. Un bel exemple d’action concertée pour protéger des peuplements forestiers exceptionnels et des espèces menacées ou vulnérables, dans un environnement soumis au passage des quads et des motoneiges. 

Le défi financier est d’autant plus grand dans la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), où le milieu naturel est l’enjeu d’une implacable spéculation immobilière. En vertu du programme d’acquisition et de conservation d’espaces boisés (Fonds vert) de la CMM, la Ville de Mont-Saint-Hilaire a acquis plusieurs terrains dans le piémont de la montagne, en bordure du périmètre urbain, en partenariat avec le Centre de la nature Mont-Saint-Hilaire. 

Sur ces zones tampons, entre montagne (propriété de l’Université McGill) et municipalité, un sentier est déjà aménagé sur le secteur urbain et est en train d’être prolongé sur 5km, depuis les travaux entamés en juillet dernier. D’autres secteurs, jugés plus critiques, sont fermés au public. «La municipalité absorbe une partie des coûts pour le rachat des parcelles, explique Ludyvine Millien, responsable de la conservation et de la géomatique au Centre de la nature. Ceci grâce au Fonds vert, créé en 2009 par la Ville pour octroyer chaque année un budget à la conservation de milieux naturels.» 

Quand ils sont propriétaires des terres, c’est la taxation municipale des espaces naturels protégés qui donne du fil à retordre aux organismes de conservation, dont les moyens sont souvent précaires. Pensons-y: un milieu protégé ne sollicite pourtant pas de services municipaux. Peut-être faudrait-il revoir la réglementation? Justement, en novembre2019, la fiducie foncière de la vallée Ruiter, dans la MRC de Memphrémagog, a saisi le Tribunal administratif du Québec pour contester le paiement des taxes municipales sur certains des terrains placés dans la fiducie. Une victoire pourrait faire jurisprudence. 

Conserver, oui, mais jusqu’à quand? 

Si l’argent est le nerf de la guerre en matière de protection environnementale, la mécanique juridique en est le garant légal. Une servitude de conservation, établie entre un propriétaire privé et un organisme de conservation, est «un tango qui se danse à deux, dit Jean-François Girard, avocat en droit de l’environnement et biologiste de formation. Et le signe d’une communauté qui prend en charge son milieu de vie». 

Cette entente balise l’utilisation du territoire selon les termes définis entre eux. «Celle-ci relève du droit de la propriété privée, la garantie la plus forte de notre système juridique», précise l’avocat, qui a longtemps présidé le Centre québécois du droit de l’environnement. Dans ce cas, personne, pas même l’État, ne peut en modifier les termes. Qu’on se souvienne du projet de construction résidentielle dans le parc national du Mont-Orford en 2006. Sans le mouvement de contestation populaire qu’on a connu, une simple modification de la Loi sur les parcs aurait suffi à tronquer les limites du parc national pour y construire des copropriétés. 

Dans le cas de l’intendance privée, l’entente est garantie, et ce, à perpétuité. Pour autant: «Prétendre à la perpétuité est vaniteux. Serons-nous là dans 100ans pour vérifier que cette perpétuité est respectée? tempère MeGirard. Mais l’entente conclue est un message adressé aux générations futures. Et le message, lui, est immuable.» 

Cette notion de perpétuité, capitale en matière de conservation, «c’est une fiducie d’utilité sociale qui peut la garantir au maximum, selon le juriste. Très nouveau au Québec, ce simple acte notarié fait en sorte que les biens fonciers versés dans une fiducie n’ont plus de propriétaire, mais appartiennent à la communauté à des fins de conservation. Leur protection est immuable, sauf par autorisation exceptionnelle de la Cour supérieure». 

On compte seulement quelques fiducies d’utilité sociale en matière de conservation au Québec, dont la Fiducie écosystème Lanaudière, qui totalise 250hectares de milieux naturels protégés un peu partout dans la région. «C’est indétricottable, résume Michel Leboeuf, son directeur général. Rien ne peut défaire ça.» 

Aucun promoteur ou lotisseur. 

Pas même l’État…


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