Bromont : adieu vélos, bonjour condos !
Le vélo de cross-country va-t-il disparaître de Bromont? C’est la question que toute la communauté cycliste se pose depuis que Ski Bromont, propriétaire de la montagne depuis 1997 et qui détient 20 % du réseau cycliste, a décidé d’interdire l’accès aux sentiers de ses terrains menant au sommet, vers le mont Brome, le pic du Chevreuil et le mont Horizon.
« C’est un problème de perception, dit Charles Désourdy, président de Ski Bromont. Ces sentiers se situent sur des terrains privés. Les cyclistes se les sont appropriés en pensant qu’ils étaient publics. Il a donc fallu rétablir la situation. Il n’y aura plus de sentiers de vélo de montagne. » Cette fermeture rentre également dans le cadre d’un nouveau plan d'aménagement de la montagne, où Ski Bromont, via sa filiale Ski Bromont Immobilier, veut construire de nouvelles résidences et des chalets à flanc de montagne. Ainsi, sur les cent kilomètres de sentiers que compte la station, ce sont seize kilomètres de pistes de cross-country qui ont été barrés à la circulation cycliste et qui sont appelés à disparaître, après plus de quarante ans d’exploitation. Des sentiers qui, selon Charles Désourdy, ne représenteraient qu’une petite partie du réseau global, emprunté seulement par une population « marginale », uniquement « l’élite, des gens expérimentés ».
Pourtant, la décision n’a pas manqué de faire réagir l’ensemble de la communauté cycliste de Bromont : « C’est regrettable, déplore Christian Gauvin, directeur du Club cycliste Les Yables. Ça faisait longtemps qu’on y pratiquait le vélo, mais on se doutait de quelque chose. Beaucoup de compétitions se sont tenues à Bromont, mais depuis quelques années, plus rien. Ski Bromont s’est développé grâce au vélo de montagne, a profité de la publicité, mais veut maintenant s’en débarrasser, en prétextant que cela ne concerne qu’une petite minorité. C’est facile de le dire sans établir de véritables statistiques. La vérité, c’est que ce sont les sentiers les plus réputés que l’on ferme, ceux qui attiraient beaucoup de coureurs, des professionnels autant que des amateurs. »
Même tristesse chez Antoine Larose, responsable marketing chez Xprezo, manufacturier québécois installé à Bromont : « C’est dommage. On perd des terrains au potentiel incroyable, avec de beaux sentiers, originaux, dans des forêts matures. » « Déception » est le mot qui revient le plus dans la bouche des acteurs du milieu cycliste, car tous ont conscience que l’on se prive d’un des plus beaux endroits de cross-country au Québec : « Les sentiers de Bromont sont vraiment exceptionnels, explique Charles-André Girard, administrateur au Club Sportif Bromont. On n’en retrouve pas vraiment de pareils ailleurs. Ce sont des sentiers techniques, moins roulants, intéressants, réputés et attractifs. C’est la raison pour laquelle les gens viennent rouler ici. »
« La Mecque du vélo à l’est du Canada »
Lucie Lanteigne, directrice générale de Vélo Québec, va même plus loin sur l’importance stratégique du lieu : « Bromont est quasi unique au monde, car très attrayant avec toutes les formes de vélo possibles. Le vélo de route avec la Route Verte, le cross-country, la descente, le Centre national de cyclisme de Bromont qui accueille également le BMX et la piste. » Ainsi, de nombreux athlètes de haut niveau viennent à Bromont s’entraîner et se préparer pour les futures grandes compétitions nationales et internationales : championnat canadien, Coupe du Monde, Jeux olympiques. « Bromont a une grande réputation à l’international », confie Ian Hugues, entraîneur au Centre national, le seul établissement au Canada qui regroupe dans une même structure, toutes les disciplines du vélo. « C’est la Mecque du cyclisme à l’est du Canada. La grande variété des sentiers nous permet de simuler les grands rendez-vous du calendrier et d’entraîner ainsi efficacement les jeunes athlètes que l’on enverra aux Olympiques de 2016 et 2020! »
Charles-André Girard résume : « Le sentiment général, c’est la déception chez les coureurs. Mais, on est surtout préoccupé par la situation actuelle, le manque d’ouverture et de dialogue avec la direction de Ski Bromont. Les négociations sont difficiles, voire impossibles. C’est regrettable. Cette direction voit le vélo comme une source possible de conflit avec les propriétaires, comme un frein au développement, alors que c’est tout le contraire! » Derrière la simple utilisation des sentiers par les cyclistes, c’est toute une économie touristique qui vit et profite de la notoriété des pistes de vélo, mais faute de pistes suffisamment attractives, il y a peu de chances que cette manne financière estivale perdure : « Je ne suis pas certain que construire des chalets qui coûtent très cher favorise l’économie locale, confie Christian Gauvin. Ce seront principalement des résidences secondaires, les propriétaires n’y habiteront pas à plein temps, contrairement à tous les membres des clubs cyclistes qui habitent dans la région de Bromont et qui participent à la vie locale. » Et les cyclistes ne seront pas attirés par les quelques sentiers qui resteront au final : « Les cyclistes québécois préfèrent passer la frontière américaine et vont dépenser leur argent au Vermont... Les hôtels, les restaurants et les stationnements sont pleins. Mais je suis convaincu qu’ils viendraient à Bromont, si la station redevenait attractive », poursuit Christian Gauvin. Un point de vue partagé par Antoine Larose qui compare Bromont à Kingdom Trail, à East Burke : « Les terrains accessibles attirent beaucoup les Montréalais, au détriment de Bromont. »
« Fermer ces sentiers, c’est se priver d’une belle clientèle, qui participe à l’économie locale, analyse Ian Hugue. Moi-même, ça fait maintenant 12 ans que je me suis installé à Bromont, attiré par la qualité de ses sentiers. Je suis fier de cette ville, que je considère comme la mienne, mais si la situation perdure, je serai contraint d’en partir! » Une possibilité que pourraient également suivre les représentants des grandes marques de vélo, venus s’installer à Bromont, pour accompagner la clientèle de cross-country.
Face aux critiques et aux inquiétudes, Ski Bromont se veut rassurant : « Le vélo de montagne fait partie du futur de Ski Bromont. Pour l’instant, c’est fermé, mais dès 2013, davantage de territoires seront consacrés au cross-country et donc accessibles au vélo de montagne », assure Charles Désourdy. La station dit avoir déposé un projet en ce sens à la ville, pour le replacement de nouveaux sentiers, comme l’impose un règlement de la ville, exigeant que 10 % de la surface constructible soit aménagée à des fins de parc. « Cela signifie que la municipalité doit s’assurer de préserver l’état et l’accès au sommet depuis le village, indique Michel Matteau, président de l’association Les amis des sentiers de Bromont, chargé de protéger et développer le réseau. « C’est une bonne chose, cela montre que Ski Bromont fait preuve d’ouverture et de bonne volonté dans le dossier. Mais il n’en reste pas moins que nous restons vigilants. Le massif du mont Brome a sept sommets, dont cinq sont déjà exploités pour le ski d’hiver. Seulement deux restent encore totalement naturels : le mont Horizon et le mont Bernard. C’est un énorme terrain de jeux. Les sentiers que l’on gère sont l’œuvre de bénévoles qui ont travaillé de nombreuses heures depuis plus d’une quinzaine d’années. On perd un beau et grand secteur de jeux, et retrouver un niveau comparable sur les sentiers déménagés demandera autant d’efforts et d’années de travail. »
Autre promesse annoncée par la station de ski : la signature d’une servitude trois saisons sur les nouveaux sentiers, qui seront « permanents, publics et gérés par la ville », selon Charles Désourdy.
Des signes d’apaisement, mais qui ne sont encore que des promesses. Les cyclistes restent prudents et attendent qu’elles se transforment en actes. « Je suis content d’entendre les engagements de la direction de Ski Bromont, mais il faut mesurer. Pour l’instant, aucun plan de replacement des sentiers ne nous a été présenté, ni le secteur qui sera préservé ni le nombre de kilomètres », dit Charles-André Girard, administrateur aux Amis des sentiers. D’autres se montrent tout aussi sceptiques sur ces annonces, à l’image de Christian Gauvin : « Je me souviens, il y a quelques années, un circuit avait été construit spécialement pour accueillir des épreuves de la Coupe du Monde et du championnat canadien. Cela avait coûté une fortune. On avait tous payé les frais d’inscription pour la course. Mais tout avait été détruit sans que l’on puisse en profiter. Il n’y a aucune politique à long terme à Bromont. On fait juste du cash et on détruit ensuite. Personnellement, je ne crois pas au développement futur de nouveaux sentiers de cross-country! »
Cette affaire aura au moins permis de rapprocher, voire souder la communauté du cyclisme, fortement agitée et mobilisée : « Deux cents personnes, des coureurs et des commerçants, sont venues au conseil municipal, à l’occasion de discussions sur le plan de développement de la ville », relate Charles André Girard. « Nous ne faisons pas que chialer, plaide Christian Gauvin. Nous sommes prêts à travailler avec Ski Bromont, pour aider au développement de la ville. »
Des négociations seraient en cours, comme l’assurent Les Amis des sentiers et les organisations officielles du vélo québécois. « Le dossier n’est pas mort, indique Bruno Vachon, directeur général adjoint à la Fédération québécoise des sports cyclistes. Nous laissons les différents acteurs à leur travail, car compte tenu de l’avancement, nous ne voulons pas interférer, mais la fédération pourra intervenir s’il y a un besoin dans les négociations. » Même position pour Lucie Lanteigne : « Vélo Québec est en lien étroit avec Les amis des sentiers, qui portent le dossier. Notre message est d’encourager les parties à trouver une solution optimale, c’est-à-dire assurer le développement immobilier tout en offrant la même expérience aux cyclistes, avec des pistes de haute qualité. Si Bromont réussit à maintenir ce niveau, tout le monde sera gagnant. Il est important que les promoteurs immobiliers comprennent que le vélo peut se révéler un critère important dans l’achat de condos, quelque chose de recherché et de structurant pour l’économie et le développement social. Ce n’est pas rien. Il me semble que la ville est sensible à ce dossier. Je suis optimiste. » À Bromont, tout reste encore à faire!