Laurent Homier : Mettre pied dans son fort intérieur
Le Québécois Laurent Homier est revenu du Népal à la mi-octobre, le sourire au cœur et la satisfaction d'avoir concrétisé un rêve vieux de trente ans.
Le 23 septembre, à moins de trois jours de la poussée sommitale prévue au Manaslu, l’aventurier Louis Rousseau, un abonné aux 8 000 mètres himalayens, fait parvenir à Laurent Homier le texte suivant : « Quand c’est à ton tour, fais exactement 20 pas, puis laisse passer quelqu’un d’autre. Vingt pas, rien de plus, rien de moins! Tu dois faire ton travail et laisser les autres faire le leur. » Cela semble si simple vu de l'extérieur! Laurent Homier est parti au Manaslu dans le cadre d'une expédition commerciale française, avec huit autres clients, mais a réussi le sommet sans l’aide de sherpa ni d’apport en oxygène. Au camp de base, c’est près de 150 alpinistes qui ont un rendez-vous avec la montagne.
Le fait de vous être greffé à un voyage organisé par une agence vient-il dévaluer le facteur « aventure » de votre conquête?
Je ne pense pas qu’il est justifié de banaliser un tel encadrement de l’aventure sur des voies établies. Lorsqu'on se retrouve à suivre un itinéraire balisé et à utiliser des camps avancés validés par les pionniers d'une montagne, les équipes commerciales comme celles autonomes sont sur un pied d'égalité. Mais chaque aventure en haute montagne est unique et le défi qu'on y trouve est particulier pour chacun, selon ses niveaux respectifs d'habiletés physiques, physiologiques et mentales et son désir de les atteindre ou même de les dépasser. Dans mon cas, j'étais sur le Manaslu pour valider certaines choses : ma capacité de passer le cap des 7 000 mètres, de voir comment mon corps allait réagir à la privation avancée d'oxygène et à la dépense énergétique supérieure, mais surtout de voir si ma détermination pourrait tenir le coup jusqu'au bout. Cette décision de me joindre à un groupe (mais en cordée autonome avec un autre grimpeur) était mûrement réfléchie. Compte tenu de mon inexpérience au niveau de la logistique himalayenne et que j'étais seul, c'était là la meilleure façon de faire mon baptême des 8 000 mètres sans me brûler dans une préparation en solitaire avant même d'être sur la montagne.
Comment vous êtes-vous entendu avec le groupe de clients que vous rencontriez pour la première fois sur place tout comme votre équipier de grimpe?
Je suis chanceux d'être aussi bien tombé : la bonne entente avec le groupe et son guide en chef Ludovic a duré du début à la fin. J'ai eu notamment beaucoup de plaisir avec le Belge Jean-Luc Fohal, qui allait lui aussi donner à sa patrie une première nationale. Cet esprit d'équipe et le sentiment de former une petite famille, même si mon ascension se déroulait en parallèle de la leur, sont de précieux atouts lorsqu'on est en haute montagne. Dommage que cette harmonie n'ait pas été au rendez-vous avec mon équipier de cordée d’origine Stéphane, qui a eu de la difficulté à trouver son rythme et sa place avec nous. Il n'a d'ailleurs pas atteint le sommet.
Cette aventure a-t-elle été à la hauteur de vos attentes? Y a-t-il eu des surprises, bonnes ou mauvaises?
C'est moins une question de surprises que de constats. À commencer par la météo, qui décide de tout selon ses humeurs et évidemment, son malin plaisir à déjouer les prévisions. On a beau reconnaître et accepter cet état de fait, les frustrations qui en résultent usent votre patience et votre moral. La première semaine et demie d’acclimatation nous faisait miroiter de beaux lendemains quand tout à coup, la neige s'est mise de la partie pendant plusieurs jours. Cela chambardait toute notre planification et risquait même, à un certain moment, de compromettre toute tentative. Car avec les accumulations, on s'est retrouvé avec des tentes ensevelies et brisées —comme la mienne au Camp II, que j'ai dû rafistoler et utiliser sans double toit. Et ma tente au Camp III n'a pas survécu. Une chance : j'avais pensé monter avec moi celle du Camp II. Heureusement pour nous, la fenêtre de beau temps s'est rouverte et nous avons pu entamer l'ascension finale le 30 septembre, six jours plus tard que prévu. Ce fut une course contre la montre parce que l'arrivée du jet-stream sur les cimes au début d'octobre met habituellement fin à toutes possibilités de sommet. La bonne surprise, c'est justement qu'en dépit des mésaventures et de la charge physique constante, ma volonté de poursuivre ne s'est pas érodée.
On suppose que cette réussite a été exaltante et pave la voie à d'autres projets?
Contrairement à la perception hollywoodienne d'une arrivée au sommet avec les bras en l'air et l'effusion de joie, mon passage sur le petit escarpement étriqué au 8 163e mètre de la « Montagne de l'Esprit » (traduction de Manaslu) a été de courte de durée, parce que je n'étais pas le seul à vouloir m'y faire prendre en photo. Mais c'est une moindre considération, car c'est dans la tête que se passe la célébration d'avoir relevé ce défi et le sentiment d'avoir vaincu une force tranquille. Pour la suite, je suis encore à savourer les joies de l'accomplissement et du retour. Les félicitations sont des cadeaux appréciés, entre autres celles provenant de la communauté des grimpeurs québécois avec laquelle je me promets d'échafauder une prochaine aventure à 8 000 mètres, disons d'ici deux ans.
Encore plus
laurenthomier.com
Courriel de Louis Rousseau à Laurent Homier (23/09/2011) :
« Lors de la tentative pour le sommet, ne pars pas en premier pour faire la trace. Laisse quelques personnes passer et, quand c’est à ton tour, fais exactement 20 pas, puis laisse passer quelqu’un d’autre. Vingt pas, rien de plus, rien de moins! Tu dois faire ton travail et laisser les autres faire le leur. Essaie de ne pas trop réfléchir, reste concentré sur ta respiration et compte le nombre de pas que tu fais sans penser à rien d’autre. Tu dois faire le vide complètement : il ne faut pas trop penser sinon on commence à visualiser de mauvaises choses. Si c'est trop dur, tu peux t'accorder une bonne pause pour manger et t'hydrater. Tu peux même arrêter 35 minutes s’il le faut, ce n’est rien sur 10 heures de montée. Finalement, et c’est le plus important : Il ne faut pas faire demi-tour avant le lever du soleil. Dès les premiers rayons, ça changera complètement ta situation! »
Extrait du site Web rédigé par Geneviève Gobeil, la conjointe de Laurent :
2 octobre 2011
« (...) il trouve ça dur en ce moment. Les pépins qui se sont accumulés, le sentiment de solitude et les efforts à tout faire seul au quotidien s’ajoutent au seul fait de grimper là-haut. Mais quand il me parle du sommet, je sens à l’intérieur de lui que cet espace, que je visualise comme un gros bloc, est complètement intact. C’est dur. »
5 octobre 2011
« De retour au camp de base depuis quelques heures, j'ai parlé à Laurent ce matin [au téléphone satellite]. Il a atteint le sommet à 13h 51 le 4 octobre (heure locale de Katmandu). Épuisé, heureux, ému (...) Actuellement, il mange, dort et assimile la réalisation d'un rêve.