Rafting sur la Magpie : thérapie par la rivière
Pour reprendre le contrôle sur leur vie, quinze survivants du cancer ont participé à une aventure hors du commun, l’an dernier : descendre la rivière Magpie en rafting, sans contact avec la civilisation. Notre collaborateur les a accompagnés dans cette riche aventure humaine.
« Un homme à la mer! » lance une voix : Diego vient de tomber à l’eau. Il se laisse d’abord descendre dans le courant, franchissant un rapide les pieds devant. Puis, en suivant les directives de son guide, il se tourne sur le ventre pour nager en direction de la rive. On lui lance une corde, qu’il attrape, et il rejoint bientôt la terre ferme, le sourire aux lèvres. « Je ne pensais jamais être capable de nager dans les rapides! » dit-il.
En fait, Diego n’est pas tombé à l’eau : il a simplement pris part à un exercice de nage en eau libre pour savoir comment réagir s’il était éjecté d’un raft.
L’an dernier, pour célébrer son 20e anniversaire, la fondation Sur la pointe des pieds, qui organise des expéditions thérapeutiques pour les jeunes en rémission du cancer, a décidé de mettre le paquet. Son projet : une virée de sept jours sur la rivière Magpie, considérée par National Geographic comme l’une des 10 plus belles rivières de rafting au monde.
En tout, 15 Canadiens de 18 à 29 ans, tous survivants du cancer, se dépasseraient alors sur les plans physique, psychologique et spirituel, explique Mario Bilodeau, cofondateur de la fondation. « C’est une expérience hors du commun, car ils doivent réussir à créer une nouvelle zone de confort chaque jour! » lance-t-il, le sourire aux lèvres.
En plus de descendre la rivière Magpie sur 65 kilomètres, où se trouve une quarantaine de rapides (dont une vingtaine de classe 3 et 4, ainsi que quelques-uns de classe 5 à portager), les participants apprendraient à camper, pêcher, s’organiser et vivre en groupe dans la nature sauvage, mais aussi à repousser leurs limites tout en vivant simplement l’instant présent.
Aller simple en forêt boréale
On entend le vrombissement de l’hélicoptère qui s’approche alors que l’équipe logistique termine la préparation de l’équipement, qui sera héliporté. Dès qu’il se pose, un premier groupe de cinq personnes monte à bord.
Du haut des airs, on peut voir une mer d’épinettes noires et de pins gris recouvrir le territoire parsemé de lacs et de rivières — mais aucun signe de présence humaine.
Le pilote bifurque pour survoler une maman orignal et son petit, qui patauge dans une tourbière, avant de prendre la direction du lac Magpie… où il nous largue à près de 100 km de la civilisation. C’est à ce moment que la grande aventure commence, car nous sommes dès lors en complète autonomie.
Dès l’atterrissage, tout le monde met la main à la pâte pour ériger le campement en bordure d’un vieux camp de pêche délabré. Quelques instants plus tard, les guides sortent les SUP et les kayaks gonflables pour profiter de la belle journée ensoleillée du mois d’août. Si l’aventure prend les allures d’un Club Med en bordure d’une superbe plage de sable, c’est tout un contraste avec le quotidien des participants.
Après avoir suivi des traitements de radiothérapie et de chimiothérapie à l’âge de 7 ans, Diego a dû recommencer à 18 ans. Arielle, elle, a dû subir une chirurgie pour retirer sa glande thyroïde, chamboulant tout son rythme hormonal, alors que Marc-André a appris qu’il avait une leucémie sept jours après avoir célébré ses 18 ans. Pour les plus « chanceux », le traitement n’a duré que 9 mois, mais il a laissé une marque indélébile sur leur moral et sur celui de leurs proches.
« Quand tu apprends que tu as le cancer, ton univers est bouleversé, car tous tes projets sont mis de côté, explique Mario Bilodeau, doctorant honoris causa en leadership, qui a combattu un cancer à 20 ans. C’est un peu comme si la maladie te volait une partie de toi-même, car tu perds beaucoup de ton estime personnelle. »
Après le premier souper sur les rives du lac Magpie, Mario rassemble tous les participants pour faire une première séance de partage, où tout le monde se fixe un objectif pour le voyage. « On est vraiment chanceux d’être ici, ensemble, dans un environnement aussi beau, car c’est dans la nature que les miracles surviennent, dit-il. Et je vois déjà un miracle se dérouler devant moi, en voyant les étoiles dans vos yeux. Prenez le temps d’écouter vos cinq sens pour vivre pleinement l’instant présent », lance l’homme qui agit en tant que travailleur social au cours de l’expédition.
Affronter les rapides
À l’horizon, une cassure se dessine dans le paysage. On ne voit que la bruine qui se forme autour des rochers, mais le grondement de la rivière laisse présager un obstacle majeur. Tous les pagayeurs sont aux aguets lorsque notre guide, Yan Goyette, lance la commande « par en avant fort! » Nous devons avironner ferme pour prendre de la vitesse afin de descendre au bon endroit dans la chute qui est devant nous : elle fait trois mètres!
« On tient le bateau! » scande ensuite le guide lorsque vient le temps de glisser dans la chute, alors que l’équipage s’accroche à la corde qui fait le tour du raft. L’adrénaline coule à flots lorsque nous traversons l’énorme vague qui termine le rapide. Puis, tout le monde crie de joie en regardant le bateau suivant effectuer la même cascade. « J’ai de la difficulté à y croire : nous venons de descendre une chute! » s’étonne Tanya James, une Néo-Brunswickoise de 29 ans.
Les périodes de répit sont de courte durée sur la Magpie, car la concentration des rapides y est très élevée. Dans certaines sections, leur taille diminue, et c’est alors le moment idéal pour sortir les SUP et les kayaks gonflables. Marc-André Dufour fait partie de ceux qui en ont profité le plus. « J’ai prouvé que je pouvais pagayer comme tous les autres et ça m’a donné confiance. J’ai même pu surfer sur les vagues. Je ne veux plus être un spectateur. Je veux recommencer à faire ce que j’aimais », lance-t-il fièrement.
En plus des rapides qui permettent aux participants de gagner en confiance, les paysages grandioses aident aussi à se ressourcer. « Ça fait du bien à l’esprit de décrocher », lance Valérie Simard, profitant pleinement de la vue du haut d’une colline qui surplombe la rivière.
Après des méandres dans la taïga parsemée de toundra alpine, la rivière s’encaisse graduellement dans une vallée alors que la présence des arbres gagne en importance. Chaque jour, les parois rocheuses et les chutes deviennent de plus en plus impressionnantes. À l’embouchure de la vallée des Aigles, la flotte de rafts, kayaks et SUP prend le départ dans la brume matinale. Le spectacle est si beau que plusieurs participants souhaiteraient y rester à jamais.
« À peine une centaine de personnes par an ont la chance de découvrir les paysages majestueux de cette rivière, souligne Danny Peled, chef de l’expédition et propriétaire de Boreal River. Et les eaux sont si poissonneuses qu’il suffit de quelques secondes pour qu’une truite morde à l’hameçon. »
« Dans la nature, le seul stress est de savoir si ta gourde est pleine et s’il y a assez de bois pour le feu, ajoute Anthony. Ça fait du bien de revenir aux choses simples de la vie. »
Marquer l’histoire
Avec l’accord de la communauté innue de Mingan et de l’Association Eaux-Vives Minganie (AEVM) — un organisme qui vise la protection de la rivière —, les 15 grands aventuriers ont aussi eu l’occasion de marquer l’histoire en baptisant une chute « Sur la pointe des pieds ».
« Cette chute incroyable est un énorme défi pour les pagayeurs, car on doit faire un gros portage ou encore prendre des décisions difficiles pour trouver les bonnes lignes », explique Jean-François Bourdon, un des guides de l’expé.
Franchir des obstacles importants fait partie du quotidien des participants. Et même si l’expédition paraît paradisiaque par moments, il y a aussi beaucoup de mouches noires et de moments difficiles.
Ainsi, après trois rudes portages lors de l’avant-dernière journée, un orage a éclaté, forçant le groupe à changer de plan pour se mettre à l’abri. Il pleuvait si fort que l’on pouvait littéralement boire debout. Tout le monde était mouillé et fatigué, mais au lieu de se plaindre, un petit groupe a entamé une série de jeux loufoques, question de bouger un peu pour se réchauffer. Tout le monde s’y est mis, et le party a pogné malgré les éclairs qui déchiraient le ciel!
« Avec la bonne attitude, tout est possible, estime Amy Flexman, une des guides. C’est la seule chose que l’on contrôle. Je suis convaincue que 10 % de la vie sont faits de ce qui arrive et que 90 % viennent de la façon dont on réagit. Appréciez chaque moment et capturez la magie de l’instant présent! »
Déconnecter pour mieux connecter
En plus du défi physique et mental, l’expédition sur la Magpie a aussi permis de franchir une barrière sociale. Vivre en promiscuité avec un groupe d’inconnus, sans téléphone ni réseaux sociaux, paraissait d’ailleurs terrifiant pour plusieurs participants. « En leur enlevant leurs appareils électroniques, on veut qu’ils prennent le temps de vivre différemment et qu’ils fassent de vraies rencontres », explique Catherine Provost, chargée de projet pour la fondation. Isolés sur la Magpie, ils ont appris à développer une connexion avec la nature et à tisser des liens uniques avec des personnes qui ont vécu des défis similaires.
Eric Nicholson, un jeune ontarien de 20 ans, a ainsi vaincu son anxiété sociale. « J’ai longtemps coupé les ponts avec les gens qui m’entourent, comme si j’avais construit un barrage qui empêchait la rivière de couler vers l’océan. Ici, j’ai rencontré des gens incroyables et cette expédition m’a ouvert les yeux sur les belles choses de la vie. »
« Si j’ai réussi à combattre un cancer et à descendre la rivière Magpie, je peux faire bien des choses dans la vie », ajoute Valérie Bouchard.
Comment tirer profit des apprentissages acquis et des expériences vécues pendant l’expédition? « On ne peut guérir personne. On ne peut qu’essayer d’allumer une petite bougie. Pendant notre séjour sur la rivière, on a vu plein de petits papillons sortir de leur cocon. On les a vus voler. On les a vus rêver », dit Mario Bilodeau. Et c’est surtout ça, avouons-le, qui compte le plus.
Les 10 ans des deux Mario
Du 6 au 11 février 2018, près de 100 personnes traverseront le lac Saint-Jean en autonomie complète, dans le cadre du 10e anniversaire du Double Défi des deux Mario, une autre activité annuelle de collecte de fonds de la fondation Sur la pointe des pieds. Pour réserver sa place : pointedespieds.comInfos utiles
Carte de la rivière en ligne : cartespleinair.org/Canot/07/Magpie2006.pdf
Carte imprimée et infos sur la corvée annuelle sur la rivière Magpie : Association Eaux-Vives Minganie
Descente guidée
Boreal River : borealriver.com
Earth River : earthriver.com
Esprit Whitewater Rafting : whitewater.ca