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  • Crédit : Pascal Ouellette. © Wally's photography

Le Québec, paradis de l'eau vive

Avec plus de 4 500 rivières, le Québec offre une concentration de vagues de calibre international hors du commun, et plusieurs rivières qui n’ont jamais été descendues. Un véritable paradis pour les kayakistes d’eau vive, qui y viennent nombreux au printemps afin de profiter des généreuses crues. Incursion dans le fascinant monde du rodéo aquatique.

Les rivières viennent à peine de dégeler dans le nord du Saguenay–Lac-Saint-Jean que déjà, les kayakistes casse-cou affluent pour profiter du « gros jus ». Un petit groupe a établi un campement à environ 60 km au nord de Dolbeau-Mistassini, près de la rivière Mistassibi. Leur objectif : surfer Molly, une vague de calibre international découverte l’an dernier lors d’une descente exploratoire. « C’est l’une des 10 plus belles vagues au monde! », assure Louis-Philippe Rivest, alias LP, 26 ans, étoile montante du kayak de rivière.

Lors de sa visite, Molly n’était pas encore à son apogée, car il y avait encore trop d’eau et la vague était submergée par les flots. Même si des kayakistes descendent la Mistassibi depuis longtemps, il fallait être là au bon moment pour découvrir cette vague légendaire. Car les cours d’eau sont vivants: ils bougent et gonflent au gré des précipitations et de la fonte des neiges, et ils se transforment tout au long de l’année, laissant apparaître des vagues et des obstacles en fonction de leur débit.

Pour LP, Ben Marr, Patrick Camblin et Ben Fraser, tous fanatiques d’eau vive, l’attente en vaut cependant la chandelle, car la vague parfaite ne se forme que quelques jours par année, parfois pour quelques heures seulement.

L’an dernier, une vingtaine de kayakistes professionnels (ou, à tout le moins, commandités) – dont Mathieu Dumoulin (France), Nick Troutman (Canada), Gerd Serrasolces (Espagne) et Peter Csonka (République tchèque) – sont venus de partout sur la planète pour braver Molly. Certains ont dû toutefois repartir avant qu’elle se manifeste.

Molly est une vague de plus de trois mètres, très inclinée, située près de la route et facilement accessible par les contre-courants, où les kayakistes peuvent enchaîner plusieurs figures, explique LP. « En partant du haut de la vague, on peut gagner beaucoup de vitesse, ce qui nous permet de faire deux ou trois figures aériennes d’affilée », dit-il.

Ces figures, appelées combos, ont été popularisées par des pagayeurs professionnels comme Ben Marr, dès 2013. 

« J’adore ce coin de pays, car on y trouve l’une des plus grandes concentrations de très grosses vagues sur la planète », lance ce kayakiste ouest-canadien, qui passe au moins un mois par année au Québec.

Rêver d’une possible vague

En attendant que Molly atteigne son apogée, les pagayeurs décident de se lancer à la recherche d’autres vagues monstre, en aval. Je les accompagne sur une petite route cahoteuse, jusqu’à un embranchement.

Patrick Camblin sort alors son drone équipé d’une caméra, qui lui permettra d’explorer le secteur du haut des airs, afin de décider de quel côté on ira, après examen aérien des lieux. Pendant quelques heures, nous poursuivrons en vain notre quête de grosses vagues. C’est finalement en demandant à des amis qui possèdent un chalet dans le secteur que nos adeptes du rodéo aquatique trouveront l’accès à une vague de plus de quatre mètres, superbe, lisse et… difficile d’accès.

En ce mois de mai 2015, le groupe a aussi voulu repérer une autre vague d’envergure : Ginormica, un monstre de 6 mètres surgissant entre deux rapides de classe 5, toujours sur la Mistassibi. « Elle semble très intéressante, mais nous n’avons pas encore trouvé le niveau d’eau optimal pour la surfer : c’est une vague en attente », explique Patrick Camblin.

Depuis 2003, Patrick fait partie d’un groupe de kayakistes téméraires qui explorent les rivières du Lac-Saint-Jean en quête de sensations fortes et de précieuses données, pour savoir où pagayer peu importe les débits d’eau rencontrés. « Autant de grosses rivières dans un même bassin versant constitue un phénomène unique en soi, dit-il. Chaque année, on trouve de nouvelles vagues! »

Autrefois commandité par Red Bull, Patrick a pu gagner sa vie comme kayakiste professionnel, pendant quelques années. Mais en 2008, après avoir perdu sa commandite, il s’est remis en question. C’est à ce moment qu’il a eu l’idée de créer une nouvelle forme de compétition de kayak, pour laquelle il a lancé le portail Web du « kayakiste de l’année ». Dans ce portail, 150 des meilleurs pagayeurs extrêmes du monde partagent leurs exploits. En 2010, il apprend que le Championnat du monde de kayak freestyle allait encore se dérouler sur une petite rivière, alors qu’on surfe d’énormes vagues toute l’année. « Selon moi, ça n’allait pas du tout dans la bonne direction, dit-il. C’est ce qui m’a incité à lancer quelque chose de différent. »

Au lieu de cibler une date et un endroit précis, Patrick a décidé de regrouper les 25 meilleurs pagayeurs sur les plus grosses vagues et les plus gros rapides de la planète, en tenant chaque fois ses compétitions dans une région donnée. C’est ainsi que sont nés les Grands Prix d’eau vive (GPEV) au Québec, en 2011. Après une reprise au Chili en 2012, l’événement était de retour au Québec en 2014, avec des participants de 11 pays. D’abord prévus pour 2016, les prochains Grands Prix auront finalement lieu en 2017, car en cette année marquée par El Niño, on craignait que le débit d’eau soit trop faible.

L'édition 2011 des Grands Prix d'eau vive, from Tribe Rider

Lors de la prochaine édition des GPEV, du 28 avril au 8 mai 2017, 50 kayakistes, dont une quinzaine de femmes, se mesureront aux vagues les plus redoutables. Ils se rendront d’abord sur la rivière des Outaouais, avant de poursuivre avec la rivière Rouge, puis la Petite Bostonnais et la rivière Mistassibi, pour ensuite gagner deux autres rivières que l’on choisira ultérieurement, selon les niveaux d’eau. L’une d’elles se trouvera dans la région de Québec.

Rapidement, les GPEV se sont imposés comme l’un des événements les plus prestigieux sur la scène mondiale du kayak. « Rien ne se compare à cette compétition, qui est la plus difficile au monde ! », affirme Trevor L’Heureux, kayakiste aguerri qui a lancé la Série eau vive extrême Québec (SEVEQ) l’an dernier.

Pour se qualifier aux GPEV, les kayakistes doivent d’abord remporter un championnat régional ou un événement de qualification, comme la SEVEQ. « On voulait faire un lien entre les régions du Québec afin que tous les pagayeurs se rassemblent quatre fois par année », explique Trevor L’Heureux, également coordonnateur du championnat qui conduira les pagayeurs sur les rivières Neilson, Rouge et Kipawa, ainsi qu’aux rapides de Lachine, en 2016. À terme, Trevor L’Heureux aimerait que l’événement devienne un incontournable de la scène du kayak d’eau vive de tout le Nord-est américain.

Soigner ses chutes

Le kayak n’est pas qu’une affaire de compétition : c’est aussi – et surtout – une occasion de passer du temps entre amis et de découvrir de nouveaux terrains de jeux. « C’est un sport unique, explique Emrick Blanchette. Quand tu t’engages dans une rivière difficile, tu dois avoir une confiance totale en tes partenaires. Ça crée des liens très solides ».

Plutôt que de surfer sur de grosses vagues, Emrick préfère plonger du haut des chutes et faire du creek, c’est-à-dire descendre des séries de rapides, souvent extrêmes, dans des canyons encaissés. L’an dernier, il a relevé un défi qui lui trottait dans la tête depuis longtemps : effectuer un saut de 25 m du haut des chutes de la Chaudière, sur la Rive-Sud de Québec.

Steve Fisher, légende du kayak de rivière, s’est fracturé le bras lorsqu’il a tenté la même chose, il y a 10 ans; personne ne s’était plus risqué au même exercice, depuis. Pour éviter de se blesser, Emrick a choisi de faire le grand saut lorsque le débit de la rivière était à son maximum. « Après des heures d’analyse, j’ai trouvé comment atteindre le bas de la chute, dit-il. La seule chose qui me rendait plus nerveux était l’instabilité de l’eau, lors de la mise à l’eau. Mais une fois en haut des chutes, le pire était passé et il ne me restait plus qu’à contrôler la chute libre ».

Pour la mise en valeur des rivières d’ici

À 24 ans, Emrick, propriétaire d’une entreprise en construction, est aussi l’un des fondateurs du groupe Québec Connection, qui compte une quinzaine de kayakistes complètement crinqués (dont LP Rivest) et qui vise à mettre en valeur l’eau vive et à faire connaître les rivières du Québec. À l’été 2015, Emrick a aussi formé un groupe de neuf pagayeurs, dont trois États-Uniens, pour découvrir des rivières jamais descendues auparavant.

« La première étape consiste à chercher des cours d’eau comportant des profils intéressants, dit-il. On calcule le pourcentage de pente moyenne de plusieurs sections. Ensuite, on tente de trouver des accès. Lorsqu’il y a des ponts, c’est très simple. Dans le cas contraire, il faut marcher ou pagayer plusieurs dizaines de kilomètres pour rejoindre la rivière ou en revenir. » De plus, la qualité du matériel, la technologie et les techniques plus évoluées permettent désormais de descendre des rapides qu’il n’était même pas envisageable de franchir, il y a quelques années. C’est ainsi que les membres du groupe ont pu descendre cinq nouvelles sections des rivières Boucher, Laval, des Cèdres, Volant et Sault-au-Cochon (en plus des rivières Cabituquimats et Leman, en 2014). Tous ces cours d’eau se trouvent sur la Côte-Nord, près de Portneuf-sur-Mer et de Forestville.

« Réaliser que nous sommes les premiers humains à contempler certains endroits qui ne sont accessibles qu’en kayak crée un sentiment incroyable, dit Emrick. C’est la même chose quand on franchit des enchaînements de rapides jamais descendus auparavant, ou qu’on ne sait pas quels seront les défis auxquels nous aurons à faire face en mettant à l’eau. Après une première descente, on éprouve toujours un grand sentiment de satisfaction et d’accomplissement, car c’est souvent le résultat de beaucoup de planification et de prises de décisions. »

Dylan McKinley, un pagayeur de 21 ans de Caroline du Nord, en était à son premier séjour au Québec. Il a été estomaqué par la qualité des rapides et des cours d’eau. « C’est vraiment fantastique d’avoir accès à autant de belles rivières sauvages, dit-il. Personne n’avait descendu la rivière aux Brochets jusqu’ici, et ce fut l’une de mes plus belles descentes à vie. Et il y a encore tellement de rivières à découvrir! »

On le voit, le Québec est de plus en plus prisé par les kayakistes internationaux. L’automne dernier, 19 jeunes kayakistes de 14 à 18 ans de la World Class Kayak Academy, un programme de sport-études des États-Unis, sont aussi venus profiter des rivières du Québec pendant un mois. À quand un programme kayak-études au Québec?

Eau vive pour tous

« C’est bien beau de sauter du haut des chutes et de surfer sur d’énormes vagues, mais ce n’est pas une pratique accessible à tous », convient Patrick Lévesque, formateur de kayak d’expérience et kinésiologue. Pour faire avancer le sport et initier davantage de gens, il faut surtout miser sur ceux qui apprécient les expériences dans la nature. « Il ne faut pas insister sur le kayak extrême et dénigrer les pagayeurs qui s’amusent dans les petits rapides de classe 1 et 2, car on se tire dans le pied », dit-il.

C’est l’approche sur laquelle mise Pink Water, un programme qui, en 2015, a permis à 85 femmes de s’initier au kayak. « Pas besoin d’aller dans les rapides les plus extrêmes pour s’amuser! », note Shéril Gravel, une kayakiste qui a lancé Pink Water avec deux amies. Au programme : kayak de rivière, rafting, luge d’eau, yoga, massothérapie et bonne bouffe pendant une fin de semaine, à la fin de juin.

Le sport connaît un nouvel essor. Ainsi, à l’école de kayak Québec Raft, le nombre d’inscriptions à des cours de kayak est passé d’une dizaine, en 2011, à plus de 150, l’an dernier. Pascal Ouellette, propriétaire de cette école située à Saint-Stanislas, juste au nord de Dolbeau-Mistassini, souhaite d’ailleurs inciter les écoles de la région à lancer un programme kayak-études.

Après une baisse de popularité au début des années 2000, le monde de l’eau vive semble susciter un regain d’intérêt, depuis quelques années. La Fédération de canoë-kayak d’eau vive (FQCKEV), qui vient d’ajouter le SUP à ses activités, a ainsi franchi le cap des 4 000 membres. De quoi voir l’avenir du bon œil, selon sa directrice générale, Julie Crépeau-Boisvert. Pour promouvoir la pratique récréative et compétitive en eau vive, la FQCKEV planche entre autres sur la création d’un parc d’eau vive à Montréal et sur l’aménagement d’une vague de surf à Sherbrooke.

À surveiller cet été

14 mai - Série eau vive extrême Québec
Course Nelson
Saint-Raymond (Portneuf)
Contre-la-montre par équipes
federationkayak.qc.ca

25 juin - Duel Kipawa
Laniel (Témiscamingue)
Duel d’élimination

Fin juin - Pink Water
Saint-Stanislas (Saguenay–Lac-Saint-Jean)
Initiation de kayak au féminin
pink-water.ca

30 juillet - Slalom Sept-Sœurs
Grenville (Laurentides)
Slalom Géant

14-15 août - Montréal Eau vive
Montréal
Boater-cross

17 au 21 août - Championnats canadiens d’eau vive
Rivière-aux-Sables (Saguenay–Lac-Saint-Jean)
canoekayak.ca

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