XP Antarctik : un pas dans l’inconnu du continent blanc
Partis le 2 février dernier d’Ushuaïa vers l’Antarctique, les six Québécois de l’expédition XP Antarctik ont atteint leur objectif : parcourir une région inexplorée par l’Homme pour y gravir le mont Walker, le plus haut sommet de la péninsule, mais aussi des sommets vierges de toutes traces humaines.
Alexandre, pouvez-nous dire et décrire ou vous êtes actuellement et ce qu’il y a autour de vous ?
Présentement, je suis dans ma tente… Mais cette tente est située dans un trou que l’on a mis dans deux heures à creuser, car on voulait se protéger du vent. On dort au sommet d’une montagne qui n’avait jamais été gravi auparavant et qui n’a donc pas de nom. La vue est hallucinante sur la péninsule Antarctique et sur les îles environnantes, avec un coucher de soleil grandiose. C’est un autre monde ! De penser que l’on est les premiers à voir ce paysage sous cet angle, c’est quelque chose de particulier.
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Quelle sensation cela procure de parcourir des contrées inexplorées et gravir des sommets vierges ?
C’est particulier et honnêtement difficile à croire. Ce qui est agréable, c’est de sentir le contact avec la nature, d’être dans un milieu dans lequel on n’est pas nécessairement censé être. On a vraiment l’impression que l’humain n’a rien à faire ici. La sensation d’être loin du monde, même si on a un téléphone satellite. Ici, il n’y a aucun signe de civilisation : pas de villages, de routes, de poteaux électrique ou de téléphone, pas d’avions dans le ciel, pas de vie animale ou végétale… rien ! C’est un privilège rare, une chance. On savoure chaque moment.
Comment vous sentez-vous après plus de trente jours d’expédition ?
On est bien éprouvé physiquement. Notre peau est desséchée par le vent et le soleil. On essaye de se protéger avec la crème solaire, mais ce n’est pas suffisant. On se sent vieux ! Mais le moral est là. On trouve cela drôle. On savait que cela serait difficile et que l’on aurait mal. On prend cela avec le sourire et ça va bien.
Comment se passe votre progression ?
On savait que cela serait dur. On n’a pas été chanceux en ce qui concerne la météo, avec du blizzard à des moments inopportuns, notamment sur des passages plus techniques, plus délicats. On progressait difficilement, mais on fait un pied devant l’autre et on recommence. On prend une journée à la fois. À chaque jour, on donne le maximum.
Et le froid ?
Il n’est pas si agressif. On a eu beaucoup de vents d’ouest, venant de la mer. Cela amène des températures plus « chaudes », autour de moins -15 degrés Celsius. Mais c’est un froid très humide qui vient percer les os. C’est plus difficile à gérer que si on avait un -20 ou un -25 car, en plus de nous, cela humidifie aussi nos équipements. C’est un peu déroutant et on peut rien y faire. On ne contrôle pas le temps, donc on fait avec.
Il y aussi les crevasses.
Oui, Samuel et François sont tombés dedans. Ça fait partie des risques, mais on fait tout pour que cela n’arrive pas. Cela a surtout démontré que l’on était bien entrainé et prêt à réagir.
Dans le cas de Samuel, on montait vers un sommet pour avoir un point de vue dégagé sur la suite du parcours. C’est moi qui ouvrais la voie. C’est passé pour moi, mais le pont de glace s’est effondré au passage de Samuel. Marina et moi, on s’est tout de suite jeté au sol pour arrêter sa chute dans le gouffre. On a ensuite rapidement installé un ancrage pour aider à le sortir de là. Pas de blessures, mais malheureusement dans sa chute, il a perdu un peu d’équipement : des couteaux, des crampons. Le lendemain, il a dû redescendre dans la crevasse pour aller les récupérer. Mais sur le chemin, François est aussi tombé dans une autre crevasse. C’est Marina et Samuel qui ont dû arrêter la chute. Mais, François est un homme costaud, c’était difficile. L’autre partie de l’équipe, on les rejoint pour aider à le sortir. François avait échappé un ski au fond. Je suis descendu en rappel, sur 60 mètres, pour aller le chercher. Ce fut deux jours plein d’émotions !
On peut dire que l’aventure, vous le vivez pleinement.
C’est vrai. Je la ressens particulièrement lors de nos phases d’exploration : quand on ne sait par quel chemin on va passer, à gauche ou à droite de la montagne, envoyer des équipes en reconnaissance… Quand on trouve notre chemin, on se rend jusqu’au sommet, on est très heureux.
Dans l’entrevue, à l’automne, à la question « Qu’est-ce qui vous fait rêver dans le fait d’aller en Antarctique? », vous répondiez : « La vie sur place. Après une grosse journée, se mettre dans son duvet, manger un bon repas et admirer la vue en face de soi, voir les aurores boréales ». Toujours d’accord avec ça ?
Totalement ! Mais en plus de ça, il y a aussi le quotidien pas ordinaire : marcher, pousser les défis, car chaque jour, on en a, même des petits. Mais le simple fait de les réussir, ça nous rend heureux et satisfait. Les paysages sont hallucinants ! On savait que cela serait beau, mais pas à ce point. C’est magique !
Avant d’arriver en Antarctique, vous avez traversé le Passage Drake, l’une des zones maritimes qui connaît les pires conditions météorologiques sur la planète. Certains ont souffert du mal de mer. On a l’impression, en vous lisant sur les réseaux sociaux, qu’il a été plus difficile de préparer l’expédition (logistique, financement, recherche du combustible par exemple) et se rendre en Antarctique que d’y évoluer et explorer.
Je dirais que ces volets représentent chacun des gros défis, mais des défis différents. Dans l’équipe, notre expertise est sur le terrain. C’est sur que l’on y est davantage dans notre zone de confort, dans notre cœur de métier que dans la partie préparatoire avec la recherche de commandites, de financements et de communication. Mais, si être sur le terrain fait partie de notre domaine d’expertise, on pousse la limite au maximum. C’est difficile physiquement et mentalement. Il faut prendre les bonnes décisions au bon moment, être constamment sur le qui-vive fatigue ou pas fatigue.
L’un des volets de l’expédition, c’est « documenter ». Comment ça se passe de ce côté sur le terrain ?
Ça se passe super bien. On porte les gilets Astroskin (ndr : un prototype de maillot intelligent testé pour l'Agence spatiale canadienne) qui enregistrent nos signes vitaux. Des données phsyologiques (fonction respiratoire, fréquences cardiaques, VO2) sont envoyées quotidiennement à Andrée-Anne (ndr : étudiante au doctorat en biologie à l'UQAM) restée sur le bateau. En ce qui concerne le film, on a pris plein de beaux visuels, de notes pour faire le plus beau documentaire possible. Filmer et photographier dans cet environnement, c’est tout un défi, mais Caroline s’en sort très bien. On a hâte de voir le résultat !
Une question un peu « people » pour finir. Il y a deux couples dans l’équipe. Comment s’est passé votre Saint-Valentin ?
Ça s’est très bien passé : on est allé dans un chalet suisse pour manger de la fondue aux fromages… Évidemment que non ! On s’est fait trois becs, on s’est souhaité une bonne Saint-Valentin. Mais à part ça, c’était une journée « normale » en Antarctique. Mais, j’ai été choyé, car avec Emmanuelle, ça fait huit ans que l’on est ensemble. Elle m’a fait une déclaration d’amour, avec toute l’équipe comme témoin. C’était très mignon et de toute beauté !
Encore plus
Pour les suivre pendant l’expédition : xpantarctik.com ou sur le blogue d’Évasion