Rechercher dans le site espaces.ca
  • Crédit: Sylvain Letellier, Course nocturne de Montréal

« J’ai couru la nuit dans les rues de Montréal »

Le vendredi 21 mai se déroulait la première édition de la Course Nocturne de Montréal, une épreuve de course à pied de 5 ou 10 km, de nuit, autour du stade olympique, dans les rues de la ville et dans le parc Maisonneuve. Notre journaliste était présent et vous raconte ses impressions de coureur noctambule.

Je me suis souvent demandé ce qui poussait certaines personnes à courir très tard, aux dernières heures de la journée, dans la pénombre des rues mal éclairées ? J’allais enfin savoir !

20h45. Top départ. Environ 500 coureurs s’élancent au pied du stade olympique, dont moi. Un peu fébrile, je l’avoue, mais tout autant excité à l’idée de courir une épreuve de nuit. Le peloton encore compact se dirige vers la rue Ontario. Les encouragements des spectateurs du départ s’estompent progressivement derrière nous. On aperçoit au loin les immeubles du centre-ville. Autour de moi, c’est le silence qui règne. Chacun doit être concentré sur sa course, son rythme, ne pas partir trop vite, ne pas se fatiguer d’entrée de jeu. On n’entend que le bruit des pas sur le bitume. Tap, tap… Un mille-pattes à souliers est en train de courir ! Un léger vent s’engouffre dans nos jambes en mouvement. Le tout donne un bourdonnement grave, sec. « Geneviève, t’es où ? » crie une coureuse devant moi. « Derrière, j’arrive ». Certains coureurs esquissent un sourire. Soulagement, on a retrouvé Geneviève !

Après 1,5 km, on arrive sur la Rue Ontario. C’est l’urbanité qui nous rattrape. Les lampadaires de la ville éclairent notre chemin. Les gens en terrasse, une bière ou un verre à la main, nous regardent passer. Pour l’occasion, l’association des commerçants de la rue Ontario avait préparé une animation musicale le long du parcours. L’ambiance est donc festive. Et pour ceux, comme moi, habitués à courir avec de la musique dans les oreilles, cela donne de l’entrain à l’exercice.

Aux abords du premier point d’eau, de nombreux spectateurs encouragent. En parlant de ravitaillement, comme souvent dans les quartiers animés, ça sent la nourriture. Là, à ce moment précis, après 2 km de course, j’ai envie d’une poutine… « On lâche pas! » nous lancent certains bénévoles à notre passage. Même pour une poutine ? Je me dis que, peut-être, je la mériterai plus après avoir couru tout le parcours. En plus, comme si on n’en avait pas assez profité, le parcours fait un demi-tour. Rebelote pour la musique, les bars, la bouffe et l’envie de poutine sur 1 km, dans l’autre sens !

Crédit: Karel Cladek, Course nocturne de MontréalAu bout de la Rue Ontario, après 3,5 km, le parcours revient vers le stade olympique, sur l’Avenue Aird. Retour au calme. La masse compacte du début s’est désolidarisée. Chacun est désormais maître de son rythme et de son souffle. J’emboîte la foulée d’une inconnue devant moi, un « lièvre » de circonstance qui va m’aider à garder mon rythme de croisière jusqu’aux derniers mètres de la course (au passage, merci à elle !).

Plus à l’écoute de son corps

Puis, à partir du 5 km, s’engage une deuxième course. Après une montée casse-pattes, me voici dans le parc Maisonneuve, à suivre la piste cyclable, dans l’obscurité la plus complète. Ici, pas de lampadaires pour nous éclairer, si ce n’est quelques projecteurs pour donner des points de repère. C’est quasiment le noir complet. On ne voit pas à plus de 500 mètres. En fait, on devine plus qu’on ne voit. On s’y habitue toutefois très vite et très facilement. En me privant (partiellement) de la vue, je suis moins distrait par l’environnement autour de moi, plus à l’écoute de mes sensations, de mon rythme de course, de ma respiration. Mais, à l’inverse, la courbe de la piste cyclable longeant la Rue Viau puis le Boulevard Rosemont, entre le kilomètre 5,5 et le kilomètre 7, me paraît interminable. De l’autre côté de la piste cyclable, les premiers coureurs font le chemin de retour vers l’arrivée. Je me dis alors que je n’en ai plus pour très longtemps pour faire de même et enfin virer de bord. Mais non… ces mètres me paraissent interminables. Plus j’avance, plus je me dis qu’il faudra faire le même chemin, dans l’autre sens. Qu’elle paraît loin ma poutine !

Heureusement, au km 7, le retour s’amorce. Enfin ! Je vois au loin la tour du stade olympique. C’est à la fois si proche et si loin. La borne du 8e km me fait mal au moral. J’ai l’impression d’en avoir couru le double, voir le triple. Essayez donc de déambuler chez vous, dans l’obscurité, toutes lumières éteintes. Vous aurez l’impression que votre pièce est beaucoup plus grande… Être plus à l’écoute de son corps est une chose agréable quand vous débordez d’énergie, un peu moins quand vous sentez que votre jauge d’énergie s’amenuise à mesure que vous avancez. Heureusement, porté par un je-ne-sais-quoi, j’arrive à ne pas démoraliser, à faire abstraction de cette fatigue mentale, alors que le corps semble encore répondre présent. Après tout, ce n’est qu’un 10 km. Rien à voir avec les distances du marathon ou de l’Ironman (3,9 km de natation, 180 km de cyclisme et 42,195 km de course à pied).

Après ma faiblesse d’esprit passagère, sonne l’heure de la révolte. Haut les cœurs, je vais y arriver ! Je me rends compte maintenant que courir à cette heure tardive m’aide à réfléchir et  à me concentrer davantage qu’en plein jour. Il paraîtrait même que c’est très bon pour la santé : « L’effort en fin de journée augmente les capacités aérobies et améliore les fonctions physiologiques. Des études prouvent que ces fonctions (temps de réaction et coordination des mouvements) sont maximales entre 16 h et 22 h ». Alors, si même les études le disent…

Je profite de la descente (la côte de tout à l’heure, mais dans l’autre sens !) pour prendre un peu de vitesse. Il me reste encore 1 km à parcourir. J’ai les jambes lourdes, mais le moral remonté à bloc. On déambule entre les installations du stade olympique, puis une dernière petite côte avant de rejoindre l’Esplanade Financière, où sont massés beaucoup de spectateurs. J’entends la musique de l’arrivée, qui est à 500 mètres de moi. Je sue à grosses gouttes. Heureusement que la température nocturne est agréable. Je n’imagine même pas ce qu’il en serait sous le soleil de l’après-midi. J’oublie tout, je ne pense à rien. Seulement faire une foulée, puis une autre. Puis résonne en moi un petit bip, infime. Non pas mon stimulateur cardiaque… Le bip de l’arrivée ! Ca y est, j’en ai fini de ce 10 km, de cette course nocturne, de mes réflexions noctambules, des « on lâche pas! » par les sympathiques bénévoles, des odeurs de bouffe… Tiens d’ailleurs, elle est où ma poutine ?


 
 
Commentaires (0)
Participer à la discussion!