Olivier Föllmi : s’ouvrir à l’autre
Le photographe de renommée internationale, aventurier, réalisateur et auteur Olivier Föllmi présentera une conférence cet hiver au Québec nommée « Himalaya - Fleuve gelé, Fleuve de vie ». Deux œuvres, une d’aventure, l’autre de contemplation. Toutes deux présentent des images saisissantes d’un monde reculé, méconnu, dur, magistral.
Olivier Föllmi sonde précautionneusement la glace avant d’y déposer son pied. Il marche sur le Tchadar, un fleuve gelé dans la vallée tibétaine du Zanskar, au nord de l’Inde. Le froid est âpre, la glace menace de se rompre à tout moment. Un faux pas et il se retrouve transi par l’eau glaciale. Avec lui, Motup, 11 ans, un garçon qu’il a pris sous son aile trois ans auparavant pour lui faire découvrir ce qu’est l’école au Ladakh, à 150 kilomètres du village de ses parents. Ce sont les vacances scolaires, pendant l’hiver. En raison de la neige, le seul moyen de rejoindre la maison familiale isolée est de passer sur le fleuve gelé. Pour la première fois, Motup entreprend cette traversée risquée pour se retrouver quelques jours avec sa famille après trois ans de séparation.
« Chaque pas nous enseigne le fardeau de notre corps, la fragilité de la vie. Chaque pas nous enseigne combien le bonheur est précaire », raconte-t-il dans Fleuve gelé.
Olivier Föllmi a mis le pied en Asie pour la première fois à 18 ans. Il s’est envolé avec des amis pour l’Afghanistan pour faire des ascensions. Épris des hauts sommets, il a voulu faire le tour du monde, mais il est littéralement tombé en amour avec l’Himalaya, avec ses gens, avec leur culture. Il est devenu guide en montagne.
En se promenant dans la région, il a découvert la contrée isolée du Zanskar à 3 500 mètres d’altitude. On était alors en 1979 et les habitants, d’après le photographe, n’avaient jamais vu d’étrangers. C’est là qu’il a connu les parents de Motup. « Je me suis lié d’amitié avec le père nouvellement marié, raconte Olivier Föllmi. Il avait environ mon âge et n’était jamais sorti de sa région. Il ne savait pas qu’il existait un monde en dehors des montagnes. Alors j’ai décidé de l’amener de l’autre côté de l’Himalaya, dans la plaine indienne. »
Il y a vu pour la première fois l’électricité, des robinets. Il a été ébloui.
« Il m’a confié qu’il voulait que son fils connaisse ce monde. Je lui ai dit de l’envoyer à l’école. Il m’a demandé ce qu’était l’école. »
C’est ainsi que Olivier Föllmi et sa femme, Danielle Pons-Föllmi, médecin en Suisse, prennent en charge l’éducation de Motup et deviennent pratiquement ses deuxièmes parents.
Repousser ses limites
Cette traversée du fleuve gelé en 1989 a généré des images saisissantes, primées au World Press Photo. L’aventure, maintenant portée à l’écran, a permis à chaque participant, Olivier, Danielle, Motup et les porteurs, de repousser leurs limites. Ils dormaient dans le froid glacial, sous les moins 20 ou moins 30 °C. Ils se nourrissaient uniquement de farine d’orge mélangée à du thé beurré salé, la boisson traditionnelle tibétaine. Ils devaient souvent escalader les parois de la vallée puisque la couche de glace sur le fleuve était éventrée.
Lorsqu’on se lance dans une telle traversée, on connaît le moment où elle débute, mais on ignore quand elle se terminera. L’aventure aura finalement duré deux semaines et aura permis de passer cinq jours de réjouissances en famille. Ensuite, il fallait entreprendre le chemin inverse pour ramener Motup à l’école.
Les parents du garçon ont rapidement constaté à quel point il avait été transformé en classe. Il parlait anglais, il savait lire, il savait écrire. Même si c’était dur pour eux de se séparer de leurs enfants, ils ont demandé à Olivier et Danielle de donner la même chance à leur fille, Diksit, huit ans. La caravane est finalement repartie avec une petite fille apeurée en plus !
« Elle marchait vers l’inconnu. Au début, elle ne lâchait pas son frère d’une semelle », se souvient Olivier Föllmi qui garde toujours précieusement en mémoire le contexte où il prend chacune de ses photos.
Le voyage transformateur
Motup et Diskit ont étudié dans les meilleures écoles de l’Inde, ils ont voyagé dans le monde avec leurs deuxièmes parents Olivier et Danielle, ils sont polyglottes. La question de ce qu’ils allaient faire de leur avenir était tout de même préoccupante pour les parents adoptifs.
« Nous avons fait en sorte qu’ils gardent leur culture en les envoyant à l’école en Inde, affirme Olivier Föllmi. Mais, où allaient-ils faire leur vie ? Ils ne pouvaient pas retourner au Zanskar ; c’était trop rustique. Ils se sont finalement installés au Ladakh et chacun y a créé une agence de voyages. »
Ils se sont aussi mariés, en présence de leurs quatre parents, et lors de cette tournée du Québec avec les Grands Explorateurs, Diksit sera sur la scène accompagnée de ses enfants aux côtés d’Olivier Föllmi.
Le couple occidental n’a jamais eu de doutes quant à amener leur mode de vie pourtant imparfait à cette famille des montagnes himalayennes.
« J’ai vu trop de gens souffrir dans ces régions, trop de gens mourir pour des choses qui auraient pu facilement être soignées, affirme Olivier Föllmi maintenant établi en France. J’ai appris à aimer l’Occident où on peut se faire soigner, aller à l’école, avoir accès à de l’eau potable, prendre une douche chaque jour ; c’est fantastique! Mais cela ne veut pas dire qu’on a que de bonnes valeurs. Je crois qu’il ne faut pas être trop autocritique, ni arrogant. La vérité, elle se trouve dans une combinaison de toutes ces valeurs. Il faut savoir s’imprégner, s’ouvrir aux autres. »
Les grandes leçons - Fleuve de vie
À 57 ans, Olivier Föllmi considère que son rôle est maintenant de transmettre. Il ne se lance plus dans des aventures aussi périlleuses.
« Ce n’est plus de mon âge ! », s’exclame-t-il, même s’il n’a visiblement pas perdu l’étincelle dans ses yeux et ce profond amour pour la vie, pour les gens.
Avec Fleuve de vie, c’est justement l’humanité qu’il met en valeur.
« J’avais envie de présenter des images issues de mes 35 ans de voyages pour montrer une seule humanité à travers une variété de cultures, pour montrer que les gens sont unis dans leur diversité. Une mère qui aime son enfant, c’est une mère qui aime son enfant. Qui qu’elle soit, où qu’elle soit. »
Dans l’immensité du monde, il a aussi trouvé l’humilité comme point commun à bien des hommes. « On la trouve chez les gens au mode de vie paysan, qui dépendent de la nature pour vivre, indique celui qui travaille maintenant sur un nouveau livre axé sur le développement personnel. On peut aussi retrouver cette humilité dans le monde spirituel. Peu importe la religion, les gens ont une humilité par rapport à Dieu. J’aime beaucoup côtoyer des êtres spirituels de toutes les religions. Dans le silence, on parle tous le même langage. La religion désunit les hommes à partir du moment où on commence à parler. »
Entre 2003 et 2009, Olivier Föllmi a parcouru le monde afin d’illustrer de grandes traditions, de grandes vérités. De ces aventures, est né le projet Sagesses de l’humanité composé de sept livres de 365 pensées publiés à plus d’un million et demi d’exemplaires et traduits en plusieurs langues.
À parcourir les lieux reculés du monde, il a appris à quel point l’homme est beau. « Je ne suis pas d’accord avec la tendance dans les médias à dramatiser le monde, à ne montrer que de la violence. En 35 ans de voyage, je n’ai rencontré que des gens merveilleux. Oui, il y a de la violence et il faut la dénoncer, la combattre, mais il n’y a pas que ça. Pour changer le monde, il faut changer le regard qu’on a sur lui. Ce n’est pas en montrant le négatif qu’on donne envie de construire un monde meilleur. En tendant la main, on reçoit une main tendue en retour. Il faut lâcher prise sur ses idées, s’ouvrir à l’autre. C’est ce que je veux montrer avec Fleuve de vie. L’humanité est belle et elle vaut la peine d’être défendue. »