Les aventuriers de la cascade perdue
Comme dans les aventures d’Indiana Jones, notre périple débute dans la jungle tropicale. Après avoir survolé le sud de la côte Pacifique du Costa Rica à bord d’un petit coucou, nous voilà au-dessus du dédale de mangrove du parc national de Piedras Blancas. Il fait déjà plus de 28 degrés à l’ombre en cette fin de matinée. Une fois posé sur le tarmac brûlant de Puerto Jimenez, le pilote s’évente à l’aide de larges feuilles de bananier.
Embarquement maintenant à bord d’une chaloupe pour traverser le Golfo Dulce. « C’est l’un des seuls Fjords tropicaux qui existe sur la planète », explique Mario, notre guide costaricain. « La profondeur sous la coque est actuellement de plus de 200 mètres. Cette biodiversité marine exceptionnelle attire des équipes scientifiques internationales. » Une fois arrivé à Playa Cativo, notre luxueux camp de base, Allen, le manager des lieux, déplie la carte du parc pour préparer notre expédition du lendemain. Il parle d’un sentier méconnu menant à une cascade secrète. Il réussit à piquer ma curiosité. La seule et unique personne capable de nous y mener, c’est Marcelino, que tout le monde ici surnomme Chillin, explique-t-il. Le vieux guide connait la jungle mieux que quiconque. « Il arpente la forêt depuis qu’il sait marcher. Je dois par contre vous prévenir que Chillin ne parle qu’espagnol et qu’il manque parfois de… fiabilité. »
À 4 heures du matin, bottes de caoutchouc aux pieds et munis de plusieurs gourdes dans le sac à dos, nous rencontrons le fameux Chillin. Il nous offre une poignée de main puissante et baragouine quelques mots inaudibles avant de partir à grandes enjambées sur le sentier. Il n’y a pas de temps à perdre, six heures de trek nous attendent dans la jungle dense. Autour de nous, les orchestres d’insectes de la forêt s’en donnent à cœur joie. La cacophonie sylvestre est renforcée par les voix de barytons distantes des singes hurleurs. Plus nous nous enfonçons dans les terres, plus la jungle semble vouloir se refermer sur nous.
Ignorant les sentiers, Chillin pénètre tout droit dans la forêt. Il fend la multitude d’arbres tropicaux, de fougères géantes et de buissons épineux à coup de machette. Lui seul connaît notre destination. Nous grimpons péniblement sur le dos de la montagne. Le souffle court et le corps ruisselant de sueur, nous luttons pour que nos pieds ne se dérobent pas sur le sol gorgé d’eau et de feuilles de palme en décomposition.
Au sommet de la montagne, une pause permet d’échanger avec Chillin. Sur son corps, les cicatrices dépeignent les mauvaises rencontres qu’il a faites dans la jungle. Il raconte qu’une nuit, alors qu’il rentrait chez lui à une heure tardive : « J’ai entendu un bruit sourd au-dessus de ma tête. Deux yeux jaunes dilatés par la lumière me fixaient. C’étaient ceux d’une panthère noire qui chassait le tapir. À part ma lampe frontale, je n’avais rien pour me défendre. Juste deux bouteilles d’alcool dans mon sac à dos… ». Nous comprenons pourquoi Allen ait pu douter de la fiabilité de ce drôle de guide. Après avoir redescendu sa jambe de pantalon sur la cicatrice d’une ancienne morsure de crocodile, Chillin poursuit l’élagage et nous fraye un chemin dans la végétation luxuriante.
Au milieu, d’une vallée isolée couverte d’une forêt primaire coule un ruisseau rafraichissant que nous suivons sur quelques kilomètres. Chillin, en tête, passe son temps à grommeler. Nous n’avons aucune idée de l’endroit où nous sommes, ni du temps qu’il nous reste avant d’atteindre la cascade mystérieuse. D’ailleurs, existe-t-elle vraiment ou est-elle seulement le fruit de l’imagination fertile de notre guide ? Au détour d’un méandre du ruisseau, Chillin disparait. Nous pressons le pas. Bientôt, le vacarme d’une impressionnante chute d’eau nous assourdit. La voilà notre cascade! Nos efforts étaient à la hauteur de la découverte. Au milieu des fougères, ce joyau de la jungle costaricaine, jaillit d’une haute falaise. Avec délices nous plongeons dans le tourbillon naturel à ses pieds, puis paressons au soleil sur les rochers à côtés de quelques lézards à la queue au bleu éclatant. Inébranlable, Chillin, continuera d’aiguiser sa machette tout en conversant avec un ami imaginaire…