S’entrainer au travail
Est-ce que votre employeur vous permet de vous entrainer pendant les heures de travail? Pour être en mesure de stimuler leurs employés, réduire l’absentéisme au travail et favoriser la rétention du personnel, de plus en plus d’entreprises mettent en place des programmes pour favoriser les saines habitudes de vie.
Dans les locaux de Pixmob, une entreprise montréalaise qui transforme les foules en écran lumineux, une délégation de partenaires brésiliens, américains, espagnols et français sont en visite pour planifier le futur de cette technologie qui pourrait créer une révolution dans le monde du spectacle. Malgré l’horaire chargé, sur les coups de 11 h, tout le monde enfile shorts et espadrilles pour une séance d’entrainement avec une entraineuse privée de U.N.I. Training. « Je suis convaincu que de faire du sport le midi contribue à réduire le niveau de stress et mieux supporter la pression. De plus, avec les voyages, ça aide à se remettre du décalage », témoigne David Parent, président-directeur général de Pixmob, qui fait du sport cinq fois par semaine lorsqu’il est au pays.
Afin de partager les bienfaits du sport avec sa cinquantaine d’employés, David Parent et son associé Vincent Leclerc leur offrent des séances d'entrainement de groupes et un énorme panier de fruits leur est livré chaque jour. « Avec du repos, de l'exercice et une meilleure alimentation, tout le monde est gagnant. Les individus ont une meilleure qualité de vie et l'entreprise a un meilleur rendement », ajoute-t-il.
Pour rejoindre cette clientèle d’affaires, Chris Ince, propriétaire de U.N.I. Training a implanté son gym dans un espace commercial, en 1999. Alors qu’il visait d’abord les employés individuellement, il s’est rendu compte de l’énorme potentiel qu’il pouvait développer en offrant des entrainements de groupe pour les entreprises : « C’est bénéfique pour les employés et l’entreprise de faire des séances d’entrainement ensemble. En plus d’apporter des bénéfices pour la santé et de réduire le stress, ça améliore le moral de l’équipe et ça crée des liens entre les employés. Ça crée un meilleur esprit d’équipe! », souligne l’entraineur. Et c’est sans compter que les employés sont généralement plus productifs après l’entrainement et souvent, moins malades.
La bougie d’allumage pour offrir des entrainements de groupe pour les entreprises est venue après que la présidente de LCC vins et spiritueux, Dominique-Ann Coffin, qui fréquentait la salle d’entrainement de U.N.I., a lancé l’idée de faire des courses en équipe à ses employés. Au départ, quatre à cinq personnes ont répondu à l’appel et se sont mises à l’entrainement pendant un été. Puis, l’équipe a grandi et aujourd’hui, neuf personnes s’entrainent à l’année pour participer à des courses de 10 km et des demi-marathons. Pour motiver les troupes, l’employeur paie 50 % des frais d’adhésion au gym. Et ça rapporte! Depuis que les employés courent ensemble, l’équipe de travail est plus soudée que jamais et l'an dernier, ils se sont même payé un séjour en Floride afin de participer à un demi-marathon.
Des leaders qui donnent l’exemple
« Pour favoriser les saines habitudes de vie au travail, ça prend un dirigeant qui fait du sport et qui veut partager sa passion », estime Pierre Lavoie, triathlonien et instigateur du Grand Défi qui porte son nom. « C’est quand un employeur réalise qu’il peut aider ses employés à profiter de tous les bienfaits du sport qu’il passe à l’action », dit-il. Et Pierre Lavoie fait partie de ces leaders qui donnent l’exemple.
Pour les sportifs, Pierre Lavoie est l’employeur de rêve : ses employés peuvent s’entrainer pendant les heures de travail et ils sont payés pour le faire! Ceux qui n’en profitent pas doivent travailler pendant ce temps-là. Cette heure passée entre collègues de travail crée une dynamique de groupe très productive, explique le triathlonien. De plus, dans les locaux du Grand Défi Pierre Lavoie (GPDL) à Boucherville, un gymnase avec tapis roulants, rameurs, haltères et douche a été aménagé. « 80 % des personnes qui commencent à s’entrainer le soir abandonnent, alors que 80 % de ceux qui le font le matin ou le midi vont persévérer. On veut encourager nos employés à s’entrainer. Dès l’embauche, on veut créer une dynamique qui favorise l’activité physique. C’est dans nos valeurs », souligne Pierre Lavoie. En s’entrainant, ses employés sont plus allumés, dynamiques, et productifs : « L’heure que tu leur donnes, ce n’est pas une perte, c’est un avantage. »
L’homme qui fait bouger le Québec base sa logique sur son expérience personnelle lorsqu’il travaillait en usine au Saguenay. Pour être plus performant dans ces compétitions, il s’est mis à courir pour aller au travail, à manger des repas moins copieux, et à s’entrainer sur l’heure du diner. « En bougeant, le corps sécrète de l’adrénaline et de l’endorphine pendant plusieurs heures et je me suis rendu compte que j’étais plus réveillé et dynamique au travail », se souvient-il.
Le Grand Défi Entreprise
Après avoir stimulé des milliers de jeunes à bouger, Pierre Lavoie s’attaque aux saines habitudes de vie dans les entreprises. Depuis 2011, il sillonne le Québec avec sa « machine de guerre », une unité mobile d’évaluation santé et un groupe d’experts qui motive les entreprises à prendre le virage santé. Au total, 20 entreprises de 200 à 1 000 employés, dont Ernst & Young, TVA, Niobec, Rio Tinto Alcan et Desjardins, font partie des convertis.
Le Groupe Germain, une entreprise hôtelière, a aussi pris le virage, après qu’Hugo Germain, directeur du développement, soit sorti transformé de son expérience au GDPL en 2012. « Je n’étais pas actif et je voyais ça comme un gros obstacle. Pour participer au défi, je me suis entrainé pendant trois mois. Je me suis mis en forme et j’ai perdu 20 livres. Ç’a changé la façon dont je vis ma vie », commente celui qui s’entraine maintenant quatre fois par semaine.
Emballé par cette métamorphose, Hugo Germain a voulu partager son expérience avec ses employés. En 2013, le Groupe Germain a donc formé deux équipes pour participer au GDPL, et en moins d’une semaine, ils avaient recruté dix cyclistes pour faire la boucle de 135 km. De mars à juin, tout le bureau s’est mis à vibrer au rythme du Grand Défi, alors que les employés récoltaient des fonds pour la fondation et pour améliorer les infrastructures sportives dans des écoles faisant partie du défi « Lève-toi et bouge ». Au final, les employés ont été en mesure de recueillir plusieurs milliers de dollars. Une somme qui pourra faire la différence dans les écoles de la province qui ne reçoivent que 500 $ annuellement pour améliorer leurs infrastructures sportives!
En voyant toute l’énergie positive et la mobilisation des employés autour des saines habitudes de vie, le Groupe Germain a décidé d’aller un peu plus loin en participant au Grand Défi Entreprise. Calqué sur le système de cubes énergie récoltés dans les écoles secondaires, des équipes de cinq employés doivent récoltés un maximum de « cubes » de saines habitudes alimentation, d’activité physique et d’arrêter de fumer. Mais ce n’est pas nécessairement les plus sportifs qui gagnent le concours, car beaucoup de points sont accordés aux centimètres de tour de taille perdus, aux fruits et légumes mangés et pour la réduction de consommation de cigarettes.
Après une présentation du projet qui permet de bien comprendre l’importance de la nutrition et de l’activité physique, tous les employés reçoivent un bilan de santé complet avant d’entreprendre la compétition qui dure 13 semaines. « Chaque jour, les équipes mesurent leur progrès. Tout le monde compare ses lunchs. Ça mobilise les gens, ça resserre les liens et ça crée un bon environnement de travail », commente Hugo Germain. Avoir des employés en santé, c’est bénéfique pour l’organisation, selon ce dernier, mais c’est aussi bonne façon de leur dire merci. « On veut qu’ils sachent qu’on se préoccupe de leur santé », lance l’entrepreneur, qui note également des impacts positifs sur la productivité de ses employés.
Ayant récemment déménagé dans de nouveaux locaux, le Groupe Germain y a aménagé un petit gym et les employés peuvent s’entrainer au bureau gratuitement. Ils achètent aussi une quantité industrielle de fruits – ce qui permet de gagner beaucoup de cubes de saine alimentation. Finalement, l’équipe de direction est à l’écoute de ses employés, lesquels ont proposé d’essayer d’autres sports au travail, comme le karaté ou le Pilates.
Un changement d’attitude qui rapporte gros!
Il n’est toutefois pas nécessaire d’investir d’énormes sommes d’argent pour induire un changement dans les habitudes de vie. L’idée est d’abord de créer une atmosphère de travail. C’est ce qu’a fait l’entreprise Ciment Québec, basée à Saint-Basile-de-Portneuf. Après qu’un groupe de la direction ait participé au GDPL en 2012, le Grand Défi Entreprise a été lancé aux employés de l’entreprise.
Sur les 213 travailleurs, 165 participants ont répondu à l’appel et ont cumulé des statistiques impressionnantes. En trois mois, ils ont fait 9 714 heures d’entrainement, soit 4,9 h/personne/semaine. En moyenne, chacun a perdu 3,7 cm de tour de taille et un total général de 769 livres! Quatre personnes ont arrêté de fumer alors que 13 ont diminué leur consommation de nicotine. Pendant la même période, l’âge du cœur moyen, mesuré par l’équipe de médecins, est passé de 53 à 51 ans.
Pour parvenir à ces résultats, Ciment Québec a investi dans des prix pour récompenser les équipes, mais c’est avant tout une atmosphère de saines habitudes de vie qui a été instaurée : « Les employés ont tellement embarqué qu’une ambiance vraiment spéciale s’est créée dans l’usine. Les gens ne parlaient que de ça. Ils organisaient des courses et des séances de spinning. Même la cantine a dû complètement changer son menu », souligne fièrement Myriam Pagé, coordonnatrice aux communications. De plus, pendant ce défi, Ciment Québec a remarqué une diminution du taux d'utilisation de l'assurance courte durée et de soins médicaux. Avec un tel succès, l’entreprise compte refaire le Grand défi Entreprise cette année dans sa division béton, qui comprend 700 employés.
Ciment Québec et le Groupe Germain sont des exemples d’entreprises qui sont passées à l’action. Depuis quelques années, les saines habitudes de vie deviennent une valeur importante pour toutes les couches de la société, mais particulièrement dans nos écoles : « Les employeurs devront s’adapter à cette nouvelle réalité s’ils veulent garder leurs employés, car la nouvelle génération exigera ces programmes santé au travail », dit-il. Avec la pénurie de main-d’œuvre appréhendée d’ici quelques années, préparez-vous à bouger, même au travail!
L'avis de Pierre Lavoie :
« Le gouvernement devrait permettre aux entreprises d’utiliser le 1 % dédié à la formation des employés pour instaurer des pratiques sur les saines habitudes de vie », dit Pierre Lavoie. Cette mesure permettrait à plusieurs entreprises d’aller chercher ce crédit d’impôt d’une manière différente. « Le gouvernement doit aider les PME, qui n’ont souvent pas les moyens d’investir, en leur donnant des leviers financiers.
Qui va en profiter? D’abord l’employé, puis l’employeur et finalement le gouvernement, en réduisant la pression sur le système de santé. C’est une mesure “win-win-win”. Il faut arrêter de faire entrer les Québécois 10 ans trop tôt dans le système de santé. Arrêtons de parler d’espérance de vie et parlons de qualité de vie. Pour y parvenir, on doit créer un environnement favorable à l’activité physique. On doit être imaginatifs », explique Pierre Lavoie.
Au gouvernement, les mentalités changent et on commence à voir l’importance de faire bouger la population. « Pour accélérer le processus de changement, le virage santé doit impliquer les entreprises. Les employeurs et le gouvernement doivent devenir des modèles de réussites et représenter des vecteurs de changement vers une société plus en santé », conclut Pierre Lavoie.