Broken Group Islands : pagayer dans l’aquarium du Pacifique
Imaginez un archipel d’une centaine d’îles et d’îlots, coiffé de pins centenaires et baignant dans des eaux émeraude, où les lions de mer, phoques et autres baleines à bosse servent de cortège aux kayakistes. Bienvenue aux îles Broken Group, un aquarium à ciel ouvert situé dans un proche rayon de l’île de Vancouver.
Presque toujours citée dans les listes des meilleures destinations pour le kayak de mer dans le monde, l’île de Vancouver est un paradis pour les pagayeurs. Facilement accessible en traversier depuis la ville de Vancouver, elle offre un terrain de jeu quasi infini aux amateurs de sports aquatiques, avec ses 3400 km de littoral – l’équivalent de quatre fois l’île d’Anticosti.
Or, il existe une dimension supérieure au paradis : le parc national Pacific Rim et son archipel Broken Group, sur la côte ouest de l’île. Ici, les rêves les plus fous des kayakistes se réalisent. Eaux calmes et limpides, anses de sable fin pour accoster en douceur, lagons peu profonds qui grouillent de vie aquatique, le tout encadré d’un décor sauvage de montagnes côtières et de forêts millénaires.
© Majestic Ocean Kayaking
C’est dans ce cadre idéal que nous avons pris part à un séjour guidé de quatre jours en kayak de mer, l’automne dernier, pile-poil au moment d’une fenêtre météo clémente.
En partant d’Ukie
C’est à Secret Beach, à 20 km au nord du petit port de Ucluelet (Ukie pour les intimes, ou pour ceux qui n’arrivent jamais à prononcer son nom correctement), que nous avons mis les kayaks à l’eau. Inutile de remplir les compartiments avec beaucoup d’équipement, nous aurons le luxe de dormir dans un lodge privé tout confort lors de cette escapade.
Nous donnons nos premiers coups de pagaie dans une baie enveloppée d’une brume épaisse avant de mettre le cap vers de petits îlots rocheux qui libèrent une forte odeur de sapin frais. Quelques minutes après le départ, notre guide nous signale la présence d’un majestueux balbuzard et de deux pygargues à tête blanche en plein vol. Deux secondes plus tard, il plonge la main dans l’eau pour libérer des algues une dizaine d’étoiles de mer violettes et rouge écarlate. Plus loin, des colonies de moules s’accrochent désespérément aux rochers face aux assauts incessants des vagues.
Nous naviguons lentement, très lentement, tellement il y a de choses à voir sous l’eau et dans le ciel. Puis, ce sont les jumelles sur le nez que notre guide nous pointe du doigt la surface de l’océan. Il a repéré le souffle de baleines à bosse au loin et nous explique qu’elles ont l’habitude d’emprunter le Barkley Sound et son dédale d’îles comme voie de passage protégée le long de la côte ouest de l’île de Vancouver.
© Majestic Ocean Kayaking
C’est encore tout étourdis par ce spectacle sensationnel de la nature que nous débarquons au Broken Islands Lodge, accessible seulement en bateau ou en kayak, sur le site d’une ancienne station baleinière. Des campagnes de fouilles archéologiques ont montré que, bien avant l’arrivée des Européens, environ 8000 membres de la Première Nation Tseshaht occupaient les îles et vivaient de la récolte des fruits de mer et de la chasse à la baleine.
Les vestiges d’un mammifère marin ont même été retrouvés avec une coquille de moule plantée dans le crâne, indiquant ainsi la méthode de chasse utilisée à l’époque. De nos jours, la baleine fait toujours partie d’une liste de big five de Colombie-Britannique, cinq espèces emblématiques que les touristes cherchent à observer en safari animalier. Avec les baleines à bosse et les pygargues à tête blanche croisés plus tôt, nous en avons déjà cumulé deux sur cinq aujourd’hui. Sans compter une visite inattendue en soirée…
Devine qui vient dîner?
© Parcs Canada / Josh McCulloch
Alors que j’étais en train de profiter du coucher de soleil dans le bain à remous – le grand luxe, disais-je! –, j’entends la propriétaire du lodge me crier depuis la terrasse : « Attention, quand tu sortiras du jacuzzi, il y a une maman ourse et ses trois petits qui mangent des algues sur la plage, un peu plus bas! »
Mes yeux ébahis contrastent clairement avec son ton de voix plutôt flegmatique. « Ils viennent tous les jours se nourrir dans les environs, poursuit la proprio. Il faut prendre ses précautions, bien sûr, mais ils ne sont pas agressifs, ils sont habitués aux humains. »
Inutile de préciser que j’ai attendu que ces gourmets plantigrades aient terminé leur buffet de fruits de mer avant d’oser mettre un pied hors de l’eau chaude.
Dans les jours qui ont suivi, nous avons sillonné l’archipel en kayak de mer à raison de 10 à 20 km par jour, entre les îles. Chacune d’elles a son charme, chacune d’elle se distingue en fonction de sa forme et de la végétation qui la recouvre. Celles qui sont en bordure de l’archipel sont plus rocheuses, avec des sapins rabougris et penchés par les vents forts du Pacifique. Elles servent de barrière naturelle aux îles paradisiaques du cœur de l’archipel, composées de plages de sable blanc et de criques colorées par les étoiles de mer, les oursins et les algues bariolées. Les rayons du soleil percent la surface de l’eau et éclairent cette vie aquatique grouillante digne des plus beaux aquariums de la planète.
Autre raison qui explique que les îles Broken Group sont si fascinantes, c’est l’histoire et la culture des Premières Nations, encore bien visibles sur ce territoire. J’ai l’occasion d’en apprendre plus lors de la rencontre avec Hank et Shane, deux beach keepers issus de la communauté Tseshaht et employés par Parcs Canada pour la gestion de l’archipel et l’éducation des visiteurs. Ils profitent de leur tournée des îles en bateau pour s’arrêter raconter les légendes ancestrales de leur peuple aux kayakistes de passage.
La plus sacrée d’entre toutes est celle qui porte sur la création des îles. Autrefois, raconte-t-on, le peuple Tseshaht vivait sur une seule et même grande terre, mais les conflits régnaient entre les familles et causaient des batailles entraînant parfois la mort. Dieu a alors décidé de faire exploser le territoire en centaines d’îles afin que chaque famille ait son propre domaine et que chacun puisse enfin vivre en paix. Ainsi sont nées les Broken Group Islands.
© Parcs Canada / Scott Munn
De nos jours, les îles sont inhabitées et protégées par le parc national Pacific Rim. Il est possible de s’y rendre à la journée en kayak, en planche à pagaie ou en bateau à voile ou à moteur. On peut aussi y séjourner plusieurs jours en camping, à la façon de Robinson Crusoé, mais également en lodge ou dans plusieurs chalets rustiques qui seront inaugurés en 2022. L’avantage du lodge est sans contredit d’avoir accès à une bonne douche chaude le soir, à un repas concocté à base de produits locaux et aux veillées à la guitare face aux îles colorées par le soleil couchant.
Le dernier soir de notre expé, les deux derniers représentants de nos big five de Colombie-Britannique nous ont offert tout un spectacle sous la lune montante. Un phoque et un lion de mer se sont lancés dans un ballet aquatique des plus amusants, au pied du quai du lodge. Réputés pour ne pas être peureux, ils ont joué à se poursuivre dans l’eau pendant une bonne heure sous nos yeux envoûtés. Mais les îles Broken Group nous réservaient le clou de la soirée une fois le ciel totalement noirci.
Dans l’eau sombre de la baie, les vaguelettes portées par le vent se sont mises à scintiller de mille feux. Ce phénomène de bioluminescence assez rare est réellement fascinant à observer. Le rêve ultime? Embarquer dans son kayak et créer des nuages étincelants à chaque coup de pagaie dans l’eau. Impossible de ne pas ainsi se croire au beau milieu d’une légende amérindienne.
Pratico-pratique
S’y rendre : au départ de Vancouver, prendre le traversier entre Horseshoe Bay et Nanaimo, puis compter 2 h 45 de route jusqu’à Ucluelet.
Où dormir : au lodge, en chalet, en camping.
Forfaits guidés : Majestic Ocean Kayaking propose plusieurs forfaits guidés (d’une ou plusieurs journées) dans le parc national Pacific Rim. Le séjour glamping de quatre jours/trois nuits auquel notre journaliste a participé comprend le transport jusqu’à la mise à l’eau, l’équipement nautique, l’hébergement, tous les repas et le guide (1880 $ + taxes). oceankayaking.com
Info : vancouverisland.com, hellobc.com et pc.gc.ca/en/pn-np/bc/pacificrim
L’auteure était l’invitée de Majestic Ocean Kayaking.
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