Skier au cœur du Caucase
C’est soulagés que nous arrivons finalement à notre auberge. Après un tête à queue en bonne et due forme de notre chauffeur de taxi, de nombreuses collisions évitées de justesse avec des vaches, de multiples virages en épingle sur une route enneigée et sans aucun garde-fou, nous voilà enfin à Gudauri. Je suis accompagné d’un ami, Alexis, et de mon père – Richard – pour ce premier voyage au Caucase. Avec une altitude de plus de 1 900 m, Gudauri s’avérait un choix naturel comme camp de base pour amorcer notre périple.
Ce petit village de montagne, hôte de la station de ski du même nom, est l’épicentre du ski en Géorgie. Bien qu’il ne soit pas reconnu pour son potentiel skiable, ce pays partage la chaine du Caucase avec la Russie. Cette immense chaine de montagnes n’a pourtant rien à envier aux Alpes. En plus d’abriter le mont Elbrouz, la plus haute montagne en Europe, elle s’étend sur près de 1 100 km et sur une largeur de 160 km.
Alors que nous débarquons nos bagages, déjà une cinquantaine de centimètres de neige couvre le sol et les flocons qui emplissent le ciel tombent toujours abondamment. Notre première journée de ski en station fut encore meilleure que dans les livres : ciel bleu, pas de vent et peu de skieurs sur les pentes. Excités comme des enfants, nous enchainons les descentes dans des conditions exceptionnelles!
Construite sur les pentes du mont Sadzele, la station est un curieux mélange de modernité et d’enracinement dans la culture locale. À côté des zones d’embarquement des remontées mécaniques flambant neuves se trouvent de petites cabanes qui abritent de vieilles dames vendant des souvenirs tricotés à la main ou de la bière aux touristes.
Au cours de la journée, nous rencontrons un groupe de joyeux lurons français qui nous recommande d’aller visiter un monastère situé de l’autre côté de la vallée, laquelle offre de belles possibilités de ski.
Les trois moines résidant au monastère semblent fort heureux de notre présence et nous invitent à les rejoindre à l’intérieur. L’endroit qu'ils partagent est plutôt exigu, mais nous nous installons tous les six autour du petit poêle à bois. Comme aucun d’entre eux ne parle vraiment bien ni anglais ou français, nous devons nous rabattre sur un peu de russe, d’allemand, et sur un dictionnaire anglais-géorgien. Mais nous faisons beaucoup de mimiques et de gestes afin de nous faire comprendre!
Deux des moines n’ont pas quitté le monastère depuis plus de deux ans. Ils ne sont pas coupés pour autant de la civilisation puisqu’ils reçoivent fréquemment des visiteurs et qu’ils peuvent communiquer par cellulaire à partir de leur monastère! Après nous avoir offert du thé et des biscuits, ils finissent par sortir du vin rouge ainsi que du whisky que des pèlerins leur apportent. Les échanges deviennent de plus en plus cordiaux au fur et à mesure que se vident les verres! Nous devons même les arrêter de remplir nos verres afin de pouvoir effectuer la descente en toute lucidité!
Les jours suivants, nous explorons plus en profondeur le terrain accessible en ski hors-piste à partir de la station de ski. Du sommet de la station, il est possible d’effectuer des descentes de plus de 1 700 m de dénivelé jusqu’à une route en lacet donnant derrière la station. De là, avec un peu de patience et le pouce pointé vers le ciel, il est possible de se faire embarquer afin de revenir à Gudauri.
Le terrain est tout simplement immense et n’est exploité que par une petite poignée d’étrangers comme nous, venus pour profiter de ce que les gens du coin laissent complètement intouché! Après avoir passé deux jours à skier une infime partie du potentiel du ski hors-piste à partir de la station, nous décidons de partir vers Stepantsminda, ville située un peu plus au nord d’où il est supposément possible de faire des sorties à ski.
Notre trajet entre Gudauri et notre nouvelle destination se fait à l’intérieur d’une Lada Niva ayant certainement connu de meilleurs jours! Alors que nous traversons des tunnels aucunement éclairés et que nous croisons des voitures tous phares éteints et que notre chauffeur évite dans un impressionnant slalom les nombreux nids-de-poule, j’en suis à croire que la partie la plus dangereuse de ce voyage n’est pas liée au ski, mais au transport en auto!
Nous finissons par arriver à destination où notre hôtesse, Nadzi, nous accueille avec un anglais approximatif, mais très fonctionnel. Nous sommes ses premiers clients de l’année. Sa bonne humeur et son accueil chaleureux parviennent presque à nous faire oublier qu’il ne reste pratiquement plus de neige au sol. Pour ajouter à notre malchance, il se met à pleuvoir plus tard en soirée.
Ce plan n’enchante guère Nadzi puisqu'à la suite des derniers épisodes de pluie, de très grosses avalanches sont descendues sur la route. Nous décidons donc de partir tôt le matin afin de profiter de la froideur et d'éviter le réchauffement et les cycles d’avalanche naturels qu’il entraine.
La route n’est pas ouverte jusqu’à Juta en hiver. À partir d’où la route cesse d’être déneigée, une randonnée de 15 km et une ascension de près de 500 m nous attendent. Nous comprenons mieux la crainte de Nadzi et la raison pour laquelle la petite route n’est pas déneigée en hiver alors que nous traversons les multiples couloirs d’avalanche. La pluie des derniers jours a déclenché des coulées de neige ayant déposé par endroit plus de trois à quatre mètres de neige sur la route.
Nous nous rendons sans problème jusqu’au village où Soso, notre hôte, nous attend patiemment. Nous comprenons rapidement que notre dictionnaire ainsi que nos meilleures mimiques seront nécessaires!
Sa femme, Katuna, nous montre avec fierté notre chambre. Sous leur maison se trouve l’étable où leur troupeau d’une vingtaine de vaches passe la nuit. Elles peuvent ainsi chauffer un peu la maison!
Le village est minuscule et semble tiré d’une autre époque. Il n’y a que 18 habitants à Juta et ils sont dans de petites maisons rapiécées qui ont subi les effets du temps. Nous chaussons nos skis à côté d’un cheval qui se fout éperdument de notre présence pour aller faire quelques virages avant le souper sur la petite montagne surplombant Juta.
Autant le potentiel skiable de Stepantsminda était décevant, autant celui de Juta est impressionnant. Le village est ceinturé par des couloirs, bols et arêtes et peut satisfaire n’importe quel skieur pendant des semaines.
Puisqu’il n’y a aucune nourriture fraiche qui est transportée durant l’hiver à Juta, l’alimentation provient principalement des troupeaux, de produits laitiers, de pain, de viande, de pâtes et de conserves. Malgré toute l’ouverture d’esprit dont on doit faire preuve, il est quand même surprenant de se faire servir un macaroni au fromage avec de la choucroute et des cornichons pour déjeuner!
Nous passons nos soirées à échanger du mieux que nous pouvons avec nos hôtes. Leur vie quotidienne ressemble étrangement à celle de nos fermiers, à la différence près qu’ils n’utilisent aucune machinerie pour réaliser les diverses tâches liées au maintien de leur troupeau et qu’ils se servent d'outils datant du siècle dernier.
Nous quittons Juta après seulement trois jours. Un nouvel épisode de pluie est prévu et nous ne voulons pas traverser les nombreux couloirs d’avalanche avec des conditions instables. Nous sommes donc repartis au matin alors que la pluie arrivera en après-midi. Une imposante avalanche a d’ailleurs été déclenchée et a bloqué la route que nous comptions prendre. Après un peu plus d’une heure d’attente, la police a fini par mentionner que des travailleurs ont pu dégager les débris.
Tous les chauffeurs courent alors vers leur voiture et démarrent en trombe! Le nôtre ne fait pas exception et se met à dépasser furieusement toutes les autos qu’il peut. Les dépassements se font fréquemment à trois voitures de large, comme si un trophée attendait les pilotes au bout de la route! Tandis que notre chauffeur réalise un énième dépassement en klaxonnant, je suis enfin convaincu que le transport en taxi est la partie la plus dangereuse du voyage!
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Evans Parent est un skieur-globetrotteur commandité par Outdoor Research, Scarpa, Prana, Rottefella, Gregory et K2 Skis. Vous pouvez suivre ses dernières aventures sur son blogue au snowchasers.blogspot.ca