Course à pied : une question de rythme
La course à pied, c’est comme la musique : tout est dans le rythme! C’est pourquoi tant de coureurs se branchent sur leur musique favorite quand ils sortent.
Qui dit rythme, dit cadence et régularité. Le célèbre auteur marathonien japonais Haruki Murakami, qui court toujours avec de la musique dans les oreilles, écrit :
« Pour poursuivre une activité, il faut conserver son rythme. Ce qui est particulièrement important pour des tâches de longue haleine. Une fois que vous tenez le bon rythme, tout va bien. Mais avant que le volant d’une machine ne se mette à tourner à une vitesse constante, de manière sûre, il faut beaucoup d’efforts, ni trop, ni trop peu, pour parvenir à cette obstination, cette régularité dans l’effort. »
Bien dit, n’est-ce pas? Le premier « effort » que tout coureur doit fournir, c’est de nourrir sa passion et son intérêt pour la course de manière à s’entrainer avec régularité. Il faut donc courir au moins trois fois par semaine et en arriver au rythme de quatre sorties hebdomadaires en s’efforçant de ne jamais laisser passer plus de deux jours sans entrainement. Bouger ainsi de manière régulière est le premier gage de succès et de progression en course à pied, même si votre rythme est lent ou que la distance parcourue est minime. Celui qui court régulièrement, même à basse vitesse, finira tôt ou tard par aller plus vite et plus loin que celui qui s’entraine fort, mais irrégulièrement.
La clé pour y arriver est de tenir « le bon rythme », de manière à « garder intacte pour le lendemain la jubilation qu’éprouve mon corps aujourd’hui », dixit Haruki Murakami. En d’autres mots, rester un peu sur sa faim, ne pas en faire trop, garder le plaisir ou encore, comme le disaient si bien nos mères : « en garder pour demain! »
Une allure régulière – garder le rythme.
La meilleure façon d’arriver à franchir une distance qui représente un défi ou de le faire en un temps donné est de courir à un rythme régulier. En fait, on juge souvent de la qualité d’une course en comparant les temps de passage à chaque demie du parcours. Une deuxième moitié franchie dans le même temps ou en un temps légèrement inférieur est le signe d’une bonne gestion de sa course. Deux exemples illustreront l’importance de garder un rythme régulier en course à pied :
1. Les lapins « positifs »
On trouve dans la plupart des grands événements de course de fond, des lapins : c’est-à-dire des coureurs expérimentés qui offrent de piloter un groupe de coureurs jusqu’au fil d’arrivée en un temps donné. Ils savent gérer le rythme de la course et agissent comme des métronomes ou des chefs d’orchestre pour amener les coureurs au bout de la partition. Ils préviennent les ralentissements ou les accélérations indues qui briseraient le succès de la progression tout en modulant l’exécution en fonction des variations de terrain et de conditions.
On voit le même phénomène sur la piste, quand des coureurs de championnat cherchent à établir une marque, réaliser un standard ou battre un record. Ils engagent un lapin (oui, il existe des « lapins professionnels » qu’on engage pour les compétitions de haut niveau!). Ce « lapin » établira le rythme et entrainera l’aspirant à franchir les premiers tours de piste aux temps de passage prévus avant de quitter la piste et le laisser sur sa lancée avec une chance de réaliser son exploit.
2. Les lapins… comme dans « poser un lapin »
En cross-country, il n’est pas rare que les équipes soient composées de sept membres, mais qu’au final, seul le rang des cinq premiers soit homologué pour le titre. Une tactique vieille comme le monde veut qu’un des coureurs d’une équipe soit désigné comme « lapin », mais qu’il agisse dans le sens de « poser un lapin » aux autres coureurs. Sa tâche sera de briser le rythme de la compétition, de tenter une poussée ou des échappées ou alors de relever le rythme de la compétition dans le but d’entrainer les membres des équipes adverses à le suivre et les affaiblir. Littéralement, il leur « pose un lapin », car au moment choisi, il n’est plus de la partie et ses coéquipiers, restés à l’abri de ces changements de rythme, peuvent attaquer l’équipe adverse, que l’on suppose affectée par les assauts du lapin. À des degrés moindres, on voit la même chose dans les compétitions, quand parfois certains coureurs utiliseront les mêmes tactiques pour semer la confusion et tenter de déstabiliser les adversaires.
Apprendre à courir à un rythme régulier
Le meilleur endroit pour apprendre à courir à un rythme régulier est sans contredit la piste. Nous encourageons tous les coureurs à faire un tour, régulièrement, au cours de leurs entrainements pour y faire quelques tours. L’ovale de 400 mètres, mesuré au centimètre près, constitue un terrain de jeu fantastique pour apprendre à courir à un rythme donné. Courir à six minutes le kilomètre exige que vous passiez chaque marque de 100 mètres toutes les 36 secondes par exemple.
Amusez-vous. Faites le calcul au préalable de vos temps de passage, 36 secondes au 100 mètres, 1 m12 s au 200; 1 m 48 s au 300 et 2 m 24 s au 400. Préparez vos temps de passage sur quelques rythmes qui font partie de votre régime d’entrainement et apprenez dans vos jambes, dans votre foulée et dans votre souffle à courir de manière à mettre le pied sur la ligne tracée à chaque 100 mètres précisément sur les temps de passage ciblés. Apprenez à gérer les vents de dos et de face pour maintenir le rythme. C’est l’un des petits secrets qui vous permettront d’économiser beaucoup d’énergie à l’entrainement et de mieux performer en compétition.
Observez-vous à l’entrainement
Quand on commence l’apprentissage de la musique, on constate souvent avec surprise qu’il est plus difficile qu’il n’y parait de maintenir le même rythme tout au long d’une pièce. Il faut apprendre avec un travail assidu au métronome et l’expérience de jouer avec d’autres musiciens pour devenir un artisan du rythme dans toutes ses interventions. Il en va ainsi pour plusieurs coureurs. L’augmentation progressive de l’allure en début d’entrainement, alors qu’on s’échauffe, toute normale qu’elle est, devrait nous conduire progressivement à la vitesse de croisière prescrite au programme d’entrainement. Cependant, celui-ci se déroule plutôt selon une lente et progressive accélération, à partir de l’échauffement jusqu’à l’allure qui correspond à leur « forme du jour ». C’est ce qu’on appelle « courir au feeling ». S’il est bon parfois de laisser montres, chronos et concentration à la maison lors de l’entrainement, il ne faut pas en faire une habitude ou une méthode d’entrainement. La plupart du temps, cela conduit le coureur à suivre un rythme plus rapide que celui que leur programme recommande.
On l’a dit, l’improvisation est bien mauvaise conseillère en matière d’entrainement. Apprendre à reconnaitre et adopter le rythme de course recommandé dans son programme d’entrainement vous évitera de tomber dans ce piège. L’entrainement n’est pas fait pour mesurer ses capacités ni pour se prouver que l’on peut courir plus vite! On réserve cela pour la compétition. Apprendre à courir à une allure régulière et au bon rythme rehaussera la qualité de vos entrainements et le plaisir que vous en retirerez tout en vous préparant à « tenir le coup » et réussir à faire une deuxième partie de parcours plus rapide que la première en compétition. Vous deviendrez un meilleur coureur!
Rythmes à l’entrainement et rythmes en compétition
Les temps réalisés en compétition servent de balises pour déterminer les bons rythmes qu’il faut suivre à l’entrainement. Mais ces temps ne constituent pas des rythmes d’entrainement en tant que tels. Les entrainements ne se font que partiellement au rythme de la compétition et selon un dosage que prescrivent les programmes d’entrainement. Quand on réussit un record personnel sur une distance donnée, c’est que cette performance a été précédée d’un entrainement spécifique de plusieurs semaines, combinant le travail en endurance fondamentale avec du travail en intensité dont le dosage a été progressif et bien articulé.
De plus la performance survient après une période d’affutage au cours des dernières semaines, caractérisée par le repos et l’assimilation de tous les effets de l’entrainement. Peu importe le programme d’entrainement que vous choisissez de suivre, respectez à la lettre les rythmes d’entrainement que l’on vous propose et apprenez à le faire durant les entrainements. C’est une des clés du succès pour tous les coureurs, peu importe leur niveau.
En courant à une allure régulière, et au bon rythme, vous profiterez de tous les bénéfices de vos entrainements et vous mettrez la table pour de meilleures performances. Les mots « entrainement » et « compétition » resteront comme de la musique à vos oreilles! Tant mieux puisqu’en course à pied, tout est question de rythme!
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Jean-Yves Cloutier est l’entraineur-conseil du marathon de Montréal et Michel Gauthier est journaliste indépendant. Ils sont les coauteurs du livre Courir au bon rythme, paru aux Éditions La Presse.