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  • Crédit: Howard Sandler

Le Soyer du Québec : la mauvaise herbe qui remplacera le duvet!

C’est l’histoire d’une découverte. Ou plutôt d’une redécouverte : une plante considérée comme une mauvaise herbe, mais qui pourrait bien faire renaitre l’industrie textile québécoise et révolutionner le milieu du vêtement de plein air!

Son nom scientifique : asclepias syriaca. Son nom de scène : l’asclépiade. Cette plante pousse un peu partout dans la province, peuplant notamment les bords d’autoroute. Il s’agit d’une mauvaise herbe qui envahit les champs et qui est arrachée par les agriculteurs. Très longtemps affublée de sobriquets peu flatteurs comme « petit cochon » ou « langue de vache ». Autrefois, l’asclépiade était utilisée par les populations amérindiennes pour se soigner et dans la confection de vêtements. Au 18e siècle, Louis XV, roi de France et de la Nouvelle-France, portait des habits chauds fabriqués à partir de cette plante, baptisée à l’époque « la soie d’Amérique ». Son usage a disparu avec la conquête britannique, alors que l’Empire colonial regorgeait de soie et de coton. La plante tomba alors en désuétude et sa culture fut abandonnée.

En 2011, un nouveau chapitre de l’histoire de l’asclépiade s’ouvre. François Simard, ingénieur en textile, va en faire la connaissance : « Je travaillais comme consultant dans le développement des fibres naturelles, telles que le chanvre ou le lin. Un ami, expert en textile, a découvert l’asclépiade, qui produit beaucoup de fibre chaque automne ». Il l’étudie, effectue des tests et découvre des propriétés très intéressantes : une grande capacité isolante et thermique grâce à une fibre creuse, d’un diamètre total de 25 micromètres, dont seulement 1,25 micromètre pour l’épaisseur de la paroi du tube. La matière ne représente ainsi que de 10 % de la fibre, le reste est de l’air. « La chaleur provient à la fois de l’air entre les fibres mais aussi de l’air emprisonné à l’intérieur de chacune d’elles. C’est une particularité quasi unique dans le monde des fibres naturelles », révèle François Simard.

Autres qualités intéressantes : son caractère hydrophobe (qui repousse l’eau) et son absorption efficace des huiles et des produits pétroliers. Cette plante possède également des vertus écologiques. Grâce à un système racinaire très développé, elle pousse sur des terres peu fertiles, sans engrais ou fertilisant. Pas besoin de système d’irrigation : l’eau de pluie suffit à cette plante qui n’exige pas d’être replantée chaque année. En outre, elle est vitale pour la survie du papillon monarque qui utilise l’asclépiade pour se nourrir et se reproduire.

Crédit: Milkweed Pod

Agriculteurs, un alpiniste et Chlorophylle

Convaincu du potentiel industriel, économique et écologique de l’asclépiade, François Simard décide de frapper aux portes des compagnies pour en augmenter la production : « Aucune n’avait la capacité de travailler cette fibre trop légère et volatile, qui se confine mal. Il fallait que l’on s’en occupe nous-mêmes! Cela représente aussi une opportunité incroyable : celle d’apporter une réponse à la déconfiture de l’industrie du textile au Québec et d’en rapatrier un bout. »

Le défi est de taille : construire toute la chaine d’approvisionnement afin de créer une filière 100 % québécoise. Cette phase de développement a pris quatre ans à François Simard et à sa compagnie Protec-Style. Il a fallu d’abord convaincre les agriculteurs de cultiver une plante qu’ils prenaient pour une mauvaise herbe. « Ce fut le plus gros challenge. Faire pousser une mauvaise herbe, c’est contre nature pour un agriculteur! Heureusement, il y a eu Daniel Allard, que j’ai convaincu et qui a réussi à en convaincre d’autres ». Une vingtaine de cultivateurs se sont regroupés autour d’une structure commune, la coopérative Monark pour cultiver l’asclépiade, désormais produite sous le nom de « soyer du Québec ». La coopérative est chargée de gérer la production en lien avec les agriculteurs qui fourniront les follicules. Victime de son succès, elle doit aujourd’hui placer les demandes sur liste d’attente!

Toujours dans cette volonté de créer une chaine d’approvisionnement, deux autres entreprises québécoises ont embarqué dans le projet : Encore 3, fondée par François Simard et basée à Granby, intervient comme extracteur de la fibre du reste de la plante et Fibre Monark, entreprise liée à Encore 3, chargée de fabriquer l’isolant et d’approvisionner les entreprises qui souhaiteraient l’utiliser dans leurs produits.

Une fois cultivée, extraite et transformée, encore fallait-il trouver un manufacturier pour incorporer la fibre dans ses vêtements. Jean-François Tardif, président d’Archimed Medical, rencontre François Simard à l’automne 2013 et tombe par hasard sur le soyer. « Il m’a expliqué les propriétés de cette fibre, mais quand il m’a parlé de l’impossibilité de la mouiller, j’ai tout de suite allumé sur son potentiel! » Alpiniste amateur et expérimenté, Jean-François Tardif a notamment atteint le sommet du Cho Oyu (sixième plus haute montagne avec 8 201 m) et de l’Aconcagua (6 962 m) à deux reprises. « J’ai immédiatement compris qu’il fallait en faire quelque chose dans le domaine du plein air. Je connais des gens dans cette industrie et je pouvais faire le lien et tisser un maillage entre ces deux mondes ». Profitant de son réseau, il met en relation François Simard avec la marque québécoise de vêtement de plein air Chlorophylle. « C’est un projet qui nous rejoignait totalement. Une solution alternative, écologique et entièrement naturelle », assure Marc Tremblay, le président de la compagnie basée à Chicoutimi. 

La nouvelle structure construite autour de la filière du soyer du Québec est soutenue par le gouvernement québécois à travers le programme ACCORD, un programme régional de financement et de soutien des entreprises innovantes. « Nous supportons ce type de projet en finançant 40 % des couts admissibles », explique Ghislain Bouchard, chargé de ce programme pour le gouvernement du Québec. « Si cela fonctionne, cela aboutira à la création d’un produit 100 % québécois, d’une filière québécoise et des emplois au Québec! ». Entre 250 et 300 emplois selon ses estimations, avec notamment la construction d’une usine de première transformation. « Par le passé, on a perdu beaucoup d’entreprises qui sont parties en Inde et en Chine. Il faut se réapproprier cette industrie, cette chaine de transformation en faisant du soyer du Québec une fibre noble. » Un point de vue partagé par Marc Tremblay de Chlorophylle : « Comme la majorité des joueurs dans le textile, nos vêtements sont fabriqués en Asie. On essaye de ramener une portion importante au Québec chaque année. C’est un défi, car toute l’industrie a été délocalisée. Il faut travailler à remettre tout cela en place! »

Crédit: Daniel Prudek

Le soyer sur l’Everest en 2016

De ce lien tissé entre l’ingénieur, l’alpiniste et le manufacturier, est né le projet Himalaya : celui de tenter l’ascension de l’Everest (8 848 m) avec de l’équipement et des vêtements fabriqués à base de soyer du Québec. « J’avais carte blanche pour le choix de la montagne, indique Jean-François Tardif. Mais c’était important que ce soit à 8 000 mètres. Mais au Québec, le seul mont connu du grand public, celui qui marque les esprits, c’est toujours l’Everest. Pour les alpinistes, cela pourrait être une innovation majeure : habituellement, si l’on mouille notre duvet, c’est terminé puisqu’il n’isole plus et on doit rentrer. Et les produits synthétiques sont lourds et moins compressibles. Avec le soyer, une fibre légère et chaude, on pourrait diminuer le nombre de vêtements nécessaires et réduire le poids que l’on apporte sur la montagne ». Avant d’atteindre le Toit du monde, Jean-François Tardif testera la technologie sur les pentes moins engageantes, mais tout aussi froides du mont Lafayette en mars 2015. « Cette montagne, très venteuse, est l’une des plus froides d’Amérique du Nord. Ce sera un maudit bon test! »

Un test grandeur nature avant d’envisager sérieusement l’intégration du soyer dans une ligne complète de vêtements de plein air. « Présentement, Chlorophylle intervient à court terme comme soutien technique pour trouver la bonne recette isolante afin que Jean-François soit en mesure d’affronter les pires conditions », rappelle Marc Trembay. Mais à plus long terme, on espère se servir de cette fibre comme isolant pour l’intégrer dans nos vêtements ou même nos tricots. On pense que le marché va réagir positivement. Notre objectif est d’être le porteur de ballon, le missionnaire pour que d’autres embarquent afin d’en faire un standard de l’industrie. Chlorophylle est un petit joueur, mais on prônera assurément l’utilisation de cette fibre ». La compagnie et François Simard ont d’ailleurs signé une entente d’exclusivité, mais seulement pour un temps limité. Le président d’Encore 3 confie ainsi qu’il accueillera d’autres manufacturiers et compagnies à bras ouverts.

Donc, à quand la commercialisation du soyer du Québec dans des vêtements de plein air? « Difficile de donner un échéancier précis, répond Marc Tremblay. Je dirais dans un horizon de trois à cinq ans. Il reste encore des problèmes à résoudre. C’est une fibre excessivement volatile et surtout hydrophobe. Brute, les gens ne pourraient pas la laver, car elle flotte. Il a fallu penser à la transformer sous une autre forme pour rendre possible l’entretien. Il nous reste aussi à passer de l’étape de prototype à la production et aussi à valider les hypothèses avec des faits! » La question du prix reste aussi à déterminer : « Ce ne sera pas un produit moins cher que ce qui existe déjà sur le marché. Actuellement, ce sont les duvets qui sont les plus dispendieux. On essaye de voir où l’on va positionner le soyer dans l’échelle des prix. Il va falloir arriver avec une bonne stratégie et être convaincant, mais le fait que ce soit un produit du Québec ne peut que nous aider », explique Marc Tremblay.

Pour Jean-François Tardif, il ne se fait aucun doute du succès de la fibre auprès du grand public : « On va avoir des vêtements de plein air plus chauds, plus légers, plus compressibles, capables d’affronter le froid et la pluie. Ça va faire un tabac! » On n’a donc pas fini d’entendre parler du soyer du Québec et de nombreuses pages de l’histoire de l’asclépiade restent encore à écrire!

Commentaires (4)
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Jac - 01/03/2015 11:09
Oups !

Vous aviez déjà pensé à l'utilité de la culture de l'asclépiade pour la survie du monarque...(J'avais sauté ce passage). La question qui se pose...comment pensez-vous vous accommoder de la présence des chenilles du monarque dans vos cultures ?
Jac - 01/03/2015 10:59
Bonjour,
ce sera très bien si vous réussissez à concrétiser votre projet. Vous contribuerez à redonner ses lettres de noblesse à une plante mal connue mais très importante pour la survie du monarque, ce papillon menacé d'extinction dont la chenille se nourrit exclusivement des feuilles de l'asclépiade. La culture de l'asclépiade pourra-t-elle être compatible avec un projet de sauvegarde du papillon monarque ?
Lavabo - 23/02/2015 08:24
Fait toi un oreiller avec, rien de plus facile a recolter dans les champs.
Le plus difficile est de separer le chaton des graines. Un sac de tissu avec balle de golf dans une secheuse et ensuite a la main... ensuite tu te bourre un petit oreiller et tu verra pour tes allergies...
pagespa - 20/02/2015 20:47
BRAVO! J'ai bien hâte de vérifier si cette nouvelle fibre demeurera assez naturelle pour qu'elle ne me cause pas d'allergie... Ma peau ne supporte aucun tissu synthétique... Je lirai la suite avec grand plaisir!