Ma pire descente de rivière
Avril 2003. Rivière Rouge. Section du canyon Harrington. Je m'étais mis en tête de commencer la saison en douceur. En voici le récit.
Jean-François, notre guide, me demande quel est mon niveau de pagayeur. Je réponds que je suis débutant, mais que je connais cette section de rivière pour l’avoir parcourue deux fois l’année précédente à eau basse (45 m/s). Ensuite, on me demande si je suis capable de bien faire l’esquimautage. Je réponds que je ne réussis pas à chaque fois et bla-bla-bla… Bon, et puis bof.
Cette journée-là, le débit est de 300 m/s. Jean-François propose de ne pas faire de reconnaissance, mais j’insiste pour que nous en fassions une. Après avoir vu l’entrée du canyon et gonflé d’adrénaline, j’enfourche mon kayak. Après tout, une fois le canyon passé, le reste sera de la tarte.
Nous reprenons notre souffle à mi-chemin de ce premier rapide. J’ai peine à garder mon corps sur le kayak dans ces eaux troubles et omniprésentes. La rivière n’a rien à voir avec celle que je croyais connaître. À cet instant précis, j’aurais bien aimé faire demi-tour. N’ayant pas d’autres options (puisque pris au piège), je m’engage dans cette finale du canyon formé par deux vagues. Dès la première, je perds le contrôle. La deuxième, qui fait environ 18 pieds de hauteur, je ne l’ai jamais vue!
Je croyais que le pire était passé, mais j’entreprenais à peine ma pire descente de kayak. J’étais confiant en m’engageant dans la seconde partie du rapide : la consigne était que je suive Jean-François jusqu’à un premier contre-courant à gauche.
La rivière déchaînée frappait non pas sur le roc habituellement en bordure de la rivière, mais carrément dans la forêt! Les rives étaient composées d’arbres, de branches et de roc. Le profil lointain de la rivière était incompréhensible pour un pagayeur inexpérimenté comme moi. Je n’y voyais qu’une suite de rouleaux parsemés de façon aléatoire avec des enchevêtrements de vagues toutes plus énormes les unes que les autres. La vitesse à laquelle l’eau dévalait était effarante et la pente de la rivière me paraissait extrêmement abrupte.
J’ai bravement cavalé sur cinq à six vagues qui variaient entre huit et dix pieds de hauteur et en mesuraient autant de long. La rapidité avec laquelle le débit frappait les rives influençait directement la forme des vagues au centre de la rivière. Alors que j’étais en montée vers le sommet d’une vague, je me suis fait prendre en sandwich par deux déflagrations provenant des rives. S’en était fait de moi. La tête sous l’eau, je fis une courte tentative d’esquimautage… sans succès.
Je parcourais maintenant le rapide à la nage. J’ai agrippé mon kayak et ma pagaie avec la main gauche et faisais des brasses du bras droit. Je souhaitais rejoindre la rive de cette façon. Mais après un rapide coup d’œil du sommet d’une vague, j’ai abandonné mon kayak, préférant sauver ma vie. Avec l’aide de Denis, un « remorqueur » téméraire, ma progression vers la rive allait bon train. J’ai jeté un second coup d’œil en aval : j’ai rapidement réalisé que je compromettais mon remorqueur. J’ai donc lâché cette prise et entrepris une nage dorsale.
Livré à moi-même, je me voyais périr si je n’agissais pas. Terrifié, je me suis donné un objectif sur la rive… que je ne parvins pas à atteindre. Avec une nage agressive et un nouvel objectif en tête, je décide de tout donner. Heureusement, j’ai enfin touché des roches avec mes mains en bordure de la rive. Mais le fort courant m’empêche de prendre prise. La rive réelle n’est maintenant qu’à deux ou trois pieds de moi. Exténué, après avoir tenté d’agripper environ sept roches, je réussis enfin.
Épuisé, les conséquences fâcheuses de ma décision de cette journée resteront gravées en moi : je n’ai pas respecté la rivière et elle a décidé de me donner un sérieux avertissement. Depuis cette mésaventure, je vérifie le niveau des rivières avant de m’y aventurer. Je fais également de longues reconnaissances…!