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  • Crédit: Jean Lemire

Carnet de bord Mission Antarctique n.5 : l’heure du bilan

« Nous n’avons pas eu d’hiver! » C’est le constat alarmant de Jean Lemire, de retour de la mission qui visait à étudier l’hiver antarctique. Après 430 jours d’expédition, l’équipe du voilier SEDNA IV rentre au Québec avec plus de 600 heures d’images, autant de preuves irréfutables que le climat de la planète est en pleine transformation. Premier bilan par le chef de mission.

Pour être en mesure de témoigner des changements en cours, nous avons choisi d’explorer le secteur ouest de la péninsule antarctique, l’endroit de la planète qui s’est le plus réchauffé au cours des cinquante dernières années. Au plan personnel, nous avons décidé de tout laisser derrière, de nous abandonner complètement pour devenir vos yeux en cette terre de glace méconnue. Nous avons osé l’hivernage dans des conditions extrêmes d’isolement pour documenter l’hiver antarctique, la période de l’année la plus affectée par les changements climatiques. Avec la collaboration des grandes organisations scientifiques internationales, installées dans différentes bases scientifiques autour de la péninsule, il est maintenant possible de dresser un premier bilan de la situation climatique de ce secteur difficilement accessible en hiver.

     

La Mission n’est pas finie

Crédit: Martin Leclerc

Si la Mission est terminée sur le terrain, de nombreux événements sont à l’agenda, tant culturel que politique.

Les 600 heures d'images réalisées au cours de cette expédition donneront naissance à des films et séries télévisuelles dans le cadre de l'Année internationale polaire de 2007-2008.
Un long-métrage pour le cinéma devrait voir le jour à l'automne 2007, suivi d'une série de trois émissions d’une heure à Découverte, à la télévision de Radio-Canada. En 2008, une série de 13 émissions retraçant toutes les grandes étapes de l'expédition du SEDNA IV sera également diffusée sur les ondes de RDI et Radio-Canada. Enfin, une tournée de conférences débutera en février prochain (Chicoutimi) dans différentes villes du Québec.

Tous les détails sur le site de la mission : sedna.tv



Sur la scène politique, le chef de Mission Antarctique, Jean Lemire, a déjà entrepris une série de consultations avec les dirigeants politiques pour les conscientiser à la problématique des changements climatiques. Après des rencontres avec le premier ministre Charest et le ministre de l'Environnement, du Développement durable et des Parcs, Monsieur Claude Béchard, le chef de mission entend rencontrer le premier ministre canadien, Monsieur Steven Harper et sa ministre de l'Environnement, Madame Rona Ambrose, ainsi que les différents chefs de l'opposition. Les internautes peuvent encore transmettre leurs questions aux dirigeants politiques en utilisant le site de la mission.

     L’Antarctique, tout comme l’Arctique, influe directement la grande machine climatique planétaire. Malgré leur isolement géographique, les pôles constituent les grands refroidisseurs de notre planète, permettant différents gradients de températures qui favorisent l’installation de la vie un peu partout sur la planète. Que l’on soit des Amériques, d’Europe, d’Asie ou d’Afrique, nous dépendons tous de l’Antarctique et de l’Arctique pour notre survie, car le climat mondial dépend de l’influence qu’exercent les pôles sur les grands courants atmosphériques et océaniques de la planète. Or, depuis quelques décennies, la machine climatique mondiale s’emballe, victime d’une accumulation excessive de gaz à effets de serre dans l’atmosphère. Les pôles deviennent alors des avant-postes précieux qui témoignent des changements en cours.


Un hivernage sans hiver

Premier constat éloquent : nous n’avons pas eu d’hiver! Cette année, les mois d’hiver ont présenté une étonnante moyenne de –5 ˚C dans notre secteur de la péninsule antarctique. Les comparaisons historiques sont difficiles à établir puisque bien peu de données furent enregistrées dans ce secteur en hiver. Malgré des variations régionales importantes, plusieurs études ont permis de conclure que le grand secteur de la péninsule antarctique s’est réchauffé cinq fois plus rapidement que le reste de la planète au cours des dernières décennies.
 
La grande banquise de glace ne s’est donc jamais véritablement formée, permettant une plus grande évaporation de l’eau de mer et se traduisant par des précipitations importantes de neige et de pluie. Le climat polaire, sec et froid, semble vivre une importante transformation, progressant de plus en plus vers un climat maritime, humide et tempéré. Les espèces qui habitent cette terre de glace perdent leurs repères et n’arrivent plus à se reproduire de manière viable, ce qui entraînera la disparition de certaines d’entre elles.

Pourtant, la péninsule antarctique présente encore son décor impressionnant de glaciers millénaires, témoignage silencieux d’une autre époque où la froideur antarctique érigeait ces cathédrales de glace. Inévitablement, devant les effets de cette chaleur nouvelle, une partie de ce monde de glace est maintenant appelé à disparaître. Les chercheurs espagnols viennent de prouver que le débit d’eau rejeté à la mer par la fonte des grands glaciers a doublé au cours des treize dernières années. À ce rythme, plusieurs scientifiques s’inquiètent. Les plus pessimistes parlent même d’une fonte possible de toute la partie ouest de la péninsule antarctique d’ici un peu plus d’un siècle. Pareille catastrophe écologique entraînerait une augmentation du niveau de la mer, partout sur la planète, de plus de six mètres!

Le plus grand défi : l’élévation du niveau des mers

Il y a aussi toute une série de preuves silencieuses, moins spectaculaires parce qu’elles n’offrent pas d’images saisissantes d’une planète en pleine transformation. Mais n’allez pas croire que ces manifestations discrètes n’auront pas d’effets sur l’avenir de cette planète. Cette année, les scientifiques du British Antarctic Survey ont publié les résultats d’une importante étude sur l’augmentation des températures de l’océan antarctique, toujours dans le secteur de la péninsule. Les résultats sont terrifiants : un degré d’augmentation au cours des 25 dernières années! C’est énorme… L’augmentation de la température des océans contribue au phénomène d’expansion thermique des liquides. Concrètement, si vous réchauffez un liquide, il prendra plus de volume. L’expansion volumétrique des mers amènera inévitablement une augmentation du niveau des océans. Rajoutez à cela une fonte accélérée des grands glaciers continentaux et vous avez le portrait de demain : le plus grand défi de l’humanité deviendra cette lutte contre l’élévation du niveau des mers.

Notre exploration limitée du territoire a permis de découvrir de nouvelles îles, lesquelles sont jusqu’à maintenant dissimulées sous la glace. Nous avons assisté à la naissance de nouveaux bras de mer, à la désintégration accélérée d’une vallée de glace, à la transformation visuelle de paysages millénaires. Tout cela, en quelques centaines de jours…Il faudra mettre à jour les cartes bathymétriques de l’Antarctique. À notre site d’hivernage, au lieu de retrouver une falaise de glace de 64 mètres de haut, nous avons découvert un bras de mer… Les grandes falaises de glace se sont écroulées et la mer divise aujourd’hui l’île en deux! Ces cartes de navigation – les plus précises disponibles – datent de 1956. En 50 ans, tout ce secteur s’est complètement transformé.

Crédit: Jean Lemire« Est-il trop tard? »

La rapidité des changements en cours ne permettra pas à la vie de s’adapter. Il faut oser le changement dans nos sociétés modernes, réduire notre consommation boulimique d’énergie et adopter une attitude sociétale plus respectueuse de la vie. On me pose souvent la sempiternelle question : « Est-il trop tard? » Sincèrement, je ne crois pas. Mais il faut initier le changement rapidement, exiger de nos dirigeants politiques une attitude proactive sur la question environnementale pour amorcer l’évolution de nos mentalités. Et de toute façon, quelles sont les autres options possibles? On peut toujours se dire qu’il est trop tard, que nos petites actions individuelles ne changeront pas le reste du monde. On peut même baisser les bras, déprimer devant l’avenir et, pourquoi pas, rester au lit à ne rien faire devant le destin. Remarquez que cette attitude pourrait contribuer à une diminution de nos émissions de gaz à effets de serre… Mais l’humanité peut réaliser de grandes choses lorsqu’elle s’unit pour combattre, pour relever les défis de la survie. Au nom des générations futures, l’inaction ne peut tout simplement pas être une option.

Nous sommes revenons au pays, transformés par cette expédition aux confins de la planète. Nous revenons vers vous, convaincus que vous saurez comprendre l’appel du Grand Sud. L’heure du grand retour a sonné, mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, ensemble. Après tout, il reste encore un futur à préparer…

Les prochaines escales du SEDNA IV

Le voilier océanographique remonte présentement l'Atlantique vers les îles de la Madeleine, qu'il devrait atteindre en début d’année. Une tournée des grands ports du Québec, où le public pourra visiter le voilier, est prévue pour l'été prochain. En attendant, l’équipe du SEDNA IV poursuit son important programme d'échantillonnage scientifique, en collaboration avec l'Institut des sciences de la mer de Rimouski (ISMER – UQAR), l'Université de Victoria et l'Institut Antarctique de l'Argentine.

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