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Invasion touristique au Tibet

Le Tibet a connu, en 2007, une augmentation de 60 % de son nombre de touristes. En une seule année, leur nombre a atteint la marque alarmante de quatre millions de visiteurs. L’ouverture d’une liaison ferroviaire jusqu’à la capitale de Lhasa (en 2006) représente une manne économique importante pour cette région isolée, mais constitue aussi une menace inquiétante.

Quatre millions de visiteurs annuels peuvent représenter une bonne chose pour le tourisme local, à condition que leur destination soit Montréal ou New York. Avec 22 000 chambres d’hôtels, un aéroport international et des services en place pour recevoir ces visiteurs, Montréal est une destination idéale pour dérouler le tapis rouge.

Imaginez un instant que ces quatre millions de visiteurs débarquent dans un territoire isolé comme le Nunavut. Le choc serait brutal pour les résidents de cette région qui devraient assumer cet afflux touristique avec des infrastructures inadéquates et les risques encourus d’en construire dans une région écologiquement sensible. Sans oublier les impacts sur la population autochtone, sa culture et son environnement. En fait, on estime que seulement 33 000 personnes ont visité le Nunavut en 2000, un territoire deux fois plus grand que le plateau tibétain.

Au Tibet, les quatre millions de touristes répertoriés en 2007 représentent un couteau à double tranchant pour la région, son héritage et son peuple. L’agence de presse officielle de Chine, Xinhua, qualifie d’ailleurs cette augmentation de « drastique ». Même pour la métropole québécoise, une semblable augmentation de touristes se traduirait par une modification importante de l’offre des restaurants et des hôtels pour tenter de répondre à une telle demande.

L’industrie touristique tibétaine se doit d’être gérée d’une manière durable pour être plus qu’un simple rêve économique de courte durée qui laisserait dans son sillage des édifices chambranlants et un environnement dégradé. Pour qu’il devienne une contribution positive au développement économique, le tourisme au Tibet doit imiter la façon de procéder des autres secteurs économiques dans la plupart des démocraties, c’est-à-dire se développer d’une manière durable et appropriée pour son milieu socioéconomique et culturel. Si une telle augmentation du tourisme possède le potentiel pour améliorer le niveau de vie des Tibétains, des yeux alertes pourront facilement constater que la répression politique chinoise est plus que jamais à l’œuvre.

Crédit: Regien Paassen

De plus, le gouvernement chinois a déjà démontré son incompétence pour gérer sa croissance économique intérieure. De l’inflation de la monnaie locale aux aliments pour animaux domestiques en passant par les jouets pour enfants et les produits pharmaceutiques, le gouvernement montre une négligence alarmante en ce qui a trait à la salubrité, à la sécurité de ces citoyens, aux conditions de travail et à la justice sociale.

Dans sa course à la croissance à tout prix, le gouvernement chinois sacrifie maintenant le Tibet et son peuple au profit de son économie. La Chine transforme le Tibet en un territoire touristique, militairement occupé, qu’on pourrait qualifié de « Disneyland » complet avec son « monorail » (grâce à la compagnie canadienne Bombardier) et son « palais » (gracieuseté de l’armée chinoise). Les touristes ne sont toutefois pas libres d’errer sur les sites historiques pour apprécier à leur rythme la culture locale ou discuter avec les Tibétains de questions politiques ou sociales. Ils sont plutôt confinés à des visites guidées avec des voyagistes officiellement approuvés par le gouvernement. Le simple fait de porter sur soi une photo du Dalaï Lama peut provoquer leur expulsion du pays, ou même l’emprisonnement pour les touristes chinois.

Avec quatre millions de visiteurs en 2007, la population du Tibet (deux millions de personnes, en incluant les nouveaux arrivants chinois) est pratiquement engloutie. Les Tibétains de souche constituent aujourd’hui les victimes oubliées d’un régime qui utilise encore la torture sur ses dissidents politiques. Aussi, en pratiquant une forme de génocide économique « fabriqué en Chine », les Tibétains de souche sont les laissés pour compte du boum économique amené par les touristes. Et ce sont les Chinois venus s’établir dans la région qui en profitent. Par exemple, la majorité des commerçants installés au marché antique Barkhor de Lhasa et qui vendent leur marchandise aux touristes appartiennent à des entrepreneurs d’origine chinoise. Les étudiants et les diplômés chinois ont remplacé les guides d’excursions tibétains qui sont partis en Inde ou au Népal après que le gouvernement régional les ait licenciés en 2003.

C’est pourquoi le gouvernement tibétain en exil a annoncé des recommandations afin de dissuader les compagnies de poursuivre ces pratiques néfastes pour les Tibétains. Ils encouragent plutôt les entreprises étrangères à embaucher et à former des Tibétains pour préserver leur présence au Tibet. Malheureusement, ces recommandations n’ont trouvé que très peu d’écho à Beijing…

Crédit: Pichugin Dmitry

Il est donc urgent de définir une direction durable pour le développement futur du Tibet qui inclurait l’aspect touristique, protégerait les valeurs du peuple tibétain et assurerait la viabilité à long terme de cet environnement local. Cela nécessiterait une reconnaissance mondiale de la beauté naturelle du Tibet, de sa diversité faunique ainsi que de sa réserve d’eau douce qui abreuve près du quart de la population du monde dans le Sud-Est asiatique. La société et la culture tibétaine sont uniques au monde et ne méritent pas de voir leur héritage s’effondrer à cause des politiques dévastatrices du gouvernement chinois.

La culture et la région du Tibet doivent être au centre des considérations dans le développement du tourisme local. Le Tibet n’est pas et ne doit pas devenir un simple parc à thème construit expressément pour l'exploitation commerciale. Et comme le gouvernement chinois et les quatre millions de touristes devraient le savoir, peu importe le papier glacé utilisé dans la brochure touristique ou l’interactivité du site Web pour vendre cette destination, le Tibet sans le Dalaï Lama, ce n’est tout simplement pas le Tibet.

 

Dermod Travis est le directeur exécutif du Comité Canada Tibet (CCT) et fut l’un des principaux organisateurs de la tournée du Dalaï Lama au Canada en octobre dernier. Le Comité Canada Tibet est un organisme non gouvernemental indépendant formé de Tibétains et de non-Tibétains qui demeurent au Canada et qui sont passionnés par la cause tibétaine ainsi que par les violations constantes des droits de l'homme et du manque flagrant de liberté démocratique au Tibet.

 
Pour en savoir plus : www.tibet.ca

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