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  • Crédit: Roman Prishenko

Biomasse forestière : énergie propre ou biomascarade?

Le récent rapport de Greenpeace De biomasse… à biomascarade a soulevé plusieurs questions sur l’utilisation de la biomasse forestière. Selon sa source et son utilisation, la bioénergie peut être écologique ou nocive pour l’environnement. La récolte de biomasse forestière menace-t-elle nos forêts ou fait-elle partie de la solution pour atteindre notre indépendance énergétique?

« La biomasse forestière crée une dette de carbone lors de son utilisation, mais c’est tout de même une énergie renouvelable qui a des bénéfices environnementaux importants lorsqu’elle est bien utilisée. C’est une erreur de dire que la biomasse est carboneutre. Il était temps que le débat soit lancé sur la place publique », estime Evelyne Thiffault, ingénieure forestière et chercheuse du Service canadien des forêts.

Lancer un débat, c’est ce que cherchais à faire Nicolas Mainville, biologiste chez Greenpeace et auteur du fameux document qui a lancé la polémique. « Avec ce rapport, on voulait informer les gens sur le dossier de la bioénergie, car on n’entend pas parler des impacts environnementaux. On veut démystifier l’enjeu du carbone et forcer les gouvernements à comptabiliser les émissions liées à l’utilisation de la biomasse. »

Selon Evelyne Thiffault, le rapport de Greenpeace lance plusieurs messages très forts et valides : « La combustion de la biomasse crée plus de carbone dans l’atmosphère que les carburants fossiles, car elle est moins dense en énergie. La biomasse émet donc plus de CO2 que le mazout, par exemple. Mais cette dette de carbone se rembourse au fur et à mesure où la forêt repousse. Si bien qu’après 4, 5 ou 6 ans et parfois plus, la dette de carbone est remboursée. »

Les Nations Unies ont établi une convention qui fait en sorte que la biomasse est considérée comme étant carboneutre, car il n’y a pas beaucoup de carbone émis dans un cycle de vie complet de la biomasse, m’explique Claude Villeneuve, professeur et directeur de la Chaire en Éco-Conseil de l’UQAC.

Les différentes sources de biomasse ne sont pas équivalentes en termes d’émission de carbone et de rendement énergétique. Dans l’ordre du plus écologique au plus douteux, les sources de biomasse sont : les résidus d’usine, les résidus de coupe (dans les peuplements appropriés), les arbres entiers malades, brulés ou morts, les arbres non commerciaux et finalement les arbres entiers commerciaux. Dans le passé, on jetait les résidus d’usine, car on les considérait comme des déchets. Jusqu’à ce qu’on décide de les valoriser. Ainsi, les écorces et les sciures de bois ont graduellement pris de la valeur. Avec la récente crise forestière, l’approvisionnement en résidus a chuté et les entreprises de transformation doivent trouver d’autres sources de biomasse forestière.

Lors de la récolte de bois en forêt, les compagnies laissent derrière elles les cimes, les branches et les souches des arbres pour ne conserver que le tronc. Il est possible de récupérer une partie de ces résidus pour les transformer en énergie. Toutefois, il importe de laisser assez de résidus sur place afin de maintenir la fertilité des sols. Des études sont en cours afin d’évaluer quelle est la quantité maximale de biomasse que l’on peut récolter selon les types de peuplement. D’après les recherches d’Evelyne Thiffault, « des peuplements aux sols pauvres, comme les peuplements de pins gris, sont fragiles et tolèrent mal la récolte de biomasse alors que les peuplements d’épinette noire sont plus résilients et tolèrent des taux de récolte de biomasse qui atteignent 50 %. Pour l’instant, la quantité maximale de résidus forestiers récupérés sur un parterre de coupe est de 50 % au Canada, car on ne peut quand même pas passer l’aspirateur pour récolter tous les débris! » De son côté, Nicolas Mainville, biologiste chez Greenpeace estime que la limite de récolte devrait être fixée à 25 % seulement.

Crédit: Guillaume RoyDans l’Ouest canadien, le dendrochtone du pin a ravagé de très grandes superficies de forêt. Le gouvernement a donc créé des incitatifs pour récupérer ce bois et le transformer en biomasse. Peut-être y a-t-il quelque chose de mieux à faire que de bruler tout le bois infesté, mais comme le bois se dégrade très rapidement, c’est une des seules façons d’y donner un peu de valeur. Le problème vient des incitatifs du gouvernement qui ont fini par pervertir le marché, déviant ainsi des arbres entiers sains à des fins énergétiques. Ce qui fait dire à Nicolas Mainville que « la Colombie-Britannique est sur le bord d’une dérape », qu’il appelle tendrement une biomascarade.

Tout le monde s’entend pour dire que ce n’est pas la meilleure idée que de bruler un arbre entier de valeur commerciale en bonne santé : « Ce serait du gaspillage de couper des arbres simplement pour les bruler », croit Catherine Cobden, vice-présidente aux Affaires économiques de l’Association des produits forestiers du Canada (APFC). Le rapport de Greenpeace est plutôt bien reçu par ceux qui ont pris le temps de le lire au complet. Mais comme le diable est dans les détails, certains passages manquent de nuances. Par exemple, Greenpeace montre une photo de l’usine LG à Saint-Félicien en l’accompagnant de la légende qui suit : « Cette usine de granules à Saint-Félicien au Québec transforme directement des arbres entiers pour la combustion. Les producteurs de granules à travers le pays utilisent jusqu’à 70 % de biomasse provenant directement de la forêt pour la production de granules. » Ken St-Gelais, directeur des services financiers chez Granules LG, l’usine visée par les propos de Greenpeace, tempère : « Moins de 3 % de notre approvisionnement provient d’arbres entiers incendiés qui n’ont plus aucune valeur commerciale. Ce sont des arbres qui seraient abattus de toute façon par le MRNF (ministère des Ressources naturelles et de la Faune) pour permettre le scarifiage et ensuite le reboisement. Nous sommes tout de même contents que Greenpeace souligne que les granules sont une excellente source de chauffage! »

Une efficacité variable…

Bois de chauffage, bûches écologiques, granules ou copeaux, la biomasse forestière peut prendre plusieurs formes. On peut même convertir la biomasse en électricité en chauffant de l’eau qui activera une turbine. Énergie renouvelable certes, mais qui doit être utilisée intelligemment pour assurer la régénération de la forêt. De plus, les utilisations qu’on fait de la biomasse forestière ne sont pas équivalentes en termes d’émission de carbone et de rendement énergétique. Les experts cherchent donc à connaître quelles utilisations de biomasse créent la plus petite dette de carbone pour obtenir les plus grands bénéfices environnementaux et sociaux. 

Selon les données recueillies par le Manomet Center for Conservation Sciences (2010), l’efficacité de la conversion du bois vert en électricité n’est que de 25 %, et celle de la production de chaleur par combustion d’éthanol cellulosique de 50 %. Pour sa part, l’efficacité de la cogénération (la production combinée de chaleur et d’électricité) à partir de bois vert est d’environ 75 % et la production de chaleur par combustion de granules de bois atteint 80 %.

En gros, l’utilisation de la biomasse la plus efficace est sous forme de chaleur ou combiné à la production d’électricité. Au Québec, les nouvelles usines de cogénérations sont jumelées aux activités industrielles des compagnies forestières et des papetières qui, avec de la biomasse forestière, produisent de l’électricité tout en utilisant la chaleur pour des procédés industriels (séchage, chauffage ou autre). Par contre, les plus vieilles installations de cogénération peinent toujours à mettre en valeur la totalité de la chaleur produite pour maximiser leur rendement énergétique.

Alors que la production d’électricité seule n’est efficace qu’à 25 %, l’Ontario a décidé de convertir ses centrales au charbon à la biomasse forestière nécessitant beaucoup de matière première. En voulant remplacer le charbon par la biomasse, l’Ontario mettra sans doute plus de pression sur les forêts, mais « la réalité au Québec est différente, car l’industrie est basée sur un modèle coopératif à petite échelle », note Evelyne Thiffault.

Un filet mignon en steak hachéCrédit: Guillaume Roy

« Il y a de bonnes choses dans le rapport de Greenpeace, mais il donne l’impression que tout le monde est dans le même panier », commente Jérôme Simard, directeur général de la Coopérative forestière de Girardville (CFG) qui s’est lancée dans l’industrie de la bioénergie. « Moi aussi j’ai peur que les gros projets ternissent l’image de la biomasse. Prendre des arbres entiers sains pour faire de la biomasse c’est comme transformer un filet mignon en steak haché! Il vaut mieux se concentrer sur la production de chaleur pour remplacer les systèmes chauffés au mazout ou au propane », ajoute-t-il.

À plusieurs endroits au Québec, la biomasse a déjà commencé à remplacer le mazout utilisé pour les systèmes de chauffage dans les hôpitaux, dans les écoles et dans les immeubles commerciaux. Lorsqu’un bâtiment possède un système de chauffage à l’eau chaude, il suffit de remplacer le chauffage au mazout par une bouilloire à la biomasse. « Il y a un bénéfice indéniable pour l’atmosphère lorsque l’on remplace le mazout ou le charbon par la biomasse dans les systèmes de chauffage », assure Evelyne Thiffault.

Le nouvel écoquartier de la ville de Québec, la Cité Verte, qui redéfinit le concept d’aménagement urbain durable, a aussi choisi d’utiliser le chauffage à la biomasse pour réduire l’empreinte écologique du site et maximiser les retombées économiques dans la province. « Partout en Europe, il s’utilise beaucoup plus de chauffage au bois, surtout sous forme de granules, même si celui-ci est de 30 à 40 % plus cher que chez nous. C’est choquant de voir comment les Européens intègrent beaucoup plus rapidement que nous des énergies renouvelables au bénéfice de leur communauté », explique Claude Routhier, président de Poly-Énergie et ingénieur responsable de l’efficacité énergétique du bâtiment.

« Pour la création d’emploi et de richesse dans l’industrie forestière, il est préférable d’intégrer la production de bioénergie, de produits biochimiques, de biodiesel et de biomatériaux à la production primaire de l’industrie. Même si nous ne sommes pas d’accord avec certains détails présents dans le rapport de Greenpeace, sur le fond des choses, nous sommes en accord avec leurs conclusions », commente Catherine Cobden de l’APFC. Selon les données de l’APFC et de Greenpeace, la production de bioénergie crée cinq fois moins d’emploi que la foresterie traditionnelle. Surtout, elle crée beaucoup moins de valeur. Selon Tom Browne, directeur de programme chez FPInnovations, 34 % de la récolte forestière est utilisée comme combustible et cette proportion ne génère que 6 % des bénéfices de l’industrie! Sa conclusion : « Il faut générer plus de produits à valeur ajoutée et plus d’emplois pour rentabiliser la forêt. Quand on ne peut trouver quelque chose de mieux à faire avec les résidus, on les convertit en énergie. »

Selon Jérôme Simard, « le plus important, c’est que 100 % de l’argent reste dans l’économie locale et que l’on consolide les emplois en région. De plus, la biomasse permet de réduire notre dépendance aux combustibles fossiles. »

Greenpeace croit à une utilisation intelligente de la biomasse à des fins énergétiques : « On invite les coopératives à se battre pour des projets locaux à petite échelle afin de rétablir crédibilité de la filière », commente Nicolas Mainville. « Avec le rapport De biomasse… à biomascarade, on voulait alerter le gouvernement et les marchés internationaux sur les fausses allégations des énergies carboneutres et propres. »

Le débat est lancé. Et c’est pour le mieux, croit Steven Guilbault, porte-parole et cofondateur d’Équiterre : « Notre dépendance au pétrole nous coute au moins 10 à 12 milliards de dollars par année qui sortent du Québec. On pourrait s’en passer et les remplacer par d’autres formes d’énergie renouvelable. La bioénergie peut jouer un rôle important pour réduire notre dépendance au pétrole, mais il faut s’assurer de bien faire les choses. Ce serait une erreur de balayer du revers de la main un rapport comme celui de Greenpeace parce que ça ne cadre pas avec ce qu’on veut faire. En travaillant ensemble, en débattant, en échangeant, on va arriver à trouver de meilleures solutions. »

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