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  • Crédit: Jari Hindstroem

La fin d’une chasse gardée

On a souvent l’impression que la chasse est une affaire de boys. Pourtant, de plus en plus de femmes désirent marcher sur les traces de Daniel Boone. À quelques jours de l’ouverture officielle de la saison de la chasse, elles sont plusieurs à préparer leur arbalète et à sortir leur pantalon de camouflage.

Depuis les 10 dernières années, la chasse a connu une popularité grandissante chez la gent féminine. Selon la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs (FQCP), le pourcentage de femmes inscrites au cours d’initiation à la chasse avec arme à feu, un préalable menant à l’obtention de son permis officiel, est passé de 18,5 % en 2002 à 24 % en 2010. Seulement pour 2011, 25 % des élèves (soit 4 014 en tout) étaient des femmes.

Aux yeux de Marjorie Alain, responsable des relations publiques à la FQCP, il s’agit d’un phénomène relativement nouveau. Elle explique cet engouement par le désir des femmes d’aller au-delà des clichés : « Elles font de plus en plus leur place dans la société, mais aussi dans des milieux qui étaient auparavant réservés traditionnellement aux hommes. Elles osent plus et se permettent d’essayer de nouvelles choses. »

Bienvenue aux dames

La Fédération a contribué à ce phénomène en mettant sur pied, il y a 13 ans, la formation Fauniquement femme. Durant une fin de semaine, l’atelier se donne à la Seigneurie du Tritton, une pourvoirie en Haute-Mauricie. Chaque année, une quinzaine de filles sont accueillies et jumelées à une chasseuse d’expérience. Les néophytes y apprennent les rudiments de la chasse et de la pêche, le maniement des armes à feu, le tir à l’arc, ainsi que toutes les notions reliées à la sécurité.

« Les femmes sont amenées en train et sont prises en charge dès leur arrivée, précise Marjorie Alain. Dans cet endroit paradisiaque, elles apprennent à leur rythme et de façon très encadrée. On ne les conduit pas tout de suite en forêt. »

Le premier apprentissage de cette formation consiste à apprivoiser les armes. Car le fait de tuer un animal provoque souvent un inconfort chez la majorité des femmes qui voient dans cet acte, une certaine violence. De son côté, la Fédération travaille fort à rendre la chasse plus socialement acceptable. « Plusieurs femmes sont réticentes puisqu’elles doivent tirer sur un animal. Mais la chasse, ce n’est pas que ça. C’est aussi se retrouver en plein bois, dans le calme et loin de la routine. C’est une façon d’avoir un contact privilégié avec la nature et de se procurer de l’excellente viande bio! », poursuit la relationniste.

Hélène Desgranges est l’une de ces femmes qui chassent le gibier. Elle s’est adonnée à ce loisir il y a six ans et se remémore comment elle avait du mal, au début, avec le concept d’abattre un être vivant. Le fait de dédramatiser, avec sa monitrice, l’utilisation de son artillerie, lui a donné confiance : « Au départ, j’avais surtout de peur de blesser l’animal, dit-elle. En apprivoisant le geste, j’ai fini par me sentir moins coupable de le faire! Après tout, il serait probablement tué d’une façon ou d’une autre dans la nature. Ce qu’on m’a appris, c’est que la chasse permet de contrôler la surabondance de la faune. »

Curieusement, même si la majorité des femmes ont a priori une crainte de manier les armes, elles y excellent! « Elles sous-estiment leurs aptitudes et leur capacité à bien viser. Elles sont nombreuses à être surprises de voir comment elles sont de bonnes tireuses. Je dirais même qu’elles sont plus précises que les hommes! », dit Marjorie Alain.

Fauniquement Femme est dorénavant victime de son succès. Chaque année, la liste d’attente s’allonge pour cette formation, ce qui en soi est une bonne nouvelle pour la Fédération. « On est vraiment surpris de voir qu’autant de filles ont envie de vivre cette aventure. Elles ressortent emballées de leur expérience et sont nombreuses à vouloir obtenir leur permis de chasse par la suite. »

Faire ses premières armes

Faire la promotion de la chasse auprès de ses consœurs, Hélène Larente en a fait sa mission. Il y a plus de cinq ans, elle a mis sur pied le programme CerFemme dans la région de l’Outaouais, lequel vise à initier quatre nouvelles participantes à la chasse au cerf. De cette façon, elle souhaite rejoindre les filles qui veulent pratiquer cette activité sportive, mais qui n’ont ni contacts ni ressources pour le faire.

« Le principal problème, c’est que les femmes n’ont pas de réseau pour chasser. Souvent, elles y vont comme accompagnatrices avec leur conjoint ou leur père. Avec CerFemme, elles rencontrent d’autres filles qui ont la même passion. Ensuite, elles peuvent s’organiser entre elles. » Hélène Larente a d’ailleurs ouvert le groupe « La chasse au féminin » sur Facebook, qui permet aux chasseuses de jaser et d’échanger sur le sujet.

Les motivations qui amènent les femmes à joindre ce groupe sont multiples, mais elles ont toutes en commun cette soif de relever un nouveau défi. « Les femmes proviennent de toute sorte de milieux, c’est vraiment varié, observe la coordonnatrice du programme. Il y a celles qui ont déjà chassé plus jeunes avec leur père ou leur mari et qui décident de développer leur autonomie. Il y a aussi celles qui viennent de se séparer, qui chassaient déjà avec leur conjoint et qui désirent poursuivre cette activité avec d’autres femmes. Elles le font par curiosité et pour l’expérience. »

Ce que Hélène Larente a noté depuis qu’elle chapeaute le projet, c’est la façon dont les femmes abordent la chasse. Selon elle, elles ont une approche différente de celles des hommes, ce qui leur donne un certain avantage. « Elles sont plus patientes que les gars et dans le doute, elles ne tirent pas, indique-t-elle. Elles prennent moins de risques aussi. » Et elles préfèrent encore la collaboration et l’entraide plutôt que la performance. « Les hommes sont plus compétitifs et sentent plus la pression de réussir. Les femmes, quand elles décident de ne pas tirer, toutes les autres se rangent derrière sa décision. »

Une activité qui a du panache

Michelle Cyr a été initiée à la chasse il y a une dizaine d’années. Cette dame originaire de la région de Mont-Laurier avait toujours envié son conjoint qui, revenant de ses fins de semaine dans le bois à débusquer le gibier, avait les yeux si brillants. Elle voulait comprendre ce qui le mettait dans cet état. « Je voyais cette passion qui animait mon chum quand il était de retour de la chasse. Je voulais vivre ça, moi aussi. La première fois que je suis allée avec lui, j’ai eu la piqûre. Être dans la forêt, c’est avoir la paix totale! »

Elle a rapidement développé un goût pour appâter le gibier. Ce qui lui a surtout plu dans cette activité, c’est l’adrénaline que ça procure : «Il y a une sorte de fébrilité dans le fait d’attendre et ça, les filles comme les gars le vivent de la même façon. Et le sentiment que ça procure quand tu réussis à atteindre ta cible, c’est indescriptible. » Elle possède trois chevreuils à son tableau de chasse et son prochain objectif serait de traquer le caribou, ce qu’elle pense faire d’ici quelques années. Pour sa part, même si elle connaît quelques filles qui taquinent la bête, elle préfère y aller avec des hommes, qu’elle trouve davantage organisés. « Ils savent où ils s’en vont, ils ont une grande expérience de la forêt et des rudiments de la chasse. »

Même si les femmes qui chassent sont loin d’être majoritaires, celles qui pratiquent cette activité contribuent à faire tomber les préjugés qui leur collent à la peau. Hélène Desgranges a été la première à s’étonner des nombreux stéréotypes qui ont été recensés lors de son passage à Fauniquement femme. « Moi qui pensais que les hommes allaient avoir beaucoup d’idées préconçues. Je me suis trompée, ce sont les femmes qui en ont! Plusieurs pensent que parce tu chasses, tu es soit lesbienne, soit un garçon manqué! Et pourtant, c’est loin d’être le cas. La plupart des femmes sont hyperféminines. Sauf lorsqu’on s’en va dans le bois. Là, on est tout, sauf sexy! »

Les hommes ne manquent tout de même pas l’occasion de pousser quelques blagues. Certains sifflent même d’admiration lorsqu’ils apprennent qu’elle est une chasseuse. « Lorsque je pars avec une gang de filles à la chasse, ils sont plusieurs à s’offrir tout d’un coup pour venir faire la cuisine ou la vaisselle! Certains me demandent dans quel coin je m’en vais pour être sûr de ne pas se retrouver là en même temps de peur de recevoir une balle perdue! Ça reste toujours sur le ton de la rigolade. Mais en majorité, les hommes sont surpris et même un peu intimidés devant une femme qui chasse. »

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