Alexandre Halley : Le fou volant
Au nord du pays, tout près du cercle polaire, une région encore vierge de la Terre de Baffin attire les adeptes du BASE jumping. Le Québécois Alexandre Halley, un amoureux de la région arctique et des montagnes, qui adore la sensation engendrée en sautant du haut d’une falaise vêtu d’un seul morceau de tissu sur le dos, s’y est rendu pour pratiquer un sport qui frôle le suicide contrôlé.
En quoi consiste ce sport méconnu au Québec?
Le BASE jump (acronyme de Building, Antenna, Span bridge et Earth cliff) consiste à sauter depuis des objets fixes avec un simple parachute. Pour ma part, je préfère sauter en milieu naturel, ne faire qu’un avec la montagne : la grimper puis sauter d’une falaise en chute libre. C’est presque irréel comme sensation, surtout lorsqu’on saute en wingsuit, une sorte de combinaison ailée qui permet de planer. Après trois secondes de chute libre, on peut planer sur une distance de un à deux kilomètres avant l’ouverture du parachute.
À quoi ressemble la sensation de voler que vous éprouvez?
Avez-vous déjà rêvé que vous voliez au-dessus d’un champ? Sauter en wingsuit reproduit cette sensation. Vous avez l’impression de flotter dans les airs. Quand je m’élance de la falaise, les seules restrictions qui s’appliquent sont celles du vent et de l’environnement. Pour le reste, la liberté est absolue.
Quelle est la particularité de cette région de la Terre de Baffin?
Chaque année, au mois de mai, une fenêtre météorologique s’ouvre sur un terrain de jeu quasi illimité pour les « Bbase jumpers ». Ce terrain se situe le long du Sam Ford fjord, un lieu où les falaises verticales sont les plus hautes du monde. Elles jaillissent des eaux gelées arctiques et dépassent les 1500 mètres d’altitude. Étant donné que l’été le fjord dégèle et que l’hiver le froid et la nuit arctique rendent ce lieu beaucoup trop hostile, le terrain n’est praticable que pendant un mois. Un mois magique où l’on ne sait plus où donner de la tête tellement il y a de falaises. Je n’aurai pas assez d’une vie pour sauter de toutes ces parois.
Cette région est-elle facile d’accès?
Non. Il est impossible de se rendre jusqu’à Sam Ford fjord en avion ou en hélicoptère. Chaque expédition demande trois mois de préparation. Il s’agit de rassembler tout le matériel pour vivre en autonomie complète pendant un mois, soit la nourriture, l’essence pour la motoneige, le matériel de camping, d’alpinisme, de base jumping, etc. La première étape consiste pour mes trois coéquipiers et moi-même à nous rendre en avion jusqu’à Clyde River, un petit village de 800 habitants. De là, des guides inuits nous conduisent jusqu’au fjord situé à sept heures du village en motoneige. Une fois les guides partis, nous nous retrouvons alors complètement seuls au pied de ces falaises majestueuses.
Comment se passe une journée de base jumping en Terre de Baffin?
Lorsque le temps nous le permet, nous nous attaquons à une falaise d’où personne n’a encore jamais sauté. Préalablement, nous faisons du repérage visuel pour nous assurer que la paroi d’où nous sauterons est verticale et pour déterminer quel est le meilleur chemin pour se rendre au sommet. À l’aide de piolets, de chaussures à crampons et de cordes, nous grimpons pendant plusieurs heures jusqu’au sommet de la montagne. La vue sur le fjord gelé entouré de falaises implacables et de couloirs gorgés de poudreuse est époustouflante. Avant le grand saut, nous lançons une roche d’environ 5 kilogrammes dans le vide, ce qui correspond à un corps humain en chute libre, et nous comptons les secondes avant l’impact. Sept secondes équivalent à 200 mètres, une hauteur suffisante pour s’élancer en wingsuit. Pendant la chute libre, pour chaque mètre descendu, nous avançons de trois mètres grâce à nos combinaisons. Nous avons l’air de véritables écureuils volants! De retour sur le plancher des vaches, l’excitation est à son comble et tout ce que nous avons en tête c’est de sauter à nouveau!